source : http://etudesphotographiques.revues.org/375
Celeste Zehna, « Les usages de la photographie », Études photographiques, 14 | janvier 2004, [En ligne], mis en ligne le 09 septembre 2008.
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En 1840, le Jornal do Comércio signalait la première utilisation d’un appareil daguerréotype au Brésil. Six mois plus tard, Dom Pedro II était couronné empereur, à l’âge de quatorze ans. Trente-deux ans s’étaient écoulés depuis l’arrivée à Rio du prince régent portugais, fuyant les troupes napoléoniennes qui avaient atteint les portes de Lisbonne. À la suite de ce débarquement, le pays avait connu de nombreux changements : la présence au Brésil des artistes français engagés par Dom João en 1816 dans l’intention de favoriser un épanouissement culturel, artistique et industriel du pays s’exprimait à travers leurs œuvres. Parmi ces artistes et artisans regroupés autour du peintre Lebreton au sein de la fameuse “Mission française”, la plupart s’établirent sur place et y réussirent, fondèrent une famille ou convainquirent amis et parents de venir refaire leur vie auprès de la Cour tropicale. En effet les étrangers, surtout les Français et les Anglais, pouvaient tirer profit de la réputation de raffinement et de modernité associée à leurs origines.
De fait, en dépit de l’instabilité politique et économique que connut l’Empire brésilien durant les deux premières décennies, le commerce, une fois dégagé du monopole colonial, prospérait tandis que les entreprises artisanales et les manufactures se disséminaient dans le pays. Ces nouveaux établissements modifiaient le paysage urbain et attiraient des étrangers de toutes origines qui affluaient non seulement pour faire fortune mais aussi pour refaire leur vie, voire pour trouver un refuge, même s’il devait être temporaire, loin des turbulences qui agitaient l’Europe.
Entre 1821 et 1849, la population de Rio passa de 165 654 à 205 906 habitants1. Cette croissance fut accompagnée d’une petite invasion de commerçants, artisans et artistes qui donnèrent un nouveau dynamisme au centre commercial de la ville. Il va de soi que ces nouveaux arrivants ne rivalisaient pas en nombre avec l’accroissement démesuré de la population esclave. Toutefois il ne fait aucun doute que la portion libre de la population, qui comptait environ 32 % de personnes originaires de pays étrangers, connut une évolution significative, aussi bien du point de vue ethnique que social.
Les familles aisées faisaient la promenade sur la terrasse du Passeio público, d’où l’on pouvait apercevoir l’église de la Glória et l’entrée de la baie de Guanabara. Le jardin botanique constituait un autre site de loisir apprécié des amateurs de sociabilité à l’air libre. La ville comptait trois théâtres, dont le plus important était le São Pedro de Alcântara, où se déroulaient non seulement des représentations mais aussi des bals et certaines conférences politiques. La compagnie dramatique française se produisait sur la scène du théâtre São Januário. Quant aux arts plastiques, le public pouvait compter sur l’Académie impériale des beaux-arts, dirigée par Félix Émile Taunay. Il est clair que les atouts culturels de la ville demeuraient modestes. Mais cela n’empêchait pas la cour impériale, qui se transformait à vue d’œil, de nourrir les plus hautes ambitions…
Les établissements de production d’images à Rio de Janeiro
Trois grands secteurs peuvent être identifiés dans la production des images, selon la technique employée : la peinture, la lithographie et les procédés que nous appellerons “de type photographique”, qu’il s’agisse de daguerréotypes, de calotypes, d’ambrotypes ou de photographies. Tout au long du xixe siècle, on constate une croissance significative du nombre des établissements de production d’images, lesquels collaboraient parfois entre eux pour la confection de certaines planches. Avant d’aborder l’analyse des produits, il convient de caractériser ce domaine commercial, de s’interroger sur ses spécificités et sur son insertion dans le contexte économique.
