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Tables des matières
Fr. Souchal : L’influence française dans l’architecture des Pays-Bas méridionaux et de la principauté de Liège au XVIIIe siècle ; M. Frédéricq-Lilar : Les influences sur l’oeuvre de P.N. Van Reysschoot ; P. Foriers : L’influence française dans l’illustration de la porcelaine de Tournai ; P. De Zuttere : Charles Le Clercq, peintre bruxellois méconnu (1753-1821) ; D. Jozic : François-Charles de Velbruck, prince-évêque francophile. Aperçu de l’influence de la France sous le règne d’un prélat éclairé (1772-1784) ; P.-M. Gason : Théorie et pratique poétiques à Liège en 1778 : l’hommage de Saint Péravi à Voltaire et Rousseau ; M. Mat-Hasquin : Les influences françaises dans l’oeuvre de l’abbé Duval-Pyrau ; J. Smeyers : Voltaire dans la littérature néerlandaise des Pays-Bas autrichiens ; R. Trousson : L’abbé F.-X. de Feller et les « Philosophes » ; C. Bruneel : La diffusion du livre français à l’université de Louvain (1765-1777) ; H. De Schampheleire : Verlichte lectuur te Antwerpen en Parijs in de 18e eeuw. Een comparatief quantitatief leesonderzoek naar Voltaire, Rousseau en de « Encyclopedie». (La lecture des Lumières à Anvers et à Paris au XVIIIe siècle. Un examen comparatif et quantitatif de la diffusion de Voltaire, de Rousseau et de l’Encyclopédie) (résumé français) ; L. Dhondt : De l’influence des Lumières dans le comté de Flandre à la fin de l’ancien régime ; N. Haesenne-Peremans et P. Delbouille : La présence française dans les bibliothèques liégeoises au XVIIIe siècle ; H. Hasquin : Le français à Bruxelles entre 1740 et 1780. Premier essai de quantification.
Allocution prononcée par M. le Recteur FORIERS lors de la séance d’ouverture du colloque sur l’influence française dans les Pays-Bas autrichiens et la Principauté de Liège au temps de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau (1730-1778), le 2 juin 1978
Monsieur le Président,
Mes chers Collègues,
Mesdames, Messieurs,
Le Groupe d’Etude du XVIIIe siècle et le Centrum voor de Studie van de Verlichting se sont retrouvés dans un fraternel coude à coude pour organiser le colloque sur l’influence française dans les Pays-Bas autrichiens et la Principauté de Liège au temps de Voltaire et Jean-Jacques Rousseau
C’est dire qu’à la joie très profonde que j’éprouve toujours, en qualité de Recteur, d’accueillir dans cette Maison des hommes et des femmes passionnés par un commun souci scientifique, s’ajoute celle de le faire au nom de deux Universités sœurs et d’apporter de la sorte des vœux communs pour cette rencontre
Dès mon adolescence, j’ai été intrigué par la conjonction, semble-t-il nécessaire, que l’on établit entre Voltaire et Rousseau. Ils vont de pair dans les anthologies bien que l’on n’hésite jamais à dire que Voltaire remplit tout son siècle, auquel du reste il a donné son nom. Que reste-t-il donc à Jean-Jacques si son compagnon prend de la sorte tant de place ? La nature sans doute et la poésie, une certaine conception de l’homme et de la démocratie, ce n’est pas peu tout compte fait. Il est vrai que Goethe a dit qu’avec Rousseau, c’est un monde nouveau qui commence.
Peut-être pourrait-on voir dans Voltaire l’encombrant occupant du XVIIIe, dans Rousseau l’authentique initiateur du XIXe. Je crois qu’effectivement son message nous est resté proche du cœur tandis que si l’année de sa mort on couronne en scène le buste d’un Voltaire encore bien vivant et même revivifié par cette apothéose, son destin ultérieur nous touche bien moins somme toute. A la différence de son compagnon il n’est pas vêtu de lin candide et n’est guère aimé.
Je relisais, il y a quelques heures, Joseph De Maistre: il détestait le sage de Fernay.
« N’avez-vous jamais remarqué que l’anathème divin fut écrit sur son visage. Après tant d’années, il est temps encore d’en faire l’expérience. Allez contempler sa figure au Palais de l’Ermitage ». Et encore : « Ne me parlez pas de cet homme, je ne puis en soutenir l’idée . Ah qu’il nous a fait du mal ! Semblable à cet insecte, fléau des jardins qui n’adresse ses morsures qu’à la racine des plantes les plus précieuses, Voltaire avec son aiguillon ne cesse de piquer les deux racines de la société, les femmes et les jeunes gens … ». Je vous fais grâce de la suite des soirées de St-Pétersbourg !
Voltaire a, au surplus, tous les romantiques à ses trousses. Faut-il rappeler Rolla ?
Au contraire la chance continue à favoriser Jean-Jacques puisque votre colloque, Mesdames et Messieurs, notre colloque, fixe la période à scruter de 1730 à 1778, ce qui n’enlève que dix-huit ans à Rousseau pour trente six à Voltaire.
Jean-Jacques est en 1 730 au plus pur de sa jeunesse, expédié par Madame de Wavrans parmi les catéchumènes de Turin, faisant ensuite tous les métiers, tandis que Voltaire au plein de sa force a déjà trouvé le secret de faire produire à sa Henriade 150.000 livres dont on dit pudiquement qu’elles lui assuraient son indépendance d’écrivain. Indépendance, en effet, lorsque l’on songe qu’on payait les plus beaux feux du monde sept cent soixante livres et le reste à l’avenant. On croit dès lors volontiers que le produit de la Henriade lui assurait la liberté.
