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Marquis Louis. L’influence du modèle juridique français sur le droit québécois de l’arbitrage conventionnel. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 45 N°3, Juillet-septembre 1993. pp. 577-618.

www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1993_num_45_3_4728

 

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RÉSUMÉ

L’objectif de la présente étude, qui traite de l’influence du modèle juridique français sur le droit québécois de l’arbitrage conventionnel, consiste à apporter une définition encore plus claire des tenants et aboutissants de ce mode privé de règlement des différends et, partant de mieux évaluer ce que la société peut en attendre, à la lumière de la réflexion profonde entreprise récemment par la communauté juridique sur la place potentielle du règlement déjudiciarisé des conflits dans l’ordonnancement actuel et prochain de la justice au Québec. Dans une première partie, l’auteur analyse cette influence dans une perspective historique. Il en ressort que l’action du droit français fut successivement heureuse et malheureuse. D’abord, elle contribua à la création d’une justice populaire, nécessaire en raison de l’absence d’un système judiciaire structuré. Elle se fit également sentir à l’avantage de l’arbitrage lorsque la justice étatique n’arrivait plus à satisfaire aux exigences de la population. Mais, ensuite, elle servit à placer le droit québécois de l’arbitrage dans une situation sans issue vraisemblable d’épanouissement. L’expression la plus sensible de cette influence et de son résultat se matérialisa dans le désaveu exprimé à l’égard de la clause compromissoire. Par ailleurs, il faudrait se garder de voir dans le recours au droit français l’unique explication de la montée comme de la descente de l’arbitrage. La seconde partie envisage l’objet de l’étude dans une perspective moderne. A cet égard, l’auteur avance que la réforme du droit québécois datant de 1986 et inspirée de la loi type de la C.N.U.D.C.I., convie le juriste à une ouverture sur un monde plus grand et plus diversifié qu’auparavant. Toutefois, pour un ensemble de motifs bien identifiés, il ressort que le droit français conservera, pour les temps à venir, sa pertinence et qu’il jouera un rôle certain dans l’évolution future du droit québécois de l’arbitrage conventionnel.


Plan

Introduction

A. Perspective historique

1) L’évolution du droit français dans une perspective historique
2) L’influence du modèle juridique français des origines de la Nouvelle-France la codification de la procédure civile de 1867
3) L’influence du modèle juridique fran ais de la codification de 1867 aux années 1980
B. Perspective moderne

1) Les réformes des droits français et québécois de arbitrage
2) avenir de la tradition française
Conclusion


L’INFLUENCE DU MODÈLE
JURIDIQUE FRANÇAIS
SUR LE DROIT QUÉBÉCOIS
DE L’ARBITRAGE CONVENTIONNEL
par
Louis MARQUIS
Avocat au Barreau du Québec et professeur
a la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke

Introduction

Du vécu récent de la communauté juridique québécoise apparaissent plusieurs signes révélateurs de l’amorce d’une réflexion profonde sur la place potentielle du règlement déjudiciarisé des conflits dans l’ordonnancement actuel et prochain de la justice au Québec. Ce retour des choses sur elles-mêmes, peu importe le tracé qu’il suivra, ne pourra ignorer l’arbitrage. En effet, le passé lointain de l’institution, sa perpétuation à travers les époques et les débats qu’elle a toujours suscités relativement à sa remise en cause du statut monopolistique des tribunaux étatiques lui confèrent spontanément une sorte de privilège d’être prise en considération.

Le thème de la présente étude, l’influence du modèle juridique français sur le droit québécois de l’arbitrage conventionnel, s’intègre à l’intérieur de ce questionnement. Son objectif consiste à apporter une contribution additionnelle en vue d’une définition encore plus claire des tenants et aboutissants de ce mode privé de règlement des différends et, partant, de mieux évaluer ce que la société peut en attendre. Dans une première partie, nous envisagerons l’influence française sur notre droit dans une perspective historique. Ce cheminement permettra de mieux situer l’impact, sur l’avenir de la tradition française en territoire québécois, des réformes intervenues en France et au Québec durant les années 1980, lesquelles forment la perspective moderne, seconde partie de l’étude.