Au début des années 1840, la présence du daguerréotype au Brésil se cantonnait aux expositions de beaux-arts et à l’appréciation de quelques amateurs éclairés, parmi lesquels se distinguait l’empereur. Ce n’est qu’à partir de 1848 que trois ateliers de daguerréotypie commencèrent à prospérer en tant qu’entreprises commerciales. Parmi les trois spécialités techniques que nous avons citées, ce sont les peintres qui constituèrent le groupe le plus nombreux jusqu’en 1863. Par rapport à la totalité des producteurs de vues, leur domination déclina cependant de 74 % (en 1848) à 44 % (en 1862). Après dix-huit ans d’exercice, les photographes prirent la première place, en atteignant alors les 40 %. En 1870 s’établit un certain équilibre entre les trois secteurs, les lithographes parvenant à prendre un léger avantage sur les photographes. En 1874, l’avantage acquis par les lithographes sur les deux autres spécialités devient notable, puisqu’ils détiennent 50 % des établissements, tandis que les photographes régressent à 32% du total. L’année 1880 est la seule à obtenir une égalité absolue entre les trois secteurs puisque l’on compte alors pour chaque catégorie dix-sept adresses signalées par l’Almanach Laemmert2. Jusqu’à l’année de l’abolition de l’esclavage (1888), les trois groupes alternent au premier rang des producteurs d’images, puis les peintres reprennent l’avantage sur les deux autres groupes. On peut donc affirmer que ce domaine d’activité continue à croître légèrement, par opposition à tant d’autres qui disparurent au cours du siècle. On constate également que cette croissance affecte de façon assez similaire ces trois types de producteurs d’images, qui se faisaient vraisemblablement concurrence. Cependant l’instauration d’un procédé donné de production et de reproduction d’images n’a pas suscité l’effondrement d’un autre en venant se substituer à lui brusquement, on ne voit pas un procédé technique provoquer l’exclusion définitive d’un autre ni bouleverser les goûts esthétiques. Ce qui fait tout l’intérêt de cette période historique, c’est justement la corrélation entre les différents modes de production d’images, les thèmes spécifiques et les genres qui les régissent, s’agissant de produits destinés à un marché auquel participaient des artistes, des artisans, des commerçants et des consommateurs du monde entier.
La trajectoire personnelle de certains artistes illustre la relation étroite entre la peinture, la lithographie et la photographie dans ce marché des vues du Brésil*, ainsi que le caractère cosmopolite de ce dernier. L’association d’artistes de différents pays, utilisant des procédés qu’ils adaptaient aux conditions climatiques particulières, et la diffusion de la lithographie sur divers continents ont permis une production d’images susceptible de répondre aux attentes esthétiques d’un public international, amateur de panoramas et de paysages relevant de répertoires thématiques fréquemment associés à la construction des identités nationales.
Les premiers essais de lithographie furent exécutés à Rio de Janeiro par des peintres. L’introduction, dès 1817, de cette nouveauté auprès de la Cour encore portugaise installée sous les tropiques est due à un Français, natif de Bordeaux, Arnaud Julien Pallière. Outre les charges de peintre de la Cour et de professeur de dessin, il exerçait les responsabilités d’un ingénieur en chef, dessinait des décorations, des uniformes, des portraits, des costumes et des plans d’urbanisme. L’annonce qui suit, publiée quelques mois avant l’indépendance du pays, le présente non seulement comme un peintre d’atelier, mais comme un artiste travaillant sur le motif* afin de relever les vues qu’il signerait de son nom :
« Arnaud Julien Pallière, premier peintre du Cabinet de Sa Majesté et de S. A. R. le Prince Régent, maître de Dessin de leurs Altesses Royales la Princesse de Beira et l’Infante Dona Januaria, des Académies de France de Hollande et de Belgique, etc., qui s’était absenté de la Cour pour relever les plans de vues des trois provinces de São Paulo, Minas Gerais et Rio de Janeiro, a procédé à la réouverture de son Académie de Dessin Civil et Militaire. »
En 1823, un peintre de nationalité portugaise avait envoyé de Paris à Dom Pedro I du Brésil une presse lithographique portative. Cependant la première initiative d’utilisation plus systématique de la lithographie fut lancée par l’État brésilien, plus précisément par le directeur des Archives militaires, dans le but de remplacer le département de gravure de cet établissement public.
Engagé pour procéder à l’installation d’un atelier lithographique aux Archives militaires, Johann Jacob Steinmann arriva à Rio de Janeiro en 1824 (deux ans après l’indépendance). L’artiste suisse exécuta également des travaux à son propre compte, faisant usage des installations, des presses et des apprentis que lui avait fournis l’empereur. De retour en Suisse, Steinmann mit à contribution son ami Frédéric Salathé pour produire l’album intitulé Souvenirs de Rio de Janeiro, édité à Bâle (fig. 2). L’ouvrage, qui comporte douze vues de Rio, fut réalisé à partir de dessins de Kretschmar, de Victor Barrat et des croquis de Steinmann lui-même.