Certes, Rousseau est peu nanti, mais il est rêveur et capable de bonheur, tandis que Voltaire est ricanant et peu enclin à la joie. Et pourtant, ils vont ensemble, depuis deux siècles, Voltaire à gauche, lui le richissime, Rousseau à droite, lui le gagne-petit, en pied, en buste, sur socle ou sur colonne.
Là aussi, semble-t-il, un sort funeste poursuit Voltaire. Moi-même je l’ai abandonné en bronze fort joliment ciselé pourtant, car la canne sur laquelle il s’appuyait fuyait sa main décharnée au moindre mouvement.
Faut-il dire que ces considérations n’enlèvent rien à l’extraordinaire ferveur que je porte au jeu spirituel qu’ils animèrent l’un et l’autre pendant toute leur vie ? Consacrer un colloque à l’influence française au temps de Voltaire et de Rousseau, c’est orienter le sens des travaux ou les mettre en tout cas dans un éclairage particulier puisque nous aurions pu sinon faire référence à Louis XV.
1730, Louis le Bien-Aimé a 20 ans. 1778, il est mort depuis à peine quarante huit mois. Mais c’eut été présenter les choses dans une toute autre perspective.
Louis XV n’a pas d’inquiétude et peu de préoccupations métaphysiques tout au plus quelque timidité. La France en plein changement est heureuse même s’il lui manque une certaine forme de liberté. Elle ne connait « pas d’invasion, pas d’occupation du territoire national par l’ennemi, pas de villes saccagées, pas de villes détruites, pas de civils massacrés, pas de ces effroyables hécatombes qui ont marqué les dernières guerres. Une courte incursion des Autrichiens dans le nord de l’Alsace, vite repoussée; une pointe des Piémontais en Provence, arrêtée devant Toulon et terminée en débacle ; une tentative de débarquement anglaise près de Saint-Malo, qui échoua par la vigilance du Duc d’Aiguillon et le mordant des milices locales. C’est tout» comme écrira Pierre Gaxotte. Pas de troubles intérieurs non plus, quelques grèves sans doute mais à peine, la paix, la sécurité même, car après l’aventure de Law, le franc stabilisé en 1726 ne bougera plus jusqu’aux assignats révolutionnaires, c’est-à-dire vingt ans après la mort de Louis XV.
Non seulement la France apparaît alors à tous comme forte, bien gouvernée, mais elle sert d’exemple et donne consultation aux autres nations sur toutes choses même les plus inattendues. Marie-Thérèse ne devait-elle pas demander à Louis XV de lui faire tenir un mémoire détaillé sur la façon dont était organisée la police parisienne, tant celle-ci se révélait efficace ?
Voltaire et Rousseau apportent dans tout cela un esprit nouveau et par conséquent le contrepoids d’une autre puissance. Louis XV les trouve difficiles à vivre, sans se troubler outre mesure d’ailleurs. Voltaire, au sommet de sa gloire, assassine les intendants et les ministres de demandes de toutes sortes, dégrèvements d’impôts, franchise postale, privilèges de juridiction et d’importation, il obtient tout mais non de souper avec le Roi.
Rousseau est plus modeste et moins tenace, mais il exalte une certaine image anticipative de la France, car la France sous cette forme aussi se vend bien et ses philosophes également. C’est l’histoire de cette influence que vous allez étudier aujourd’hui, cette influence d’autant plus grande que la France et les Pays-Bas se jouxtent, que les mouvements de va-et-vient sont constants.
J’ai rappelé l’an dernier Jean-Charles Oudry et Pierre Legendre comme témoins de l’influence picturale française dans nos provinces et Voltaire comme ambassadeur bien malgré lui des lettres, pendant les trois années où il enrage d’être à Bruxelles tandis qu’il achève Mérope et Mahomet.
Mouvement des hommes, mouvement des idées. La route du Nord était frayée et elle ne cessera plus d’être l’avenue qui unit nos deux pays
J’ai lu avec infiniment d’intérêt le programme de vos travaux, avec une certaine émotion aussi quand j’ai vu que, me prenant au mot, le Président Mortier m’avait prié de vous parler de l’influence française dans le décor de la porcelaine de Tournai. C’est un sujet mineur sans doute mais qui est éclairant.
Dans les œuvres de Dewez, architecte de Charles de Lorraine, dans cette place Royale dont notre Collègue Martiny nous a dit un jour qu’elle était la plus française de nos places.
Dans l’orfèvrerie, où les Franc sont natifs de la Principauté de Liège vont faire leur écolage à Paris et en rapportent une moisson généreuse, où les Foncé de Mons, et surtout Claude Louis, s’assimilent si bien le goût français que morphologiquement on pourrait s’y méprendre et que seule la technique -argent coulé et ciselé en France argent écroui aux Pays-Bas -permet une facile distinction, où le Maître d’Audenarde signant d’une aigle bicéphale a toute l’élégance d’un maître de l’Ile de France.
Dans la porcelaine de pâte tendre dont Nicaise il y a plus de quarante ans, relevait déjà l’origine française et qui est toute imprégnée de modèles, de décors et de réminiscences des manufactures de Saint Cloud, Mennecy, Vincennes et Sèvres.
Dans tout le reste au surplus.
Vous en serez, j’en suis sûr, encore plus convaincus à l’issue de votre quête qui permettra une merveilleuse synthèse et apportera de nouvelles sources de réflexion sur un thème inépuisable. Par delà les influences vous aurez aussi l’occasion de déceler les singularités, l’apport original de notre propre sensibilité et tout l’enrichissement qu’elle apporte à un si rayonnant présent.
Aussi ne voudrais-je pas allonger votre attente et vous prie dès lors, sans plus tarder, de commencer vos travaux en vous demandant de m’excuser de ne pas l’avoir fait plus tôt.