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Flogaitis Spyridon. Grèce. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 41 N°4, Octobre-décembre 1989. pp. 867-871.

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Plan

I. Le recours à l’étude des droits étrangers en tant que méthode de travailA. Les emprunts aux systèmes juridiques étrangers et la façon selon laquelle la doctrine a évolué, sont à l’origine du comparatisme
B. Les péripéties politiques du pays ainsi que l’inexistence d’une juridiction administrative intégrée jusqu’au début des années 80 n’ont pas contribué au développement du droit administratif hellénique vers son autonomie scientifique
II Le droit administratif comparé en tant qu’objet d’étude entre la non reconnaissance de la matière et l’inexistence d’études comparativesA. La non reconnaissance de la matière dans les programmes d’études
B. L’inexistence d’études comparatives publiées
Conclusion


TEXTE INTÉGRAL

Spyridon FLOGAITIS

Professeur à l’Université nationale et capodistrienne d’Athènes

Pour aborder le thème évoqué, il faut distinguer entre deux façons de le concevoir : se référer aux droits étrangers à l’occasion de l’étude d’une question nationale est une chose, et faire du droit comparé dans le domaine du droit administratif en est une autre. Les deux procédés sont utilisés en Grèce, le premier beaucoup plus que le second qui est tout de même le seul qui entre directement dans le sujet qui fait l’objet de cette rencontre internationale. Il faut donc étudier d’une part le recours à l’étude des droits étrangers en tant que méthode de travail, et d’autre part le droit administratif comparé en tant qu’objet d’étude.


I. Le recours à l’étude des droits étrangers en tant que méthode de travail

On considère généralement en Grèce, tant au sein des Universités qu’au niveau de l’élaboration des jurisprudences, qu’il est souhaitable que le juriste cherche ses points de références non seulement dans le droit hellénique, mais aussi dans les droits et systèmes juridiques étrangers. Il y a même des scientifiques qui pensent que la qualité du bon juriste dépend considérablement de son aptitude de suivre les évolutions des droits et des jurisprudences des principaux pays dont les systèmes ont traditionnellement influencé la Grèce. Cette attitude est due en partie aux emprunts étrangers, et en partie à l’état actuel du développement de la doctrine du droit administratif hellénique.


A. Les emprunts aux systèmes juridiques étrangers et la façon selon laquelle la doctrine a évolué, sont à l’origine du comparatisme

Au début du siècle dernier, la Grèce a donné un exemple unique, au moins dans l’histoire des États européens : Issue d’une révolution sanglante victorieuse contre les Ottomans, elle a dû payer aux Grandes puissances de l’époque le tribu qui leur revenait pour l’aide qu’elles avaient apporté à la cause des révoltés ; la Grèce devait s’ériger en État Monarchique avec Otton le fils cadet du roi de Bavière Ludwig Wittelsbach, à sa tête. Otton, roi de Grèce, venait dans le pays avec un ensemble de conseillers, de soldats et d’amis, pour bâtir sur la terre ancienne une organisation étatique à l’européenne, au nom des Grecs, mais sans trop se soucier de leurs sentiments démocratiques, leurs traditions, leurs coutumes. Une Régence composée par trois conseillers du roi de Bavière a préparé pendant trois ans l’arrivée au trône d’Otton. Georg-Ludwig von Maurer, professeur du droit public français à l’Université de Munich et conseiller du Roi a été le jurisconsulte de la Régence. Pendant une année et demi, il a travaillé pour doter la Grèce des codes pénal, de procédure pénale, de procédure civile, etc. et des institutions administratives. Fils de pensée française et du mouvement constitutionnel allemand, il a introduit en Grèce les institutions les plus modernes de l’époque, à savoir les institutions françaises, interprétées tout de même du point de vue des constitutionnalistes allemands. L’influence française sur les institutions a marqué aussi la réforme de Vénizélos dans les années 1910 ainsi que la réforme la plus importante pour le développement du droit administratif hellénique, la création du Conseil d’État comme haute juridiction administrative à l’image plus ou moins de la Section du contentieux du Conseil d’État français.

