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Excelsior 18 novembre 1920, p. 2/4

Fondé en 1910 par Pierre Lafitte, L’Excelsior constitua de son temps une petite révolution à l’échelle de la presse française. Journal quotidien mais construit sur le modèle des hebdomadaires illustrés, Excelsior offrait à son lectorat une trentaine de photographies par numéro, imprimées sur un papier de première qualité. Si le journal ne fut pas un  franc succès commercial, il poussa de nombreuses autres publications à publier de plus en plus de photographies dans leurs pages.


Excelsior_LA CHINE VOIT DANS LA FRANCE L'HÉRITIÈRE DE LA CIVILISATION MÉDITERRANÉENNE [18-11-1920]
Excelsior 18 novembre 1920, p. 2/4 (capture d’écran)

NOTRE EXPANSION EN EXTRÊME-ORIENT
LA CHINE VOIT DANS LA FRANCE L’HÉRITIÈRE DE LA CIVILISATION
MÉDITERRANÉENNE.

NOUS DEVONS
PARTICIPER A SON IMMENSE AVENIR


TEXTE INTÉGRAL

Nous avons en Chine, pour notre commerce, pour notre langue, pour notre expansion intellectuelle et morale, un domaine pratiquement illimité, où nous sommes préférés à tous nos concurrents, où nous sommes aimés.


LES RÉSULTATS DE LA MISSION DE M. PAINLEVÉ

L’Université de Paris, sur l’initiative de sa Faculté des lettres, vient de décider de conférer au président de la République chinoise, S. E. Hsu Cheu Tchang, le grade de docteur honoraire, c’est-à-dire la plus haute distinction honorifique dont elle dispose ; cette distinction n’a été accordée jusqu’ici qu’à six ou sept personnalités d’Europe et d’Amérique ; c’est la première fois qu’elle sera décernée a un Asiatique. La cérémonie qui, dans quelques semaines, déroulera dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne sera donc un événement historique ; et l’on devra louer sans réserves l’initiative de l’Université de Paris si sa décision, indépendamment des excellentes raisons qui la motivent et qui seront exposées dans la cérémonie solennelle du grand amphithéâtre, est pour les Français une occasion de méditer sur l’importance qu’a et que prend chaque jour plus grande la Chine dans le monde et sur l’intérêt tout spécial qu’ont pour la France ses relations avec elle.

Nous avons en Chine, pour notre commerce, pour notre langue, pour notre expansion intellectuelle et morale, un domaine pratiquement illimité, où nous sommes préférés à tous nos concurrents, où nous sommes désirés et aimés ; laisserons-nous par négligence, faute de quelques très légers sacrifices au moment opportun, dépérir ces possibilités immenses, tel Louis XV abandonnant les « arpents de neige » du Canada ?

Le gouvernement chinois et le président Hsu viennent de montrer tout le prix qu’ils attachent à leurs relations avec la France par l’invitation particulièrement flatteuse qu’ils ont adressée à M. Painlevé et par l’accueil qu’ils lui ont fait. Ceux qui ont eu la bonne fortune d’être les compagnons de M. Painlevé n’oublieront jamais l’enthousiasme de cet accueil ; je ne raconterai pas les banquets, les réceptions, les ovations, les discours ; je citerai seulement deux traits caractéristiques de la mentalité chinoise moderne ; le ministre des Affaires étrangères Lou, absent de Pékin à l’arrivée de M. Painlevé, lui adresse un télégramme où il compare avec éloquence son arrivée en Chine à l’arrivée de La Fayette en Amérique ; quelques semaines plus tard, à Shanghaï, les autorités chinoises, voulant honorer M. Painlevé par une fête sans aucun précédent, organisent une réception où les jeunes filles de l’élite de la société chinoise, pour la première fois en Chine, se trouvent mélangées à des Français et à des Françaises et dansent avec beaucoup de style les danses les plus modernes. Les journaux chinois de Shanghaï n’ont pas manqué de souligner le caractère absolument nouveau d’une telle réunion, dont la pensée seule aurait paru extravagante il y a peu d’années. Avec la jeune fille et la femme chinoise, c’est la famille chinoise, si jalouse de ses antiques traditions, qui s’ouvre à l’esprit moderne. Et l’esprit moderne, c’est avant tout la France ; car la Chine, très fière à juste titre de son antique civilisation, voit dans la France l’héritière de la civilisation méditerranéenne, la seule dont les titres de noblesse soient comparables à ceux de la civilisation chinoise ; d’autre part, la Chine moderne se sent irrésistiblement attirée vers le pays dont les philosophes, au dix-huitième siècle, ont proclamé la fraternité des races humaines et préparé la Déclaration des droits de l’homme. Il est émouvant pour un Français d’entendre un Chinois lui parler des pages de Voltaire sur la Chine.

Aussi la mission de M. Painlevé ne rapporte-t-elle pas seulement d’Extrême-Orient le souvenir d’un voyage superbe et d’un accueil incomparable ; elle en rapporte des accords importants et précis avec le gouvernement chinois, accords, déjà en partie exécutés, relatifs à l’envoi d’étudiants et de professeurs et aux échanges intellectuels en général ; elle a créé l’Association économique franco-chinoise et donné à la France sa place dans la réorganisation des chemins de fer chinois. Mais ces résultats, si importants qu’ils soient, sont peu de chose à côté de ce que peut nous donner, si nous le voulons, un avenir très prochain. Nous ne devons pas perdre de vue que c’est en Chine que se décidera, d’ici quelques dizaines d’années, la question de savoir s’il y aura deux grandes langues dans le monde, le français et l’anglais, ou si l’anglais régnera en maître partout, le français étant réduit à un rôle purement local. Mon ami Pierre Mille signalait ici même, il y a quelques jours, l’effort intense de propagande pour la langue anglaise en Orient ; cet effort n’est pas moindre en Extrême-Orient, où la situation acquise est, contrairement, à l’Orient, déjà en faveur de l’anglais, si l’on met à part notre admirable Indochine. Le français n’a pour lui que les forces morales ; mais nulle part plus qu’en Chine ces forces ne gouvernent les hommes ; si nos administrations n’y mettent pas obstacle par une inertie coupable, le français peut devenir pour un très grand nombre de Chinois la langue européenne auxiliaire dont ils ont besoin à côté de leur langue maternelle. Lorsque ces jeunes hommes, qui étudient dans nos universités et nos écoles techniques, auront organisé leur vieux pays, mis en valeur ses admirables richesses naturelles et transformé le vieil empire millénaire en une république moderne qui sera de beaucoup la plus peuplée et le plus riche pays du monde, ce sera pour la France une source de richesse et d’influence pacifique, inestimable, si les dirigeants de cette République parlent notre langue et regardent la France comme leur seconde patrie intellectuelle.

Mais il faut pour cela que tous les Français croient a cet avenir ; si quelques-uns en doutaient, qu’ils aillent seulement dans le port de Shanghaï et regardent, en remontant la rivière, les innombrables usines et entrepôts surgis de terre depuis moins de dix ans ; ils reviendront convaincus, comme le sont tous ceux qui ont vu d’un peu près la Chine depuis quelques années, que le développement industriel et commercial de la Chine au vingtième siècle dépassera celui des États-Unis au dix-neuvième siècle. La France doit y avoir sa part.

Emile BOREL,

directeur honoraire de l’Ecole normale supérieure, professeur: à la Sorbonne,

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