Le secteur de la production d’images s’est développé durant une période de grande affluence d’étrangers, si bien qu’il était composé essentiellement de personnes émigrées d’origines diverses ou de leurs descendants. C’est pourquoi la plupart des pionniers avaient reçu leur formation à l’étranger. Néanmoins il est certain qu’avec le temps, maintes occasions de poursuivre et de diversifier leurs compétences s’offraient aux professionnels, ne serait-ce qu’en fonction des exigences qu’imposait l’organisation quotidienne de la profession, grâce aux contacts et à la concurrence avec des collègues de différentes nationalités, sans parler des initiatives individuelles qu’ils prirent afin d’appliquer et de perfectionner la gamme de solutions techniques et esthétiques dont ils disposaient.
Dans ce cadre, Frederico Guilherme Briggs tint un rôle assez important dans le milieu de Rio. Fils d’un commerçant anglais établi au Brésil depuis 1812, il fréquenta à partir de l’âge de seize ans, en tant qu’“amateur”, les cours d’architecture et de paysage de l’Académie impériale des beaux-arts, où il fut l’élève de Jean-Baptiste Debret et de Félix Émile Taunay. À partir de 1833, il se consacra exclusivement à ses travaux dans l’atelier lithographique Rivière & Briggs, situé 218, Rua do Ouvidor. En 1836, il partit pour l’Angleterre afin de perfectionner ses connaissances en lithographie.
À Londres, il exécuta deux œuvres significatives publiées chez Day and Hague : le Calendrier national brésilien pour l’année 1837, et le Panorama de la ville de Rio de Janeiro en quatre feuilles. La première, composée de divers paysages de Rio de Janeiro, semble avoir été réalisée à partir de dessins de la main de Félix Émile Taunay. Quant à la seconde, elle présente au premier plan des figures qui ressemblent beaucoup à celles que Briggs produisait jusqu’alors dans l’atelier lithographique de la Rua do Ouvidor et à d’autres que l’on verra ultérieurement publiées en albums après son retour d’Angleterre. L’impression des planches a été réalisée en deux étapes. Apparaissent au premier plan des types courants, tels que des esclaves entourant le dessinateur qui s’est représenté papier et crayon en main en train d’ébaucher les vues, de gros moines débonnaires en conversation avec des serviteurs, des pères de famille accompagnés d’enfants et des Noirs en grandes palabres. Au second plan figure le panorama proprement dit, qui montre la ville selon une perspective obtenue depuis les hauteurs du Morro de Santo Antônio4. Cet ouvrage ne parvint au Brésil qu’en 1839, annoncé par Briggs lui-même qui informait « ses amis et le public qu’il vient de recevoir de Londres sur l’Elisa » – le navire qui venait de jeter l’ancre dans le port de Rio le 24 février – « plusieurs exemplaires de ses vues panoramiques de Rio5 » (fig. 3).

Le Calendrier comportant vingt-cinq vues de Rio de Janeiro et les portraits de l’empereur et de ses sœurs avait été vendu au Brésil par la maison Laemmert, avant même le retour de Briggs, au prix de 2000 reis6 l’exemplaire. Il convient de souligner que la somme exigée par Laemmert équivalait au salaire que Briggs demandait en 1832 pour exercer comme professeur de dessin dans les collèges. Une publicité parue dans le Jornal do Comércio du 3 mars 1839 nous donne un échantillon des articles produits par Briggs avec l’indication de leurs prix respectifs :
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Portrait du général Rosas, président de Buenos Aires, pour 400 reis.
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Vues de Botafogo coloriées, à 2 000 reis.
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Cascade de Tijuca, à 1 000 reis.
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Morro Queimado, à Cantagalo, 1 000 reis.
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Carte de Rio de Janeiro, 24 000 reis la série.
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Carte du théâtre de la guerre en 1839, dans la province de Santa Catarina, 1 000 reis.
