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Journal officiel de la République française 20 janvier 1871 p.1/2
Créé en 1868, Le Journal officiel de la République française est le journal officiel de la France. À ce titre, il publie l’intégralité des lois, arrêtés, décrets, déclarations officielles et autres publications légales de la République. Il remplace dès 1870 le Journal officiel de L’Empire français et continue d’être publié de nos jours.
LA RÉVOLUTION DE 1848
A BERLIN
PREMIÈRES PAGES
![JORF_la révolution de 1848 à Berlin [20-01-1871]](https://tracesdefrance.files.wordpress.com/2020/06/jorf_la-rc3a9volution-de-1848-c3a0-berlin-20-01-1871.jpg?w=750)
Quelques succès que puissent remporter les armes prussiennes, il y a une chose que l’Allemagne ne tuera point, c’est l’influence morale de la France. Cette influence est à l’abri des épées et du canon ; quand un peuple a reçu le flambeau des mains de Dieu, nul souffle humain ne peut l’éteindre. De même que la puissance d’Athènes a survécu à sa chute, de même que les Romains ont dominé les barbares après la destruction de leur empire, à ce point qu’aujourd’hui nous dépendons encore d’eux, de même Paris continuera à illuminer le monde, pendant plus de temps qu’il n’en faudra pour faire pourrir les os des arrière petits-neveux du roi Guillaume.
Jamais peut-être, dans l’histoire, l’influence française n’a montré aussi complètement son pouvoir qu’en l’année 1848. Les journées de Février furent comme une explosion qui mit le feu dans l’Europe. Troubles à Turin, troubles à Rome, troubles à Naples, troubles à Venise, troubles à Vienne, troubles à Francfort, troubles a Berlin. Toutes les nations furent atteintes. On put croire un instant que la Révolution allait promener dans l’univers son étendard victorieux.
Voici quelle était, à cette époque, la situation de l’Allemagne :
Comme l’Europe, elle se trouvait encore au point où l’avaient laissée les traites de 1815.
L’Autriche, grâce au congres de Vienne, avait repris tout ce qu’elle avait perdu au traité de Campo-Formio. Elle possédait Venise, Raguse, les vallées de la Valteline, de Boomio et la partie des États du pape située sur la rive gauche du Pô Sa population était de 33,500,000 âmes.
La Prusse, on le sait, est un royaume tout moderne. Au moment où Frédéric Ier, son premier roi, fut reconnu par l’empereur, elle renfermait seulement le margraviat de Nuremberg, le margraviat de Brandebourg, une partie des Marches enlevée à la Pologne, Clèves, Juliers. la Poméranie et le duché de Magdebourg. Frédéric II, le grand Frédéric, l’agrandit de la Prusse occidentale, de la Prusse orientale, du cercle de la Haute-Saxe et de la Silésie.
En 1807, Napoléon donna au roi de Saxe les anciennes provinces prussiennes prises à la Pologne. Puis il forma encore, aux dépens de la Prusse, une partie du royaume de Westphalie.
En 1815, la Prusse reprit la Westphalie, la Franconie et une portion de la Saxe.
Elle recommença à disputer à l’Autriche le sceptre de la prépondérance en Allemagne. En 1848, ses bornes étaient : au nord la Baltique, à l’ouest les Pays-Bas, au sud la Saxe et l’Autriche, à l’est la Pologne. Elle comptait quinze millions d’habitants.
Depuis le traité ci a Vienne; la physionomie morale de l’Allemagne avait subi de légères transformations. Ainsi le roi de Bavière, en 1818, avait donné une constitution à son peuple ; le roi de Wurtemberg, en 1819; le roi de Saxe, en 1831; le roi de Hanovre, en 1833. Quant aux gros et puissants souverains, ils s’étaient bien gardés d’imiter cette conduite prudente ; et après avoir fait marcher leurs peuples au combat, au nom de la liberté, ils s’étaient empressés, après la victoire, de ne réaliser aucune de leurs promesses, donnant en cela une nouvelle preuve de la confiance que doivent avoir les nations dans les paroles royales.
En 1848, la Prusse avait pour roi Frédéric-Guillaume IV, frère aîné du Guillaume qui nous assiège. Ce Guillaume était né le 15 octobre 1795. Il était monté sur le trône le 7 juin 1840. Il passait pour aimer les arts, et avait même établi une décoration spéciale, consacrée au mérite civil. Comme ses pères, en politique, il rêvait l’unité de l’Allemagne à son profit, et une monarchie prussienne qui s’étendrait du Rhin au Danube et du Tyrol à la Russie.
