Aux origines des relations culturelles contemporaines entre la France et le monde arabe (Rouchdi Fakkar, 1972)
Aux origines des relations culturelles contemporaines entre la France et le monde arabe : l’influence française sur la formation de la presse littéraire en Égypte au XIX siècle / Rouchdi Fakkar. Éditeur : (Paris) Date d’édition : 1972 Sujet : Périodiques égyptiens Sujet : Littérature — Périodiques Type : monographie imprimée Langue : français Langue : Français Format : 175 p.

Aux origines des relations culturelles contemporaines entre la France et le monde arabe : l’influence française sur la formation de la presse littéraire en Égypte au XIX siècle

Rouchdi FAKKAR

Professeur à l’Université de Rabat


PRÉFACE

Quand elle est fondée seulement sur des comparaisons (le « ceci engendre cela »), l’étude des influences ne satisfait que des curieux peu familiarisés avec la véritable histoire, qui est une science de l’homme. Si l’on veut comprendre une nation, ses éléments vitaux, son esprit, il faut effectuer bien des recherches et s’attacher à connaître les ferments les plus puissants, que l’historien a pour tâche d’identifier et d’isoler. Pour nous faire saisir la physionomie intellectuelle de l’Egypte contemporaine, Rouchdi Fakkar s’est attaché à nous montrer ce qu’elle doit à l’influence de la France en étudiant de près, d’une part les journaux français publiés dans ce pays depuis l’expédition de Bonaparte, d’autre part la presse égyptienne abreuvée par des sources françaises.

C’est la première fois qu’on ose traiter ce difficile sujet, et pour cela nul n’était mieux qualifié que M. Fakkar, qui connaît à merveille la France et la Suisse, où il a soutenu ses thèses de doctorats, et l’Egypte, dont il connaît la langue et où il a reçu une partie de sa formation. Actuellement professeur à l’Université de Rabat, Rouchdi Fakkar est connu par de nombreux travaux et particulièrement par un excellent livre « Sociologie, Socialisme et Internationalisme prémarxistes », où il a étudié avec une science très sûre l’influence de Saint-Simon dans le monde.

Guidés par lui, nous assistons aux efforts des Français de l’époque napoléonienne, puis de ceux que fit venir et protégea Mehemet Ali, pour régénérer au moins matériellement un pays que la domination turque laissait dans un triste état. La presse fit connaître aux Egyptiens l’activité journalistique et littéraire de la France, ses grands écrivains, quelques-unes de ses meilleures pièces de théâtre. Et surtout, après l’occupation anglaise de 1882, par réaction contre l’envahisseur, les Egyptiens instruits allèrent cueillir en France les idées nationales et progressistes. Les journalistes syriens de culture française vinrent à leur aide.

Les traducteurs ou adaptateurs firent des prodiges en mettant les livres et les articles de journaux publiés en France à la portée de leurs concitoyens, en dépit des moyens trop restreints que fournissait la langue arabe classique. Il fallut forger des mots, en les accompagnant souvent d’une explication, créer aussi un style bien différent de la ridicule prose rimée longtemps en honneur, un style aisé et clair, plus proche de la réalité populaire.

Ce contact avec la culture occidentale était tout fait pour répandre des idées de liberté, d’égalité, de fraternité, pour entamer la réforme de la famille, et surtout la libération de la femme, enfin pour lutter contre les superstitions que des ignorants avaient accolées à la noble religion islamique. Et cette influence n’aboutit pas à un asservissement de l’Egypte à la culture occidentale, mais à une libération, à un réveil national qui peut engendrer une nation originale et forte. En somme, comme le dit fort bien l’auteur, ce fut le levain de la Nahda arabe.

J’espère que tous ceux qui s’intéressent à la vie du Proche-Orient sauront apprécier le grand service que leur rend le livre si clair et si suggestif du professeur Fakkar.

Marcel EMERIT

Correspondant de l’Institut de France


AVANT-PROPOS

La base de cet ouvrage est, en majeure partie, constituée par une thèse de doctorat, traitant l’influence culturelle et la pensée sociale française dans la presse d’Egypte au XIXe siècle, et que nous avons soutenue en Sorbonne le 26 mai 1956. Dix-sept ans, ou presque, étant passés depuis l’élaboration de cette étude, une mise à jour, au prix de certaines modifications portées soit sur la forme de sa présentation soit sur le contenu lui-même, est devenue nécessaire pour la rendre plus actuelle, voire plus conforme aux buts visés par sa publication.