A. Perspective historique

En soi, l’évaluation de l’influence française, comme toute autre analyse réalisée dans une perspective historique, risque de se buter à des difficultés reliées au repérage des sources d’information. Paradoxalement, un des avantages réels ou supposés de l’arbitrage, son caractère confidentiel, accroît considérablement l’acuité du problème. L’on ne pourra prendre connaissance des détails relatifs à un arbitrage que dans la mesure où son déroulement a été marqué par un recours aux tribunaux étatiques (nomination judiciaire d’un arbitre, homologation de la sentence arbitrale, etc.) et qu’un rapport de jurisprudence a exposé de quoi il en retournait. Cela est particulièrement vrai pour la période qui va des origines de la Nouvelle-France jusqu’à la codification de la procédure civile du Bas-Canada de 1867, que nous couvrirons après avoir relaté les principaux événements de l’histoire du droit français. C’est dire que, sur ce terrain, la mesure de l’influence française ne peut se faire qu’à l’intérieur d’une marge d’erreurs elle-même délicate à préciser et en échange de quelques suppositions. Heureusement, par la suite, la codification et la mise en place graduelle d’un système de publication des jugements plus ordonné améliorèrent sensiblement la situation. Ces facteurs permirent d’augmenter l’impact de l’influence française sur notre droit de l’arbitrage conventionnel et, donc, de fonder l’analyse sur des éléments tangibles plutôt que sur des apparences, comme nous le verrons dans la dernière partie de cette section.

Une remarque supplémentaire s’impose avant d’aller plus loin. Bien que cette étude se limite à l’arbitrage dit conventionnel, c’est-à-dire structuré en fonction d’une convention dont l’objet consiste à « soumettre un différend né ou éventuel à la décision d’un ou de plusieurs arbitres, à l’exclusion des tribunaux », il serait erroné de passer sous silence, dans une perspective historique, d’autres formes connues de ce mode privé de règlement des conflits. Nous pensons, notamment, à l’arbitrage forcé ou obligatoire, qui exista dans l’ancien droit français et aussi en Nouvelle-France. Les répercussions d’ordre juridique que la pratique de celui-ci entraîna sur l’arbitrage conventionnel imposent que nous nous y arrêtions. C’est en tenant compte de ces observations préliminaires que Ton peut maintenant aborder le thème central de ce texte dans une optique historique.


1) L’évolution du droit français dans une perspective historique

L’évolution du droit français de l’arbitrage s’inscrit à l’intérieur d’un long processus historique. Elle comprend une suite de transformations dont les premières manifestations remontent à l’époque du droit romain. Les traces laissées par l’arbitrage à ce moment sont perceptibles à deux niveaux. D’un côté, le processus judiciaire connut quelques formes d’arbitrage, tout spécialement dans les temps reculés de cette période. C’était le cas pour les actions de la loi, la plus ancienne procédure judiciaire romaine. Son déroulement consistait en une comparution devant un magistrat soumis par la loi à la prononciation de quelques paroles et à la désignation d’un « décideur ». Suivant la nature du litige et la qualité des parties, ce « décisionnaire » remplissait sa fonction en tant que juge ou arbitre. Il semble, d’après M. Gaudemet, que la voie de l’arbitrage était préférée à celle de l’adjudication par un juge lorsque des facteurs extrajuridiques prenaient une importance particulière à l’intérieur d’un différend. Plus tard, lors de l’apparition de la procédure formulaire, de nouvelles catégories d’actions furent créées à l’égard desquelles le renvoi à l’arbitrage fut également permis. Cet élargissement du domaine d’application de l’arbitrage se rétrécira pour disparaître entièrement avec l’arrivée de la procédure extraordinaire. Les techniques arbitrales seront alors évacuées de l’appareil judiciaire au profit du magistrat qui deviendra le seul représentant de l’autorité publique. D’un autre côté, l’arbitrage se rencontra aussi en marge du système judiciaire. Les pratiques diverses amenèrent progressivement le développement d’un arbitrage avec une dominante contractuelle : d’une part, des parties pouvaient choisir, par le biais d’un contrat appelé compromis, de s’en remettre à ce mode de règlement ; d’autre part, la relation juridique entre les parties et l’arbitre s’établissait à partir d’un receptum arbitrii, convention renfermant l’engagement de l’arbitre de disposer du litige. Aussi vit-on l’arbitrage boni viri, ou arbitrage d’un homme de bien, qui était investi d’une simple autorité morale. L’opportunité d’utiliser cette voie découlait notamment de l’absence de sanction rattachée à l’exécution fautive d’une partie dans le cadre de certains contrats synallagmatiques. Au lieu de voir leurs rapports s’envenimer, les parties tentaient de régler leur problème par un appel à cet homme de bien.

Dans la France du Moyen Age, en particulier à compter du XIIe siècle, l’arbitrage connut un essor important. La justice arbitrale, de par la rapidité avec laquelle elle assurait le règlement des litiges, tendit à se substituer aux différentes formes de justice officielle (tribunaux ecclésiastiques, seigneuriaux, etc.), où l’on se perdait en conflits de compétence et dans de multiples moyens de contestation, et elle profita de l’action exercée par l’Église en faveur du règlement pacifique des conflits. Elle correspondait aussi davantage aux intérêts communs de divers groupes sociaux (famille, village, communauté religieuse) dans lesquels le sentiment d’appartenance et d’autonomie rendait indésirable l’intervention extérieure des autorités étatiques. Mais ces dernières virent également, à cette époque, l’arbitrage d’un bon œil. A l’instar de l’arbitrage existant au sein d’une communauté, qui s’avérait fréquemment obligatoire, elles adoptèrent une série de statuts et d’ordonnances dont l’objectif consistait à imposer cette méthode de règlement dans les affaires familiales et commerciales. Tant et si bien que juste avant d’entrer dans la période du droit intermédiaire, l’arbitrage, en vertu de son expérience passée substantielle, se présentait sous l’angle d’une institution spécifique sur le plan juridique. Socialement, il allait constituer l’instrument à la base de la contestation menée à l’égard de la justice étatique lors de la Révolution française. Idéologiquement, il cadrera parfaitement avec la doctrine en cours qui voyait, dans la volonté des hommes, le fondement des rapports sociaux et juridiques.

