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L’Œuvre 25 août 1930, p. 1/6
L’Œuvre est un hebdomadaire puis un quotidien fondé par Gustave Téry, ancien rédacteur du Journal, du Matin et collaborateur de l’Aurore. Le journal s’affirme comme socialiste et anticlérical mais rejoint le nationalisme intégral prôné par Maurras et l’Action Française. On peut le définir comme un périodique nationaliste et antisémite de tendance républicaine et socialiste. Il fut notamment pacifiste durant les guerres mondiales bravant la censure dès 1914 et favorable au Cartel des gauches (1924) et au Front populaire (1936).
![L'Oeuvre_Où en est l'expansion intellectuelle [25-08-1930]](https://tracesdefrance.files.wordpress.com/2020/06/loeuvre_oc3b9-en-est-lexpansion-intellectuelle-25-08-1930.jpg?w=750)
UN RAPPORT OFFICIEL DE M. PETIT-DUTAILLIS
Où en est l’expansion intellectuelle
de la France dans le monde ?
TEXTE INTÉGRAL
Pour mesurer, d’une manière précise et complète, l’état actuel de cette chose capitale et impondérable : l’étendue et la profondeur de l’expansion intellectuelle de la France dans le monde, nul n’est mieux qualifié que M. Petit-Dutaillis.
L’éminent inspecteur général de l’Instruction publique est, en même temps, directeur de l’Office national des Universités et écoles françaises à l’étranger. Il est chargé, en cette qualité, de constantes visites d’inspection des établissements que la France multiplie dans l’univers pour l’extension de sa culture : n’est-il pas placé au centre même de notre rayonnement intellectuel ?
Aussi, est-ce à l’aide des rapports que, pendant ces trois dernières années, M. Petit-Dutaillis adressa au ministre de l’Instruction publique, que nous allons faire le plus instructif des tours d’Europe…
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« L’œuvre de notre expansion intellectuelle — écrit le directeur de l’Office des Universités — est, on peut bien le dire, sans cesse menacée : souvent, le reflux emporte ce que nous avions confié au flux. Aussi, il ne s’agit pas seulement de construire des ponts nouveaux, mais de réparer constamment les brèches et de dresser, contre d’insidieux courants, des piliers de soutien… »
Et M. Petit-Dutaillis cite, dès l’abord, avec d’infinies précautions diplomatiques, « l’exemple le plus frappant de ces destructions »…
« Cet exemple se puise dans l’histoire de nos relations intellectuelles avec l’Italie où — pour des motifs que nous n’avons pas besoin de préciser —- l’existence même de l’enseignement de la langue français est menacée »…
Pourtant, de l’autre côté des Alpes, nous avons toujours deux Instituts : celui de Florence et celui Naples « mais — comme le déclare un de ceux qui les dirigent — cette existence a quelque chose de paradoxal…. ».
Et la France, dans ces conditions a adopté une attitude élégante : elle continue à montrer gracieuse figure à des gens qui se sont « mis en boule »…
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En Roumanie, notre expansion intellectuelle a également un effort de redressement à faire, mais est-il besoin de l’ajouter ? — pour des raisons différentes. Certes, il y a également en Roumanie — constate M. Petit-Dutaillis — un « cour national et xénophobe. D’autre part, nous avons à résister aux efforts faits par l’Angleterre, par l’Italie et par l’Allemagne pour nous supplanter. Mais nous disposons d’excellents moyens et surtout d’Instituts français qui possèdent un groupe d’hommes connaissant bien la Roumanie et capables d’influer de la façon la plus heureuse sur les relations entretenues entre les deux pays. C’est là — conseille M. Petit-Dutaillis — que nos grands journaux devraient s’adresser pour leurs enquêtes… »
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En Belgique, M. Petit-Dutaillis a fait, sur place, une enquête sur le délicat problème de la flamandisation et il conseille à la France de se montrer très prudente et discrète…
« Tous nos amis de Belgique ont été unanimes à me dire: « surtout, ne bougez pas ! Laissez nous faire, nous ! C’est notre affaire et non la vôtre ! »
C’est grâce, en effet, aux efforts privés que la culture française se défend avec succès en Belgique. Quant à nous, notre rôle se borne à favoriser les voyages d’écoliers flamands en France, à leur envoyer de bons livres, à répondre aux demandes qu’on nous adresse… et à laisser agir, toute seule, l’énergique et féconde réaction spontanée du bilinguisme et dés nombreuses ligues nationales pour l’extension de la langue française,..
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« En Turquie, il n’y a pas de raisons de nous décourager : nos positions actuelles sont excellentes. » Dans les rues de Stamboul, on parle français. Les magasins, les tramways ont des inscriptions bilingues. Plusieurs journaux turcs ont des éditions françaises. Tous les Turcs cultivés savent notre langue. Encore à l’heure actuelle, c’est généralement le français qui est choisi comme langue vivante par les élèves des établissements turcs. Le livre français, enfin, est très répandu.
Mais les libraires allemands finiront par lui faire une concurrence dangereuse… Mais il nous est interdit d’ouvrir – de nouveaux établissements d’enseignement…
Mais nous devons comprendre que le changement de régime a été radical et qu’il faut nous adapter au très ombrageux esprit de nationalisme ottoman.
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En ce qui concerne enfin l’Empire Britannique, « il n’est pas tout à fait exact de parler de redressement à faire ».
« Les liens que nous avons noués avec l’Angleterre, après bien des années d’effort, sont solides. Mais le maintien de ces liens exige une vigilance constante et des circonstances qui nous trouvent désarmés, par exemple, la crise économique qui frappe nos voisins, ne sont pas sans répercussions fâcheuses, sur nos relations…
« Pendant les vacances, nos échanges de jeunes gens, de famille à famille, ne se font pas à notre entière satisfaction : il y a beaucoup, moins de demandes anglaises que de demandes françaises. Et certainement, il y a, à cela — constate sans insister M. Petit-Dutaillis —: « des causes qui dépassent nos moyens d’action »…
Paul Allard.