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Huteau Michel, « Alfred Binet et la psychologie de l’intelligence », Le Journal des psychologues, 1/2006 (n° 234), p. 24-28. http://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2006-1-page-24.htm.

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Plan de l’article

  •     Le paradigme associationniste
  •     Un nouveau paradigme : l’étude de l’activité
  •     L’impact de l’œuvre de Binet en France
  •     Le mouvement des tests aux États-Unis
  •     Binet, inspirateur de Piaget
  •     Actualité de Binet ?

TEXTE INTÉGRAL

L’œuvre d’Alfred Binet a eu une portée considérable dans l’histoire de la psychologie de l’intelligence, en renouvelant son approche. Un retour sur les travaux de cet initiateur permet de mieux comprendre comment se sont diffusées les échelles de mesure, essentiellement à partir des États-Unis, mais aussi l’évolution indéniable réalisée dans les travaux portant sur l’analyse des fonctions intellectuelles.

Il y a tout juste un siècle, la revue L’Année psychologique, dans sa livraison datée de 1905, publiait sous la signature de son directeur, Alfred Binet (1857-1911), et d’un jeune psychiatre, Théodore Simon (1873-1961), plusieurs articles qui allaient révolutionner la psychologie de l’intelligence en présentant la première version de l’échelle métrique de l’intelligence – le test « Binet-Simon » – qui a inspiré la plupart des tests lui ayant succédé. Binet était déjà connu pour ses travaux sur l’intelligence. Il avait, en effet, publié deux ans auparavant un ouvrage novateur, L’Étude expérimentale de l’intelligence, dans lequel il montrait, à partir de l’observation prolongée de ses deux filles, que nos conduites intellectuelles étaient cohérentes et manifestaient notre individualité.

Les articles de 1905 et le livre de 1903 illustrent bien, dans le domaine de l’intelligence, la volonté de Binet de construire une « psychologie individuelle ». En traitant des sujets les plus divers, il a toujours déclaré viser un double objectif. D’une part, étudier la variabilité interindividuelle d’une fonction, ce qui le conduira à rechercher des signes de l’intelligence, puis à l’échelle métrique. D’autre part, étudier l’organisation des fonctions chez un même individu afin de déterminer son type intellectuel ou, dirions-nous aujourd’hui, son style cognitif, ce qui le conduira à montrer que certains sont plutôt « objectivistes », tandis que d’autres sont plutôt « subjectivistes ».


Le paradigme associationniste

Pour juger de l’apport de Binet et apprécier la nouveauté de son approche de l’intelligence, il est nécessaire de se reporter au début du xxe siècle et d’examiner ce qu’était alors la psychologie de l’intelligence. La psychologie scientifique vient de se constituer. Elle se propose d’établir un savoir positif, c’est-à-dire explicité et validé, sur le psychisme humain, savoir qui se distinguerait radicalement des discours de la tradition philosophique, de la littérature et de la clinique médicale. À cette fin, les psychologues de l’époque s’efforcent d’utiliser des méthodes voisines de celles que les physiologistes ou les physiciens mettent en œuvre. Ils sont persuadés que, pour « faire de la science », il faut procéder à des mesures précises au moyen d’appareils sophistiqués et que l’expérimentation consiste à mettre en évidence l’effet des variations des stimulations physiques sur les réactions des sujets.

Cette option méthodologique est tout à fait en accord avec le paradigme dominant qui est l’associationnisme. L’associationnisme est constitué d’un ensemble de théories issues de la philosophie empiriste anglaise (John Stuart Mill, Herbert Spencer) et introduites en France par Théodule Ribot. Il repose sur trois principes : l’empirisme (toutes nos connaissances proviennent des sens), le réductionnisme (toute connaissance provient de l’association d’images qui sont les résidus ou les réactivations des sensations) et le mécanisme (l’association est un phénomène automatique). Dans cette perspective, la base du psychisme est la sensation. C’est heureux, car les sensations peuvent être mesurées avec précision et elles peuvent donner lieu à des expérimentations qui ressemblent à celles de physiologistes. On doit à Hippolyte Taine (1828-1893) les développements les plus systématiques des thèses associationnistes. Pour Taine, « l’esprit est un polypier d’images » et les lois des idées se ramènent aux lois des images, « puisque nos idées se ramènent à des images ».