Dans son établissement, désormais installé au n°130 de la Rua do Ouvidor, Briggs se proposait d’exécuter « l’impression de cartes, lettres, factures, circulaires, listes de prix courants, billets, adresses, étiquettes pour boutiques, musique, dessin, et de faire des transferts et fac-similés avec la plus grande perfection8. » Une centaine de cartes de visite, réalisées par le « système de transfert » grâce auquel chaque pierre permettait de tirer des dizaines d’exemplaires, coûtait 2 000 reis. Il ressort de ces données que, par comparaison, les vues avaient une valeur marchande moindre que les commandes strictement commerciales. Quoi qu’il en soit, l’exemple de Briggs nous permet d’affirmer qu’il existait un marché pour les vues du Brésil* à Rio de Janeiro avant le succès de la photographie. Par ailleurs, nous pouvons également constater que ces lithographies furent produites par des artistes qui s’étaient consacrés au dessin et à la peinture avant de devenir lithographes. À l’évidence, les modèles esthétiques qui régissent les images de paysage produites par ce nouveau procédé conservent bien des aspects issus de la formation initiale des artistes en question. Toutefois, de nouvelles expérimentations et solutions conçues pour un public plus large et moins élitiste conféraient à ces produits des caractéristiques qui, d’une certaine manière, allaient modifier les modèles de représentation visuelle alors courants – c’est du moins l’hypothèse que nous souhaitons développer dans la suite de cet article.
Une clientèle restreinte : l’élite de la cour impériale
Le secteur commercial des vues demeurait évidemment assez modeste dans la ville de Rio de Janeiro. Dans une société esclavagiste, où seule une petite portion de la population détenait un pouvoir d’achat, ce type de commerce avait une cible précise. Bien que la période ouverte par le couronnement de Dom Pedro II ait été marquée par des transformations fondamentales au sein de la Cour et dans l’empire brésilien, l’économie restait fondée sur un modèle agraire exportateur. Le café se substituait à la canne à sucre et le système de production esclavagiste se trouvait soumis à une pression internationale de plus en plus affirmée. En dépit de ces menaces, l’esclavage constituait encore le régime prédominant d’organisation du travail et le mode principal de gestion de la richesse nationale. Aussi les secteurs d’activité secondaire et tertiaire étaient-ils soumis aux fluctuations du prix du café sur le marché international, aux crises financières de 1857, 1864 et 1875, ainsi qu’aux restrictions imposées par l’économie esclavagiste.
L’offre d’articles de luxe, tels que la vaisselle et le cristal importés, des tissus et vêtements provenant d’Europe, d’instruments de musique et d’éléments de décoration, ainsi que des livres et articles de bureau, répondait à la demande d’une société dont la majeure partie de la population était constituée d’esclaves dépourvus de tout pouvoir d’achat, mais dont l’élite, en revanche, se situait à un niveau de consommation relativement élevé. C’était cette partie de la population qui fréquentait la Rua do Ouvidor, où s’étaient installés les commerces les plus sophistiqués, qui emplissait les salons de thé et faisait la fortune des modistes. Hormis les voyageurs étrangers, c’était là la clientèle restreinte à laquelle s’adressaient les peintres, lithographes et photographes qui produisaient des vues du Brésil.
Si l’on compare le montant des transactions commerciales dans ce domaine d’activité avec ceux des denrées alimentaires, boissons, vêtements, tissus, meubles, chandelles, savon ou moyens de transport, il n’est guère significatif. On comptait en 1857 six cent huit entreprises dans le secteur de l’alimentation et des boissons, tandis qu’il n’existait que dix ateliers de lithographie9.
Quoi qu’il en soit, le secteur de la production d’images se développa au cours du xixe siècle dans des proportions modestes mais non négligeables. Mais en aucun cas elle n’atteignit le niveau de la production européenne. En 1847, la seule ville de Paris comptait 362 propriétaires d’ateliers lithographiques. Ce nombre passa à 500 en 1867, et la capitale française n’abritait pas moins de 631 commerces de ce type en 1872, selon les données disponibles10. Le nombre le plus élevé de lithographes annoncés dans le Laemmert pour la ville de Rio fut de trente-deux en 1874. Le nombre d’établissements signalés en 1847 n’était que de trois, il atteint les quinze unités en 1860. Rappelons que la France était considérée sans conteste à l’époque comme le leader de la production lithographique. Par conséquent, il apparaît que l’absence d’un marché de consommation développé au Brésil restreignait la demande à l’égard d’un produit qui s’adressait en Europe à des secteurs bien plus larges de la population.
