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Revue de viticulture
Organe de l’agriculture des régions viticoles
1 décembre 1893 – 31 décembre 1949


Revue de viticulture_la vigne et l'emprise française sur l'Afrique du Nord
Revue de viticulture, 23 août 1923, P. 8/16

G. BRISSET. — LA VIGNE ET L’AFRIQUE DU NORD
LA VIGNE ET L’EMPRISE DE LA FRANCE SUR L’AFRIQUE DU NORD

TEXTE INTÉGRAL


Le Maroc entra, vingt-cinq ans plus tard que la Tunisie, sous l’influence française, et des rivalités, sinon de même source — bien que l’Angleterre y suivit jalousement le moindre de nos pas — mais de formes identiques, nous gênèrent longtemps dans notre établissement.

Le temps aidant aux efforts d’une diplomatie souvent entravée par les fluctuations de notre politique intérieure, nous y avons maintenant, grâce surtout aux résultats de la guerre mondiale, nos coudées à peu près franches, et notre influence économique peut s’y exercer sans trop de difficultés.

Cependant, de même qu’en Tunisie, nous sommes soumis à la même réglementation douanière que toute autre nation, et ne pouvons y développer notre expansion avec autant de facilités qu’en Algérie.

Ceci est à remarquer en passant, à l’encontre des détracteurs de notre belle possession africaine, détracteurs bien enclins à voir sous les plus riants aspects ce qui se passe dans les protectorats voisins, par antithèse avec certaines difficultés économiques à subir en Algérie.

La vigne, comme en Tunisie, a suivi immédiatement notre occupation, semblant marquer par ses progrès la marche de l’influence civilisatrice européenne.

Dès 1908, autour de Casablanca, une dizaine d’hectares étaient plantés, qui faisaient tache d’huile au point d’atteindre dès 1914, 190 hectares, principalement situés en Chaouïa.

A dater de 1916, la viticulture s’étend lentement sur tout le littoral du Maroc occidental, également dans la région d’Oudjda, mais un peu plus tard, et on y compte 168 h. dans la région de Casablanca, 87 dans celle de Rabat et 30 dans celle de Meknès.

En 1921, d’après la documentation que le gouvernement du Protectorat, a bien voulu nous communiquer, la superficie plantée en vigne, comprend, pour toutes les régions du Maroc français, environ 1950 hectares, ainsi répartis : Casablanca, 476 hectares ; Rabat, 723; Mazagan, 40; Fez, 47; Safi, 19; Marrakech. 37; Meknès, 65; Oudjda, 550. De nouvelles plantations en cours font prévoir un accroissement prochain d’environ 150 hectares.

Les premiers ceps plantés furent destinés à la production du raisin de table, mais, depuis quelques années, les raisins à vin sont produits sérieusement sur des vignobles qui prennent figure importante.

Les plants les plus en faveur, sont, comme en Algérie, le carignan, l’alicante-bouschet, le cinsault, l’ramone, le grand-noir, le muscat d’Alexandrie et la clairette pour la vigne d’origine européenne.

A côté d’eux, des variétés indigènes semblent fort intéressantes, et la Direction de l’Agriculture à Rabat, se préoccupe de l’étude de ces vinifiera, appelés certainement à contribuer largement à la production des vins marocains.

La vinification au Maroc est loin d’être encore parfaitement outillée et installée.

Les vins produits par les plants indigènes sont de couleur faible, mais agréables au goût. Certains vins même, de l’intérieur, ont une finesse agréable et une bonne vinification rationnelle leur assurera une place honorable.

Les vins de vignes européennes donnent les moyennes suivantes, qu’il faut lire en tenant compte qu’il s’agit de jeunes vignes, et de vins produits dans des conditions encore précaires, surtout quand à l’hygiène des chais.

Alcool de 10°8 à 11°5; extrait à 100°, 18 à 23 grammes ; acidité totale, 4 à 4,5 ; acidité volatile, 1,00 à 1,40.

Les premiers vignobles ont été plantés en ceps directs, mais les viticulteurs en viennent rapidement aux plants greffés sur américains, de provenance française, algérienne ou espagnole.

Des pépinières ont été créées par les viticulteurs, presque tous d’origine française, fort heureusement, qui utilisent la main-d’œuvre indigène, assez docile, sinon bien expérimentée, et l’inévitable main-d’œuvre espagnole.

La Direction de l’Agriculture de notre résidence s’occupe de la création d’une station ampélographique au Maroc occidental, qui sera un guide excellent pour les viticulteurs du protectorat.


* * *

La production du pays, y compris l’apport des plants indigènes était évaluée en 1921 à 10.000 hectolitres environ.