Les associationnistes ne remettent pas en cause l’objet de la psychologie tel qu’il a été défini par les philosophes. Pour les uns et les autres, la psychologie doit étudier des états de conscience. Les associationnistes se contentent de définir autrement les états de conscience : aux états de conscience complexes des philosophes ils vont substituer les états de conscience élémentaires que sont les sensations et qui sont seuls accessibles, pense-t-on, à l’expérimentation et à la mesure.

On a donc un ensemble tout à fait cohérent, qui, aujourd’hui, nous paraît un peu étrange, entre les propositions épistémo-logiques (les états de conscience comme objet), la théorie (l’associationnisme) et la méthodologie (une conception de la mesure et de l’expérimentation issue des sciences naturelles). Au début de sa carrière, Binet adhère pleinement à ce paradigme. Dans son premier ouvrage sur la psychologie du raisonnement (1886), il se propose de montrer que « l’élément fondamental de l’esprit est l’image ; que le raisonnement est une organisation d’images, déterminée par les propriétés des images seules et qu’enfin il suffit que les images soient mises en présence pour qu’elles s’organisent et que le raisonnement s’ensuive avec la fatalité d’un réflexe ». Mais, très vite, Binet va rompre radicalement avec ce paradigme.


Un nouveau paradigme : l’étude de l’activité

En 1903, la rupture est consommée. Binet déplace l’objet de la psychologie, montre que la théorie est infondée et renouvelle la méthodologie expérimentale. Pour Binet, la psychologie doit cesser de s’intéresser aux états de conscience et placer au premier plan l’analyse de l’activité. Les actes tendent à prendre la place des images : « Comprendre, écrit Binet en 1903, comparer, rapprocher, affirmer, nier, sont, à proprement parler, des actes intellectuels et non des images. » Binet participe donc à ce vaste mouvement qui, au début du xxe siècle, avec des personnalités aussi différentes que le fondateur du behaviorisme Watson et le pionnier de la psychologie clinique Janet, donne à la psychologie un nouvel objectif : l’étude des conduites, qu’elles soient motrices ou verbales.

Binet découvre, avec quelques autres, qu’il existe une pensée sans image, ce qui est tout à fait contradictoire avec les postulats associationnistes. « Toute la logique de la pensée, écrit-il en 1903, échappe à l’imagerie. » Définir la psychologie comme la science de l’action conduit à limiter le rôle des images pour insister sur la régulation de l’action. Binet, en 1909, propose une théorie de l’intelligence qui met l’accent sur la régulation de l’action et dans laquelle il n’est plus question des images. L’intelligence est un ensemble de fonctions qui permettent l’adaptation à des situations nouvelles. Quatre de ces fonctions – on dirait plutôt aujourd’hui des processus – paraissent essentielles : la direction (qui oriente l’activité), la compréhension, l’invention et la critique (qui vise à ajuster l’action au but poursuivi). Avec Binet, l’intelligence se manifeste uniquement dans les processus supérieurs (jugement, imagination, raisonnement…), alors que, pour beaucoup de ses contemporains, elle se manifeste au moins autant dans les processus élémentaires que sont, par exemple, l’acuité sensorielle et le temps de réaction simple.

L’étude des processus supérieurs appelle un élargissement de l’expérimentation et de la mesure. Binet juge « étroite » la conception alors dominante selon laquelle l’expérimentation ne peut être scientifique que si elle porte sur des processus simples. Il considère que tout changement dans la conscience du sujet est une excitation et que le langage est un excitant bien plus intéressant que les excitants sensoriels. Sa méthode privilégiée est l’introspection expérimentale et les témoignages introspectifs qu’il recueille ressemblent beaucoup aux verbalisations sollicitées par les psychologues cognitivistes. La mesure des processus élémentaires était calquée sur la mesure des excitants physiques. Binet (dans la seconde version de l’échelle métrique en 1908), avec la notion d’âge mental, introduit une nouvelle manière de classer les sujets qui, dit-il, « est équivalent pour les besoins de la pratique à une mesure ». Cette nouveauté des points de vue de Binet explique le succès de l’échelle métrique. Celle-ci n’est pas la transcription opérationnelle de sa théorie de l’intelligence ; Binet marquait d’ailleurs une grande désinvolture à l’égard de toutes les théories et savait se montrer pragmatique. Beaucoup d’items ne correspondent pas aux quatre processus centraux de la théorie et, quand il y a correspondance, elle n’est pas toujours évidente. Mais les grandes idées de Binet se retrouvent dans son test. Les items concernent tous des processus psychologiques supérieurs, et c’est sur ce point que la différence avec les autres tests construits à l’époque, ceux de Toulouse, Vaschide et Piéron en France, ceux de Cattell aux États-Unis, est la plus frappante. Ces items sont variés, ce qui correspond bien à l’idée que l’intelligence est une constellation de fonctions. Enfin, l’âge mental est un mode d’étalonnage original qui permet une ordination des sujets qui semble fondée.