Vers la fin du siècle précédent, Saripolos, qui est devenu plus tard professeur de droit public à l’Université d’Athènes, faisait ses études de doctorat à Paris, sur des idées qui ont fait enseigner en France — pour reprendre Duguit — les théories publicistes du positivisme allemand qui connaissait à l’époque son siècle d’or. De retour en Grèce il a mis les fondements de la nouvelle conception positiviste du droit public hellénique. A la même époque, un autre juriste grec, Angélopoulos, qui allait devenir à son tour aussi professeur à l’Université d’Athènes, a fait ses études à l’Institut des sciences politiques de Paris. Cependant, de retour au pays, il a séjourné pour une plus brève période à Vienne, et plus tard il a introduit, voire imposé en Grèce la conception allemande du droit administratif et sa doctrine. Comme il n’y avait pas de Conseil d’État hellénique, le manque d’une jurisprudence administrative allemande comparable à celle du Conseil d’État ne posait pas de problème.


B. Les péripéties politiques du pays ainsi que l’inexistence d’une juridiction administrative intégrée jusqu’au début des années 80 n’ont pas contribué au développement du droit administratif hellénique vers son autonomie scientifique

Cette double influence doctrinale, française et allemande a dû se perpétuer à travers les études des jeunes juristes hellènes qui sont incités à faire leurs études post-universitaires en Europe, et sous le poids de plusieurs facteurs. Or, l’essence des institutions à interpréter, la nécessité pour les membres du jeune Conseil d’État hellénique de recourir à des jurisprudences administratives étrangères et surtout à celle du Conseil d’État français, et la culture juridique des administrativistes hellènes ont été des facteurs déterminants pour le recours aux droits étrangers en tant que méthode de travail scientifique.

Entre temps, le droit administratif hellénique ne pouvait, pour d’autres raisons, gagner sa maturité et se présenter comme autonome à l’égard de ses sources de réflexion. Une première raison a été l’inexistence jusqu’à très récemment d’une juridiction administrative intégrée qui permettrait le développement de la jurisprudence en dehors du champs du recours pour excès de pouvoir. Une deuxième raison, beaucoup plus importante, a été celle qui était dictée par les aventures politiques que le pays a connu depuis un peu avant la deuxième guerre mondiale jusqu’en 1974, date de l’écroulement de la dictature des colonnels. Pendant toute cette période les jeunes Grecs évitaient le droit public et s’orientaient plutôt vers le droit civil ou le droit commercial pour ne pas se trouver un jour en difficulté avec le pouvoir. D’ailleurs, l’étude du droit privé offrait plus de débouchés vers la profession d’avocat, étant donné d’ailleurs qu’une juridiction administrative de plein contentieux intégrée n’existait pas. La carrière universitaire y contribuait aussi à sa propre façon : le nombre trop restreint des chaires universitaires des Facultés de droit obligeait les jeunes à rester en dehors des Universités jusqu’à atteindre un âge très avancé ; entre temps il fallait travailler et même se distinguer comme avocat, et la terre d’élection des avocats, pour les raisons déjà évoquées, a toujours été le droit privé.

Le changement dans tous ces facteurs va sûrement contribuer à la mise en marche d’une nouvelle période : les années de la dictature ont permis à toute une génération de jeunes juristes de se sensibiliser aux problèmes et à la nécessité de créer un État moderne et avancé au sein de la Communauté économique européenne ; en France ou en Allemagne, ils ont étudié le droit administratif. La carrière universitaire commence maintenant à un âge raisonnable. La juridiction administrative donne de nouvelles perspectives aux jeunes avocats. Dans cette nouvelle phase le droit administratif grec a besoin de sources étrangères beaucoup plus que jamais, et par voie de nécessité les études se basent sur des éléments comparatifs. On dirait que l’enseignement du droit administratif comparé aurait une place dans les programmes d’études des Facultés de droit ; or, ce n’est pas le cas.


