source : https://www.scienceshumaines.com

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Solenn Carof
Publié le 05/10/2007

L’école des Annales Histoire et sciences sociales
Hors-série n°6 – octobre – novembre 2007 Cinq siècles de pensée française

Rompant avec une histoire traditionnelle de guerres et de royautés, Lucien Febvre et Marc Bloch s’intéressent à la société, aux croyances, aux mœurs et à l’économie.

Tout commence à Strasbourg, au début du siècle, par la rencontre de deux historiens, Lucien Febvre (1878-1956) et Marc Bloch (1886-1944). Les deux hommes se reconnaissent intellectuellement dans l’effervescence culturelle qui agite le monde des sciences humaines. Depuis quelques années déjà, la sociologie durkheimienne domine les sciences sociales. De son côté, l’histoire positiviste et nationale subit de violentes critiques. Contre l’historien Charles Seignobos, le sociologue François Simiand dénonce les trois idoles de l’histoire traditionnelle : l’idole politique, l’idole individuelle et l’idole chronologique. Ce débat épistémologique qui révèle la crise de la discipline historique marque profondément les deux hommes. Ensemble, L. Febvre et M. Bloch participent à la Revue de synthèse historique, fondée par Henri Berr en 1900. Dans l’esprit de la géographie de Paul Vidal de La Blache, cette revue défend le projet de fédérer les sciences humaines. L’histoire ne peut plus se faire sans le soutien des nouvelles disciplines, telles que la sociologie, la psychologie ou la géographie. Dans les années 1920, ce projet et l’adhésion de chercheurs comme Maurice Halbwachs ou Charles Blondel créent une atmosphère interdisciplinaire très féconde à l’université de Strasbourg. Un courant est en train de naître.

De l’histoire globale…

Mais le véritable acte de naissance des Annales a lieu quelques années plus tard, en 1929, lorsque Lucien Febvre et Marc Bloch décident de créer leur propre revue, Annales d’histoire économique et sociale. Les deux historiens défendent un nouveau projet historique qui va bouleverser la discipline. Leurs recherches rompent avec l’histoire traditionnelle. Alors que cette dernière s’intéressait aux guerres, aux batailles, aux grands hommes et à la glorification de la nation, les penseurs des Annales veulent étudier l’histoire des sociétés. Désormais, les questions économiques, démographiques et sociales sont au cœur des recherches historiographiques. Les historiens étudient la manière dont les individus vivaient, travaillaient et mouraient à leur époque. Mais aussi les croyances, les représentations et les mœurs. L’étude des mentalités, développée par Marc Bloch dans Les Rois thaumaturges (1924), va ainsi prendre une ampleur sans précédent. Mais ce projet d’une histoire sociale ne pouvait se faire sans l’apport des autres sciences sociales. Les deux historiens vont donc chercher à réaliser une « histoire globale », couvrant tous les aspects – sociologiques, économiques et démographiques – d’une même époque. C’est ce projet qui va donner son orientation aux penseurs des Annales. Mais si ces derniers sont principalement médiévistes et modernes, ils vont aussi s’intéresser à l’époque contemporaine par le biais de la revue des Annales. Celle-ci s’occupe alors des problèmes d’actualité, économique plutôt que politique, que sont la crise du système international financier ou le nazisme. La revue se veut ainsi un instrument pour donner aux hommes politiques les clés de compréhension du monde. Elle va rapidement obtenir une renommée internationale et populariser le courant des Annales dans le monde entier. Ce dernier va ensuite influencer toutes les générations d’historiens français et étrangers jusqu’à nos jours.

… à une histoire diversifiée

En 1946, la revue prend le nom d’Annales. Économies, sociétés, civilisations, montrant ainsi le changement de génération. Car juste après la guerre, c’est Fernand Braudel qui reprend le flambeau des Annales et devient directeur de la revue. Pour continuer le projet des fondateurs de fédérer les sciences humaines, il crée en 1968 la Maison des sciences de l’homme, qui devient l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) en 1975. Cette institutionnalisation des sciences humaines et l’apparition des organismes de statistiques et de recherches, après la Seconde Guerre mondiale, permettent aux Annales de s’appuyer concrètement sur les autres recherches scientifiques. Le courant évolue et se diversifie. Pendant que certains continuent l’étude des mentalités, d’autres comme Ernest Labrousse développe une histoire économique et quantitative. L’interdisciplinarité reste au cœur du projet des Annales. C’est l’époque où les structuralistes, de Roland Barthes à Jacques Lacan, en passant par Claude Lévi-Strauss, dominent la recherche en sciences humaines. Or ces derniers dénoncent l’empirisme historique d’une histoire basée sur les évolutions et non sur les invariants. Pour contrecarrer leurs critiques, Braudel invente la notion de « longue durée », qu’il utilise pour désigner les structures sociales et économiques qui se maintiennent à travers l’histoire. L’histoire « s’immobilise » alors, selon la formule d’Emmanuel Le Roy Ladurie. Quelques années plus tard, c’est sous l’influence de Michel Foucault et de son Archéologie du savoir (1969) que les historiens des Annales démultiplient leurs thèmes de recherches. André Burguière, Marc Ferro, Jacques Le Goff, E. Le Roy Ladurie, Jacques Revel et les autres renoncent à l’histoire globale des fondateurs pour privilégier la vision d’une histoire diversifiée. L’histoire économique, l’anthropologie historique, la psychologie sociale et l’histoire des mentalités façonnent cette nouvelle histoire. François Dosse explique que « l’histoire s’écrit désormais au pluriel et sans majuscule ». Cet abandon de la synthèse et la transformation du rôle de l’historien provoquent une crise profonde du courant dans les années 1980-1990. Aujourd’hui, la revue, titrée depuis 1994 Annales. Histoire, sciences sociales, est éditée par l’EHESS. Sa présence prouve que l’influence des Annales perdure encore. Mais jusqu’à quand ?

 

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