L’impact de l’œuvre de Binet en France

Bizarrement, l’impact de l’œuvre de Binet en France a été très limité. En revanche, elle a été à l’origine du développement des tests, surtout aux États-Unis et en Angleterre, et elle a fortement inspiré Piaget. Binet, on le sait, a construit la première version de son test comme un outil de diagnostic de la débilité mentale en vue du recrutement des classes de perfectionnement. La création de ces classes avait été recommandée fin 1905 par une commission ministérielle à laquelle Binet participait. Binet et Simon ont travaillé très vite, mais ils ne partaient pas de rien, et le test a été en quelque sorte la mise en forme des recherches que Binet conduisait depuis une quinzaine d’années sur ses propres enfants, sur des écoliers et sur des enfants anormaux dans les hospices. La version de 1908 sera bien plus élaborée et destinée à des usages plus diversifiés (orienter la pédagogie, repérer les « anormaux militaires »…).

Les premières classes de perfectionnement ouvrent en 1907, et la loi qui les crée officiellement est promulguée en 1909. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce test a été mal accueilli par les philosophes qui se targuaient de faire de la psychologie – alors encore nombreux –, par les psychiatres et les médecins et, ce qui est plus surprenant, par les autres psychologues à prétention scientifique.

Le rejet des philosophes était tout à fait prévisible : vouloir mesurer quelque chose d’aussi complexe et d’aussi subtil que l’intelligence ne pouvait être, à leurs yeux, que le signe d’une grave aberration mentale. L’hostilité des psychiatres traitant de l’arriération mentale provient de ce que leur formation et leur pratique clinique les préparaient peu à procéder à des observations objectives et contrôlées. Elle est renforcée par les critiques sévères que Binet, pas très diplomate, leur adresse : il parle « de l’intuition, du subjectivisme, de l’empirisme grossier, décoré du nom de tact médical, et derrière lequel s’abritent l’ignorance, le laisser-aller et la présomption »… La plupart des psychiatres ignorent le test, ceux qui en parlent lui adressent quatre types de reproche : les réponses des sujets sont fortement biaisées (suggestibilité de l’enfant, labilité de son attention…), les épreuves ne se distinguent pas des exercices scolaires, les résultats ne permettent pas de se faire une idée d’ensemble, enfin l’application est trop coûteuse en temps. L’hostilité des psychiatres et, plus généralement, des médecins est aussi corporative. Ils considèrent que le diagnostic de la débilité mentale est de droit leur domaine, droit que Binet leur dénie. Pour le recrutement des classes de perfectionnement, il considère que le rôle du médecin doit se limiter à la reconnaissance des maladies dont l’anormal peut être atteint. Décider qui est anormal et qui ne l’est pas ne relève nullement de sa compétence. On a là la première manifestation du conflit entre médecins et psychologues, conflit qui aura un bel avenir.

Les réticences des psychologues scientifiques, essentiellement regroupés dans le laboratoire d’Édouard Toulouse à l’asile de Villejuif, sont d’une autre nature. Ils sont restés attachés au paradigme associationniste et considèrent que l’étude des processus élémentaires est la voie principale pour l’étude de l’intelligence. La plupart de leurs tests supposent des appareils de laboratoire et ils n’utilisent pas d’étalonnages. Ils sont persuadés de leur légitimité scientifique et accusent Binet d’avoir trahi la cause de la psychologie expérimentale.

Mal reçue, l’échelle métrique sera peu utilisée en France, même pour le recrutement dans les classes de perfectionnement. Ce n’est qu’à partir des années 1960, avec le développement des classes de perfectionnement, après que l’échelle métrique a été révisée par René Zazzo (1966) et que les effectifs des psychologies scolaires se sont suffisamment étoffés, que le test a été significativement utilisé pour le diagnostic de la débilité mentale. Mais ce succès sera de courte durée. Un nouveau test, bien plus satisfaisant à bien des égards, la Wisc, supplantera très vite le vieux Binet-Simon, même rénové. Par ailleurs, dès le début des années 1970, le problème du recrutement des classes de perfectionnement va perdre de son acuité avec un changement radical dans le mode de traitement du handicap mental. Alors que l’on se proposait d’aider les handicapés mentaux au moyen d’enseignements spécifiques, on se propose alors de les intégrer dans le système normal. La conséquence de ce changement de politique a été une réduction massive du nombre de classes de perfectionnement.