Mais les viticulteurs, surtout ceux d’origine française, ont compris tout le parti à tirer de la prospérité croissante du Maroc, quant à la consommation du vin et bien qu’entravés par la cherté des matériaux et de la main d’œuvre, comme par la valeur presque prohibitive du matériel vinicole, s’ingénient à vinifier de mieux en mieux.

Leurs vins sont, du reste, protégés contre l’importation étrangère qui est surtout espagnole et portugaise — mais, hélas ! au même taux que les vins français et algériens — par un droit d’entrée, assez minime, et surtout par les frais de transport.

En 1920 la consommation du vin, dans la zone d’influence française, — la seule qui nous intéresse ici — était d’à peu près 220.000 hectos, ce qui justifierait une étendue de vignobles à vins d’au moins 5.000 hectares.

Une belle marge existe donc encore, entre la superficie actuelle du vignoble marocain, et celle qui pourrait exister, sans danger aucun pour la viticulture française, car il n’est pas douteux que, sauf pour des crus spéciaux, qui font figure dans les statistiques plutôt par leur valeur douanière que par leurs quantités, les vins du pays, prendront, comme en Algérie et comme en Tunisie, très rapidement le dessus sur les vins d’importation.

La croissance continue des cités marocaines, surtout celle de Casablanca, la cité champignon, et le succès de nos entreprises de colonisation, ne pourront qu’accroître les besoins du Maroc en vins ordinaires et aussi en vins fins.

Ci-dessous, quelques chiffres sur les importations de vins dans la zone d’influence française du Maroc :

Revue de viticulture_la vigne et l'emprise française sur l'Afrique du Nord_img2

L’Espagne donc, bénéficiant surtout de la proximité de sa région vinicole, importe actuellement trois fois plus de vins que la France et l’Algérie réunies.

Et dans ces importations de vins français, il faut naturellement compter tous les vins fins, mousseux compris. L’Espagne et le Portugal importent la plus grande partie des vins de liqueur consommés.

Il y a donc, actuellement et avant que le vignoble marocain ait atteint son plein développement, une grande place à conquérir sur les marchés du Maroc, par les vins d’Algérie, qui vont pouvoir pénétrer, grâce à la grande ligne d’Oudjda à Rabat, par Taza et Fez, dans toutes les places de l’intérieur du Maroc, à bien meilleur compte que les vins espagnols.

En même temps, le vignoble marocain peut décupler largement ses plantations avant d’arriver à fournir à la consommation du Maroc occidental (ou océanien).

Pour résumer ce fragment d’étude sur la vigne au Maroc, il est certain que, de longtemps, le vignoble de l’empire chérifien ne sera un concurrent bien sérieux, sur le marché même de la France, pour le vignoble de la Métropole.

Sa position excentrique, par rapport aux centres mondiaux de consommation, qui semblent devoir rester circonscrits au bassin de la Méditerranée, ne le constituera pas davantage un concurrent pour l’exportation française, proprement dite.

Seuls, les marchés de l’Amérique du Sud pourraient être sollicités par les vins marocains, mais on sait que tous les Etats latins de l’hémisphère sud du Nouveau-Monde ont créé des vignobles déjà importants et plus anciens que le vignoble marocain.

Les produits de celui-ci, paraissent donc uniquement destinés à l’alimentation du Maroc lui-même, et, comme on l’a vu plus haut, ils sont encore loin, très loin, de pouvoir y suffire.

Le Maroc, par sa position géographique, par son climat, son sol fertile et sa faible population autochtone, est appelé à devenir un centre important d’immigration de populations européennes, surtout latines, dont il pourra nourrir certainement plusieurs millions de têtes.

Il est donc absolument prématuré de voir en lui un redoutable exportateur de vins ; mieux vaut encourager capitalistes français et vignerons algériens à s’unir pour aller y créer de beaux vignobles.

Le commerce d’exportation des vins fins de France y trouvera un débouché important, trop peu connu, alors que les mousseux italiens, voire même anglais et allemands ! y trouvent amateurs.

L’essentiel, pour la Métropole, est de prendre et de savoir conserver la toute première place dans l’essor du vignoble marocain, aussi bien pour un placement fructueux de ses capitaux et l’utilisation de ses intelligences colonisatrices, que pour la vente du matériel viticole et vinicole et de tous les produits infiniment variés que demande la vigne.

A défaut de vignerons de France, hélas ! déjà trop peu nombreux et peu acclimatés, l’immigration de solides et expérimentés fils de colons algériens, y maintiendra le prestige français,

(A suivre ) G. Brisset.

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