Spécificités techniques et esthétiques des images
Les planches lithographiques en feuilles : panoramas et vues de Rio de Janeiro
D’innombrables images imprimées représentant le Brésil furent produites en Europe par des artistes qui participèrent à des voyages ou à des expéditions scientifiques, ou qui s’établirent sur place, comme ce fut le cas de Debret. Ces recueils de planches présentaient un répertoire thématique varié, allant de relevés iconographiques de la faune et de la flore locales à des cartes, panoramas et vues des principales villes brésiliennes, en passant par des descriptions graphiques de costumes d’esclaves ou de types ethniques.
Pour ce qui est des panoramas, des représentations très similaires à celles de la cartographie alternent avec des « vues à vol d’oiseau* » et des perspectives obtenues depuis des points de vue stratégiques. Ces matériaux servirent souvent d’ébauches à l’élaboration de toiles de grandes dimensions qui prétendaient représenter le plus fidèlement possible des paysages de pays lointains pour le public avide de distractions qui fréquentait les dioramas et les rotondes conçues pour l’exposition de panoramas circulaires. À partir de ces images, des variantes plus “réalistes” de la topographie de Rio se multiplièrent au cours du siècle, déclinées selon divers procédés d’impression qui vont de l’aquatinte à la photogravure, et adaptées à diverses fonctions, scientifiques, pédagogiques, ou simplement comme source de plaisir et de divertissement.
Lorsqu’il s’agit d’images lithographiées en Europe à partir de dessins réalisés au Brésil par d’autres artistes, le lithographe était souvent bien en peine de préserver une quelconque fidélité des informations, dans la mesure où il n’avait personnellement jamais visité les lieux. D’où l’importance des éditeurs d’images, qui recherchaient, en contrôlant les épreuves d’état, un résultat susceptible de concilier la qualité technique et esthétique et le “caractère réaliste” de la vue représentée. Ces images avaient pour objectif de faire voyager d’innombrables personnes qui n’avaient pas la possibilité d’envisager une traversée transatlantique, de leur faire connaître des contrées fascinantes. En promettant la fidélité des informations, les éditeurs revendiquaient la valeur des vues du Brésil* lithographiées en Europe à partir de dessins réalisés au Brésil comme moyen de connaissance et de divertissement. En ce sens, la composition du premier plan, outre la référence esthétique à la peinture de paysage, permettait au spectateur un regard rapproché, en le situant à quelques mètres d’un groupe de personnes sur le point de remarquer sa présence. De cette façon le consommateur de vues du Brésil*, tout en profitant du paysage, recevait quelques informations sur ses habitants, sur la faune et la flore.
Certaines hauteurs comme celles de Santo Antônio ou du Castelo permettaient un point de vue sur la ville à 360 degrés, offrant à la fois le profil topographique et quelques édifices et monuments importants comme l’église de Outeiro da Gloria, l’aqueduc, le couvent de Santa Theresa, le monastère de São Bento et le Passeio público. Certains sites, tels que l’île des Cobras, s’avéraient des lieux d’observation privilégiés et furent utilisés afin de représenter de façon plus ou moins précise l’entrée de la baie avec ses contours accidentés, le port, l’Alfândega et le palais impérial11 : de fait, la perspective fut maintes fois altérée de façon à inclure un plus grand nombre d’éléments du paysage, ou à seule fin d’en donner une image plus adaptée au goût du “pittoresque”.
Les journaux annonçaient, dans les années 1830, diverses vues de Rio de Janeiro* produites par les établissements lithographiques de la Cour. Il arrivait que des éditeurs passent commande à des peintres ou dessinateurs de travaux destinés à l’impression lithographique. Par la suite, ces produits étaient commercialisés par des négociants qui exerçaient pour la plupart le commerce de livres, d’estampes, de matériel de bureau, de lithographies, etc. Ces établissements se fournissaient largement en articles importés, y compris des albums et des planches lithographiques en feuilles, comportant des panoramas et des vues du Brésil confectionnés à l’étranger. La demande d’images de ce type a vraisemblablement encouragé les négociants à se lancer comme entrepreneurs dans le secteur des images imprimées ayant pour thème le paysage de Rio. Le fait que quelques-unes de ces entreprises aient été dotées de filiales à l’étranger élargissait le marché de consommation de ces produits.
Les albums de vues de Rio de Janeiro
https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/375#tocto2n2