En tant que tel, le passage de l’arbitrage à travers ce moment de l’histoire fut marqué par son élévation à un niveau jusqu’alors inégalé. L’Assemblée constituante consacra, dans un principe constitutionnel irrévocable, le droit de tous et de chacun de recourir à ce moyen. Dès lors, en toute logique, aucune limite ne fut levée quant à la possibilité de régler par voie d’arbitrage les litiges, et les arbitres, personnifiant l’idéal de justice des révolutionnaires, se virent dégagés de plusieurs contraintes, telle la fixation d’un délai pour rendre leur décision. De même, ne sera-t-on pas surpris de constater l’accroissement significatif des cas d’arbitrage obligatoire, qui ne connurent toutefois pas beaucoup de succès. Ainsi, un décret du 10 juin 1793 relatif au mode de partage des biens communaux prévoyait le renvoi à l’arbitrage des différends au sujet des droits dont la féodalité avait dépossédé les communes. Mais l’expérience se révéla rapidement décriée par suite des injustices commises par les arbitres qui affichaient un parti pris évident envers ces dernières. La situation n’était pas davantage reluisante dans les autres domaines réservés à l’arbitrage forcé, qui se voyait désormais l’objet d’un dénigrement généralisé et dont on réclama l’abolition. Les effets de ce mouvement se prolongèrent jusqu’à atteindre l’arbitrage volontaire, et se firent sentir avec beaucoup d’acuité au moment de la codification de la procédure civile française.

C’est animés d’un sentiment de méfiance à l’égard de l’arbitrage que les rédacteurs du Code de procédure civile travaillèrent à l’élaboration du titre qui lui était réservé. Leur but consistait à s’éloigner de la conception du droit révolutionnaire pour se rapprocher de ce qu’ils considéraient représenter la véritable nature de l’institution et du rôle que celle-ci pouvait jouer dans l’administration de la justice. Or, cette nature et ce rôle étaient dominés par l’idée que l’arbitrage n’offrait qu’une justice secondaire à côté de celle rendue par les tribunaux étatiques. A ce titre, on lui rendit applicable une série de règles restrictives qui en faisaient un moyen peu commode de régler des différends. A ce déclin, sur le plan législatif, s’ajouta « au milieu du XIXe, une hostilité accrue (…), en relation avec les tendances positivistes (…) alors prévalantes ». Le tout se répercuta dans la politique judiciaire pour aller frapper de plein fouet un instrument essentiel à la viabilité de l’arbitrage dans n’importe quel système juridique : la clause compromissoire. En 1843, dans l’affaire Comp. l’Alliance c. Prunier, celle-ci était déclarée invalide en vertu du droit issu de la codification. La jurisprudence ne tarda pas à revenir sur sa position. Elle réadmit la validité de la clause en matière internationale afin d’ajuster le droit français sur celui de ses principaux partenaires commerciaux et atténua les rigueurs du nouveau Code de procédure civile. Cependant, ce n’est vraiment qu’à compter du XXe siècle qu’émergèrent différents îlots sur lesquels allait reposer le droit français moderne.

Après de multiples discussions et projets de lois, on finit par réhabiliter la clause compromissoire en droit interne, mais seulement là où la demande se faisait insistante, c’est-à-dire dans les matières commerciales. Réalisée par le biais de la loi du 31 décembre 1925, cette innovation profita par la suite de changements importants en jurisprudence. D’une part, les tribunaux commencèrent à développer les moyens nécessaires pour assurer l’exécution forcée de la convention d’arbitrage. Essentiellement, cela signifiait de rendre possible la constitution du tribunal arbitral et de permettre à ce dernier de remplir sa mission en dépit de la résistance de l’une des parties impliquées. Aussi, la jurisprudence reconnut le pouvoir de l’arbitre de se prononcer sur la validité et les limites de son investiture. Le tout demeurait insuffisant pour procurer à l’arbitrage l’épithète de moyen efficace de règlement des conflits, mais il était clair qu’il profitait d’un mouvement de faveur en progression qui se matérialisa lors de la réforme de 1980-1981.


2) L’influence du modèle juridique français des origines de la Nouvelle-France la codification de la procédure civile de 1867

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