Le peu de succès du test de Binet et, plus généralement, le fait que son œuvre n’ait pas eu de prolongements (ce qui n’a pas empêché de nombreux auteurs de saluer rituellement son « génie ») s’expliquent pour une part par la personnalité de Binet. Binet est un marginal qui, malgré ses efforts, n’a jamais été intégré à l’establishment psychologique. Il n’a jamais enseigné et n’a pas formé d’élèves susceptibles de travailler dans la direction qu’il avait indiquée. Son seul disciple est Simon. Mais celui-ci, dès 1910, s’est surtout consacré à son activité de clinicien (comme médecin aliéniste). Il s’est toujours opposé à ce que Zazzo révise le test. On a donc assisté à un phénomène assez grotesque : la traduction en français d’adaptations américaines du Binet-Simon… Le véritable continuateur de Binet, tant par les thèmes de recherche que par le style de travail, est Zazzo. Mais deux générations les séparent (Zazzo est né en 1910). Une autre raison du peu d’impact de l’œuvre de Binet provient de l’influence d’Henri Piéron. Piéron remplace Binet à la direction du laboratoire de la Sorbonne et il deviendra vite, pendant quarante ans, le leader incontesté de la psychologie expérimentale en France. Piéron développe une conception de l’intelligence différente de celle de Binet. Il concède que le Binet-Simon est un bon test de développement, mais c’est pour affirmer aussitôt qu’il n’est pas un bon test d’intelligence, car les différences d’intelligence doivent se manifester à niveau de développement constant. Piéron, par ailleurs, et cela est à porter à son crédit, est opposé à une conception unidimension-nelle de l’intelligence, conception qu’il juge « dangereuse ». Il pense qu’il est plus pertinent de caractériser les individus par un profil que par un score unique. Le test qu’il construit et qu’utilisent les quelques conseillers d’orientation professionnelle qui, dans les années 1930, font passer des tests, décrit les individus au moyen d’un profil en 21 points.


Le mouvement des tests aux États-Unis

Le test de Binet et Simon a été mieux reçu dans les pays où la psychologie connaissait un développement significatif qu’en France, mais c’est aux États-Unis qu’il a eu le plus de succès. Ce succès n’a pas été immédiat. Les nombreux universitaires américains qui travaillaient à la construction d’un test d’intelligence et qui, pourtant, connaissaient les travaux de Binet, n’ont pas perçu la nouveauté de l’échelle métrique. C’est Henry Goddard (1866-1957), un obscur psychologue d’une institution pour déficients mentaux qui, à l’occasion d’un voyage d’études en Europe, découvre le test en 1908, à Bruxelles, au cours d’une rencontre avec Ovide Decroly. De retour aux États-Unis, Goddard devient un ardent propagandiste du Binet-Simon. Il traduit d’abord la version de 1905, puis il donnera une adaptation de celle de 1908 (en 1911). Goddard agit d’abord auprès du personnel des institutions qui reçoivent des débiles, auprès des médecins et des enseignants. Son établissement devient un centre de formation aux méthodes de Binet et Simon. Il réalise de vastes enquêtes auprès des écoliers et promeut ainsi l’idée d’un dépistage systématique de la débilité mentale. Il applique aussi l’échelle métrique à des émigrants (1913), et il est le premier psychologue à faire état des résultats à des tests devant une cour de justice (1914). Cette extension du testing culminera avec l’intervention des psychologues dans la constitution de l’armée américaine qui conduira à tester en un peu plus d’un an un million sept cent cinquante mille recrues. Goddard participe évidemment à cette opération, mais ce n’est plus lui le leader du mouvement des tests, il a été supplanté par Yerkes et Terman. Le développement des tests deviendra alors l’affaire des universitaires.