II Le droit administratif comparé en tant qu’objet d’étude entre la non reconnaissance de la matière et l’inexistence d’études comparatives

Malgré la nécessité évidente d’introduire le droit administratif comparé dans le programme des Facultés, aucune d’entre elles n’offre cet enseignement. Il s’agit d’une des raisons pour lesquelles les études comparatives publiées sont rarissimes.


A. La non reconnaissance de la matière dans les programmes d’études

Aucune Faculté de droit ne compte le droit administratif comparé parmi ses cours. La Faculté de droit de l’Université nationale capodistrienne d’Athènes a reconnu dans les dernières années une place très importante à l’enseignement du droit administratif hellénique, mais elle n’a pas été sensible à la nécessité d’introduire un enseignement comparatif. L’inexistence de cours de 3e cycle en est une des raisons.

Pour répondre à la nécessité évidente, un Séminaire annuel de droit administratif comparé est organisé au sein de la Faculté de droit d’Athènes. Il est offert aux étudiants de 2e cycle, depuis l’année académique 1982-1983, en dehors du programme officiel. Suivant l’idée de l’initiative libre qui est inhérente à la condition universitaire, il est reconnu aux universitaires grecs la possibilité de prendre des initiatives d’enseignement libre pour des étudiants volontaires. L’ouverture de ce Séminaire vers les programmes ERASMUS ainsi qu’aux programmes de coopération avec la Fondation Fulbright lui ont donné une nouvelle dimension ; il attire actuellement l’attention de plus de cinquante étudiants par année.

A l’heure actuelle, on travaille plus en particulier sur la comparaison des droits anglo-saxons avec les droits continentaux. Les droits administratifs américain et canadien ont suscité cette année un intérêt plus spécial. Le soutien de cette initiative par la Fondation Fulbright a donné comme résultat d’avoir à partir de l’année en cours, un professeur américain qui participe activement aux travaux et aux cours. Ainsi le Séminaire est passé à un autre niveau d’expérience, puisque c’est la première fois que des cours se font dans une langue étrangère dans la Faculté de droit d’Athènes. Il faut souligner que la réponse estudiantine à cette initiative linguistique a été très favorable.

Les étudiants qui prennent part à une telle expérience sont naturellement surtout ceux qui souhaitent continuer leurs études en vue de titres post-universitaires à l’étranger. Le Séminaire devient ainsi un lieu de rencontre de jeunes qui aspirent à devenir cadres de la société hellénique.


B. L’inexistence d’études comparatives publiées

Les thèses helléniques préparées au sein de notre Université comportent, de par la tradition même, des sections d’étude des droits étrangers. S’il s’agit bien d’une méthode de travail qui offre des éléments de réflexion, il ne s’agit pas pour autant de droit comparé. Il est très rare de trouver des études de caractère comparatif, et il est très probable qu’aucune étude de droit administratif comparé véritable n’a vu le jour jusqu’à l’heure actuelle en Grèce, si l’on excepte les traductions des livres publiés d’abord à l’étranger.

Le programme ERASMUS offre bien sûr de nouvelles possibilités pour la mobilité d’étudiants et de professeurs, et consécutivement, pour les études comparatives en matière de droit administratif aussi. La Faculté de droit d’Athènes participe activement à un nombre de programmes planifiés avec des Universités françaises, allemandes, espagnoles, britanniques, irlandaises, néerlandaises, belges.


Conclusion

La comparaison est toujours une façon d’étudier le droit administratif national en Grèce, mais le droit administratif comparé en tant qu’objet d’étude reste dans un sous-développement complet, malgré les initiatives et les tentatives amorphes qui ont vu le jour.


www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1989_num_41_4_1857


 

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