En prenant possession du trône, il avait, comme tous les despotes – qui entendent leur métier, débuté par des mesurer libérales. Il avait donné une amnistie et comme un soupçon de liberté de la presse. Quelques États provinciaux naïvement encouragés, prononcèrent dès lors le mot de « constitution. »
Le roi fit semblant de ne pas entendre ; mais il fit procéder à l’élaboration d’un nouveau code pénal; on essaya de la publicité devant les tribunaux, et on se mit en devoir d’achever la cathédrale de Cologne.
Jusqu’en 1845, les choses allèrent de la sorte. En 1846, on trouva que la presse parlait trop haut et l’on y mit ordre. Or, si vous voulez savoir pourquoi le roi de Prusse refusait la constitution, apprenez que c’était par bonté d’âme. En 1847, en ouvrant les états-généraux, dont il venait de restreindre les attributions, il disait : « Je ne veux pas qu’il y ait un « parchemin » entre mon peuple et moi. »
Il continuait en critiquant la « construction artificielle d’un système représentatif, » et il jurait qu’entre le Dieu du ciel et la Prusse, il ne souffrirait jamais qu’il se glissât en quelque sorte une seconde Providence pour gouverner avec ses paragraphes et remplacer « l’antique et sainte fidélité. »
On croirait entendre son successeur railler le suffrage universel et attester le droit de conquête en bénissant le Seigneur.
La révolution de 1848 éclata à Paris.
L’ébranlement, comme nous l’avons dit, fut général. Le mouvement commença par le combat des montagnards de Nuremberg. La Hesse électorale, ce pays où les hommes étaient vendus par leurs princes comme des moutons, se souleva. Francfort suivit; puis la Saxe. Le roi de Wurtemberg fut contraint d’abolir la censure. De nombreuses députations arrivèrent à Darmstadt, demandant des réformes. Le duché de Nassau octroya une charte libérale. A Munich, le peuple exigea l’immédiate convocation des chambres.
Le roi de Prusse, lui, prit des mesures militaires; il mit Sarrelouis en état de siège.
Vains efforts. Il faut ici que nous insistions sur des faits qui prouvent dans quelle erreur sont tombés ceux qui font remonter la haine des Allemands contre nous jusqu’aux guerres de Napoléon et même jusqu’à la campagne de Turenne. En réalité, ce désir de guerre contre la France est né en Allemagne des manœuvres de Bismarck et des sottises du gouvernement impérial. En 1848, si cette haine avait existé, elle était parfaitement apaisée. Les Allemands comprenaient que la république française n’avait aucune velléité de conquête, et que leur véritable intérêt était l’alliance avec nous. La France libre ne leur paraissait point un obstacle à l’unité que beaucoup rêvaient. Est-ce donc la première fois que des peuples aveuglés ont été détournés de. leur véritable ligne de conduite par l’ambition de quelques hommes qui changent à la lois le sens des mots et les conséquences des principes ?
En voici la preuve. A Bade, le bruit s’étant alors répandu que les trois puissances principales de l’Allemagne formaient une alliance contre la France, le peuple demanda des armes pour combattre les agresseurs de la république française.
A Berlin, à Dresde., on lançait mille proclamations furieuses contre la Russie.
« L’ennemi, lit-on dans plusieurs d’entre elles, n’est pas au-delà du Rhin ; il est au-delà du Borysthène ; le fléau contre lequel il s’agit de défendre la civilisation menacée, ce n’est pas de Paris qu’il vient, mais de Pétersbourg. » Nous verrons tout-à-l’heure la bourgeoisie de Berlin exprimer le vœu que l’on ne fasse pas la guerre à la France.
Heureux les Allemands et les Français, s’ils avaient pu, dès lors, se connaître et s’entendre : ils ne s’entretueraient pas aujourd’hui, au bénéfice de quelques fous couronnés, leurs maîtres et, par conséquent, leurs ennemis.
A cette époque, les idées de liberté n’ étaient point encore faussées en Allemagne, on ne prenait point l’unité, sous un César, pour un progrès, et la guerre contre la France pour l’indépendance nationale. Le cheval, au risque de l’écurie, n’avait pas essayé de se venger du cerf, qui ne lui avait rien fait. Depuis dix ans, la vieille Allemagne était souterrainement travaillée par l’action incessante des sociétés secrètes. Tous les troubles qui éclataient avaient le même caractère, à la fois national et politique. Partout on réclamait, comme en France, le suffrage universel, la liberté de la presse, le droit de réunion, et (comme il y a loin de là à la guerre !) l’abolition de l’armée permanente.
[…]
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