Après la Première Guerre mondiale, le testing continuera à se développer fortement dans le domaine éducatif et dans l’industrie. Dans l’esprit de l’échelle métrique, Terman propose son adaptation, le Stanford-Binet, en 1916. Ce test individuel est destiné à être utilisé en clinique, et Terman, tout à fait dans la ligne de Binet, insiste sur les précautions à prendre pour l’application et sur la nécessité d’interpréter les réponses des sujets. Jusqu’à l’apparition du Wechsler-Bellevue en 1938, le Stanford-Binet, à nouveau révisé en 1937, sera le test d’intelligence de référence et il servira de critère de validation pour les nouveaux tests. Les tests collectifs, construits d’abord pour l’examen des conscrits, vont connaître un succès considérable. Mais, évidemment, comparés à l’épreuve individuelle, ils apportent une information plutôt pauvre. Avec Yerkes, les items cessent d’être représentatifs d’un âge. Ils permettent d’obtenir un certain nombre de points que l’on fait correspondre ensuite à des niveaux d’âge (par exemple, dire soixante mots en trois minutes est un item de douze ans ; Yerkes donne 1 point à ceux qui énoncent de 30 à 40 mots, 2 points pour 41-59 mots, 3 points pour 60-74 mots et 4 points pour 75 mots et plus ; on examine ensuite le nombre de mots moyen fourni aux divers âges). Par la suite, on abandonnera purement et simplement la référence à un âge mental pour se limiter au constat d’un niveau d’efficience. Enfin, la culture statistique des psychologues américains étant nettement plus développée que celle de leurs collègues européens, les techniques de construction et de validation vont devenir plus sophistiquées. Mais, bien que plus élégants et sans doute plus efficients, tous les nouveaux tests sont fondés sur le même principe que le vieux Binet-Simon.

Les tests seront souvent utilisés dans le contexte d’une idéologie conservatrice. Le qi, réifié, deviendra pour beaucoup la mesure d’une intelligence héréditaire et servira parfois de justification à des politiques eugénistes, racistes et xénophobes.


Binet, inspirateur de Piaget

À la mort de Binet, Piaget est alors âgé de quinze ans. Il se préoccupe de philosophie et commence à étudier les mollusques des lacs du Valais. Il a déjà l’idée d’une théorie biologique de la connaissance et il déclarera plus tard avoir éprouvé le besoin de se donner une formation en psychologie. À Paris, où il résidera de 1919 à 1921, il suit les cours de l’Institut de psychologie que Piéron vient de créer et, introduit par Simon, il observe des enfants dans le laboratoire que Binet avait créé dans l’école de la rue de la Grange-aux-Belles (étrange laboratoire, car Piaget est le seul à le fréquenter…).

Piaget a affirmé qu’il devait « beaucoup », « même énormément », à la tradition de Binet. Il a écrit que sa psychologie des opérations logiques correspondait à un programme prévu par Binet qui avait préparé la définition de l’intelligence en termes d’actions intériorisées et fait de la pensée un système d’actions. Il y a aussi une influence manifeste de Binet sur les méthodes que va privilégier Piaget. L’entretien clinique de Piaget ressemble beaucoup au dialogue que Binet entretenait avec ses sujets. La mise en série des observations en fonction de l’âge ou du niveau d’intelligence afin de décrire une évolution est une méthode que Binet a pratiquée bien avant Piaget. Enfin, bien des situations expérimentales piagétiennes trouvent leur origine dans des travaux de Binet qui s’est montré à maintes reprises un expérimentateur particulièrement astucieux. En 1890, par exemple, dans ses premières recherches portant sur des enfants, anticipant de cinquante ans les expériences de Piaget sur la genèse du nombre, Binet montre que l’estimation d’une quantité d’éléments dépend de l’étendue de l’espace que ces éléments occupent.


Actualité de Binet ?

Manifestement, Binet est moderne, mais il n’est pas pour autant notre contemporain. Constatant que l’action qu’il prend en compte et qu’il analyse est davantage la production d’idées (l’idéation) que la résolution de problèmes et que les concepts qu’il utilise pour interpréter ses observations sont souvent tirés du langage commun, certains hésitent à en faire un précurseur de la psychologie cognitive. Un examen rapide des travaux actuels sur la variabilité des fonctions intellectuelles et leur mesure montre – et le contraire serait un peu inquiétant ! – que des progrès considérables ont été réalisés depuis Binet (abandon de la conception unidimension-nelle de l’intelligence, analyse des performances dans le cadre des modèles du traitement de l’information…). Relire les textes de Binet qui concernent cet aspect de la psychologie individuelle (l’étude d’une fonction) ne présente plus qu’un intérêt historique. La situation est un peu différente pour la seconde facette de la psychologie individuelle (l’étude de l’organisation des fonctions). Les progrès réalisés dans ce domaine sont beaucoup moins spectaculaires et il peut sans doute être utile de relire L’Étude expérimentale de l’intelligence.

 

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