En effet, la publication de cet ouvrage, à l’heure actuelle vise un double but. Il s’agit d’abord de renforcer les relations et les contacts culturels entre le monde arabe et la France qui, à présent, nous paraît encore plus digne de notre admiration, grâce à sa politique méditerranéenne clairvoyante et souvent juste envers les Arabes. Ensuite nous voulons démontrer, dès l’origine, la démarche et la diffusion de la culture française, ses idées sociales et progressistes dans le milieu intellectuel arabe contemporain en Egypte, comme exemple, et par sa presse littéraire comme principal facteur de transmission et même d’acculturation.

En présentant cet ouvrage, nous tenons à remercier tous ceux qui, par leur aide, ont facilité sa publication et tout particulièrement Monsieur Marcel Emerit, Correspondant de l’Institut de France, qui a bien voulu l’honorer d’une préface.

R. F.


INTRODUCTION

Les rapports entre l’Egypte et la France remontent aux Croisades. Ces rapports se resserrèrent encore lorsque François Ier conclut avec Soliman le Magnifique, en 1536, son fameux traité d’alliance. C’est à ce traité que se rattache la reconnaissance au Roi chrétien d’une sorte de mandat de protection sur les chrétiens d’Orient et la première des douze capitulations que la France allait obtenir de son amie turque au cours des deux siècles qui suivirent. Le Royaume se vit garantir une sorte de monopole de la navigation et du commerce dans des échelles du Levant. Les sujets des autres nations ne purent même trafiquer que sous les bannières du Roi, jusqu’à ce que les divers Etats de l’Europe fussent entrés en relations directes avec l’empire ottoman et eussent les uns après les autres, obtenu des concessions analogues à celles obtenues par la France. Mais les consuls français restaient les plus nombreux. C’étaient eux qui avaient le plus grand nombre de « protégés », soit que ceux-ci fussent des étrangers n’ayant pas de consul de leur nationalité, comme les Suisses, soit que ce fussent des sujets ottomans qui trouvaient avantage à jouir des garanties et privilèges accordés aux Français en vertu des capitulations.

C’est alors que l’influence de la France fut prépondérante en Egypte et dans tout l’empire ottoman. Elle devait durer jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Ces rapports ont fait l’objet de nombreuses études dont une des plus importantes se trouve être Voyageurs et écrivains français en Egypte de Jean-Marie Carré.

Avec l’expédition d’Egypte en 1798, le XIXe siècle vit la naissance d’une nouvelle forme de rapports ; c’est une date importante dans l’histoire de l’Egypte. Il n’est pas exagéré de dire que les réactions de certaines conséquences de l’expédition peuvent être considérées comme la base de la renaissance moderne de l’Egypte, ainsi qu’il apparaît des études consacrées à ce sujet.

Cependant, ces études, si nombreuses qu’elles soient et bien qu’elles aient porté sur les divers aspects de l’influence française, semblent avoir omis un côté qui nous apparaît digne d’intérêt : c’est l’influence française sur la formation de la presse en Egypte. Nous ne pouvons nier que certains auteurs aient effleuré ce sujet en étudiant l’influence française sur la vie culturelle de l’Egypte. Cependant, nous ne connaissons jusqu’à présent aucune étude traitant le fond de la question qui nous intéresse.

Cette lacune nous a incité à choisir cet aspect de l’influence française sur la presse littéraire en Egypte, comme sujet de cet ouvrage.

Une fois le sujet bien défini, il nous restait à effectuer les recherches nécessaires dans les revues et les journaux ayant trait à notre étude. Nous commençâmes par les bibliothèques de Paris : Bibliothèque Nationale, Bibliothèque des Langues Orientales, Bibliothèque de l’Arsenal, Bibliothèque de la Sorbonne, etc. où nous avons trouvé bon nombre de revues dont la plupart avaient été publiées pendant l’expédition de Bonaparte. En vue de compléter notre documentation, nous sommes allés sur place compulser de bonnes collections de la presse égyptienne du XIXe siècle.

A l’Institut français du Caire, nous avons trouvé une collection classifiée de la plupart des journaux de langue française parus en Egypte dans le courant du XIXe siècle. A la Bibliothèque de la Citadelle, nous avons trouvé une riche collection de la plupart des journaux parus en arabe dans le courant du XIXe siècle. Nous avons cependant rencontré quelques difficultés à séparer ces journaux de ceux parus dans les autres pays de l’empire ottoman. Il manque à cette collection un catalogue raisonné.

Mais la plus grande difficulté consista à reconstituer la presse littéraire en Egypte et à la séparer des autres aspects de ce genre de publications. En effet, bien que la presse soit en ce moment en plein essor en Egypte et que plusieurs instituts s’en occupent exclusivement, il n’a été effectué aucun travail pour dégager cet aspect, à l’exception de quelques tentatives d’études de personnalités littéraires qui ont fait du journalisme en Egypte au XIXe siècle. Nous nous sommes donc efforcé de trier les journaux et les revues proprement littéraires ainsi que les publications ayant des aspects littéraires. Mais ajoutons tout de suite qu’il n’est pas possible de dire que l’Egypte du XIXe siècle possédait une presse spécifiquement littéraire aux sujets bien définis, comme c’était le cas en France depuis déjà assez longtemps. Il faut attendre la deuxième moitié du XIXe siècle pour assister à la naissance des revues purement littéraires.

Lorsque nous eûmes terminé l’étude de ces collections et la compulsion des références nécessaires à notre sujet, le plan d’étude que nous nous proposions et la méthode à suivre pour la mener à bien, se dégagèrent d’eux-mêmes.

C’est avec l’expédition de Bonaparte que la presse a pris naissance en Egypte. Mais disons tout de suite que cette première presse n’était pas tout-à-fait littéraire et malgré son titre : Revue littéraire, ne présente qu’un aspect très mince du point de vue que nous étudions. Nous essaierons d’expliquer plus loin la raison de cette lacune.

La deuxième partie de notre étude portera sur l’évolution de la presse de langue française en Egypte depuis le départ de l’expédition jusqu’à la fin du XIXe siècle. Nous tenterons tout d’abord de donner une idée de la formation de la presse littéraire en langue française. Après quoi nous traiterons de l’influence française sur cette presse, ses facteurs, sa nature et ses conséquences et nous essaierons de montrer l’extension de cette influence à la presse littéraire en langue arabe qui fera l’objet de la troisième et dernière partie de notre ouvrage. Nous y donnerons une idée de la formation de la presse littéraire en arabe durant le XIXe siècle, nous y étudierons ensuite les chemins qu’a empruntés l’influence française dans ce domaine, ainsi que ses divers aspects et ses conséquences soit sur l’orientation de la presse littéraire, soit sur l’orientation de la littérature égyptienne moderne. Nous montrerons que cette influence était axée la plupart du temps sur certaines personnalités littéraires plutôt que sur les écoles littéraires, et tenterons d’en expliquer les causes sans omettre de souligner les conséquences de ce genre d’influence.

Notre étude s’arrêtera à la fin du XIXe siècle, car l’influence française en Egypte au XXe siècle a pris une ampleur telle qu’elle mérite à elle seule plusieurs autres travaux.

Cette modeste étude aura peut-être quelque utilité, ce sera la première tentative faite pour analyser ce que nous appelons « la presse littéraire en Egypte » ; elle nous donnera en même temps une idée du rôle joué par l’influence française dans la formation de cette presse et de là, dans la vie intellectuelle égyptienne en général. Au surplus, elle nous apportera une contribution à l’étude des origines des relations culturelles contemporaines entre la France et le monde arabe, car la presse littéraire d’Egypte a toujours été et demeure le pont, voire le trait d’union entre la culture française et la vie intellectuelle arabe d’une manière générale, vu le rôle important joué par l’Egypte au sein de ce monde arabe à nos jours.


PREMIÈRE PARTIE
LA NAISSANCE DE LA PRESSE EN ÉGYPTE
ET L’INFLUENCE FRANÇAISE

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33752756/f27.item.texteImage

 

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