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TRAVAUX DU COMITÉ FRANÇAIS D’HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
– Troisième série – T.XVI (2002)

Silvia F. de M. FIGUEIRÔA


RÉSUMÉ

Ce texte présente un panorama des rapports géologiques entre un pays européen – la France – et un pays sud-américain – le Brésil – pendant le XIXe siècle. La présentation et la discussion d’exemples sont axées autour de l’enseignement supérieur, particulièrement des écoles d’ingénieurs. Cela permet de révéler une présence française non négligeable, soit à travers des livres d’auteurs français disponibles dans les bibliothèques, soit à travers des modèles institutionnels qui ont inspiré ces écoles. Cette présence ne peut être comprise que dans les différents contextes historiques vécus par le Brésil et sa communauté scientifique.


INTRODUCTION

Analyser l’histoire des sciences à partir des rapports scientifiques entre deux pays est une approche qui met obligatoirement en évidence les dynamiques locales, soit des scientifiques eux-mêmes, soit de la vie politique, sociale, culturelle et économique des pays concernés.

Si j’ai choisi de me limiter ici essentiellement au XIXe siècle, cela ne veut pas dire que des rapports n’aient pas existé auparavant, ni qu’ils n’aient pas continué pendant le XXe siècle, comme l’illustre la conférence faite en 1929 par Alberto Betim Paes Leme devant la Société géologique de France. C’est d’abord parce que c’est la période que j’ai le plus étudiée, mais aussi parce qu’elle me permet de voir l’histoire des sciences géologiques sous un point de vue encore peu exploré  : celui des écoles d’ingénieurs et de l’enseignement technique de ces disciplines qui étaient à la base des différentes modalités de formation de l’ingénieur. Car c’est là, précisément, que l’on va former les futurs professionnels qui partiront sur le terrain, quand une formation spécifique en géologie faisait défaut. Certes, dans le domaine des musées et des voyageurs ces rapports ont aussi été importants, comme l’a déjà montré Lopes.


L’arrivée de la cour portugaise et la création d’institutions

Le XIXe siècle débute avec une forte présence napoléonienne en Europe. Afin d’échapper à l’invasion française de son territoire – qui faisait partie de la stratégie de Napoléon de blocus de l’Angleterre –, le Portugal a transféré le noyau du pouvoir vers la plus grande et la plus importante de ses colonies : le Brésil. L’infrastructure disponible dans l’Amérique portugaise à cette époque était évidemment celle qui convenait à un domaine colonial, d’où la nombreuse série de dispositifs légaux créés pour la mise en place d’un appareil institutionnel minimum : Real Horto (Jardin des Plantes), Impressão Régia (Imprimerie Royale), Escola Anatômica Cirúrgica e Médica (École de Chirurgie et de Médecine) à Bahia et à Rio de Janeiro, Biblioteca Nacional (Bibliothèque Nationale).

Figure-clé depuis la fin du XVIIIe siècle, le ministre des Affaires étrangères et de la Guerre, D. Rodrigo de Sousa Coutinho (comte de Linhares), a essayé de concrétiser l’implantation de l’« Empire américain » dont avaient longtemps rêvé les Portugais. Ses actions ont porté principalement sur les points fondamentaux de la défense et de l’organisation/aménagement du pays. Parmi d’autres mesures importantes, D. Rodrigo a mis au point la réorganisation des forces militaires, y compris la fondation d’une école supérieure de formation : l’Academia Real Militar : A. R. M. (Académie royale militaire), créée le 4 décembre 1810 pour former les officiers d’artillerie, ingénieurs, ingénieurs géographes et topographes pour les travaux des mines, des routes, des canaux, des ponts et chaussées (cf. Motta, 1976, p. 12-13 ; et Coleção de Loeis e Decretos do Brasil de 1810, Imprensa Nacional, 1891).

Pour former ce corps technique au service de l’État, l’Académie royale militaire a pris comme modèle celui de l’École polytechnique française : notamment, le règlement mettait l’accent sur les mathématiques et l’enseignement pratique. La loi de création, détaillée, prévoyait « un cours complet de sciences mathématiques, de sciences de l’observation – la chimie, la physique, la minéralogie, la métallurgie et l’histoire naturelle, qui comprendra les domaines végétal et animal – et de toutes les sciences militaires, soit la tactique, la fortification et l’artillerie ».

Pour toutes les disciplines, la loi indiquait les manuels sur lesquels l’enseignement devrait s’appuyer. Les titres français prédominaient dans cette liste, mais la loi encourageait explicitement les maîtres à écrire leurs propres livres, ce qui est arrivé quelquefois. Si l’on considère la minéralogie de plus près, la loi déterminait que le maître « se servira de la méthode de [Abraham Gottlob] Werner en démontrant le cabinet de Pabst von Ohain … et ne perdra non plus de vue [René-Just] Haüy, Brochant [de Villiers] et d’autres minéralogistes célèbres ». Il faut d’abord remarquer une orientation générale neptuniste, due éventuellement à l’influence d’un des auteurs possibles de la loi : le capitaine Carlo Antonio Napione, d’origine piémontaise, formé à la Bergakademie Freiberg et au service de l’Armée portugaise depuis 1800. Mais l’éclectisme déjà mentionné permettait, à mon avis, l’adoption, côte à côte, des auteurs français contemporains, comme l’abbé Haüy et Brochant de Villiers, qui professaient des orientations théoriques différentes. La référence explicite au cabinet de Pabst von Ohain révèle l’importance qu’on voulait attacher à l’enseignement pratique. Ce cabinet comptait 3 326 échantillons comprenant pratiquement toutes les espèces minérales connues à l’époque, et avait constitué la collection minéralogique de Karl Eugen Pabst von Ohain (1718-1784), conservateur de la Bergakademie Freiberg de 1770 à sa mort. Elle avait été organisée et décrite par Abraham Gottlob Werner selon sa méthode géognostique, d’où sa dénomination de « collection Werner », comme on l’appelle au Brésil. Achetée par le Comte da Barca (Antônio de Araújo e Azevedo) quand il était « ministre », c’est-à-dire ambassadeur du Portugal à Berlin (1798-1802), pour le Musée royal à Lisbonne (Museu d’Ajuda), cette collection a été transportée au Brésil à l’occasion de l’invasion napoléonienne. Le premier professeur de minéralogie (et aussi d’histoire naturelle) de l’Académie, le prêtre José da Costa Azevedo (1763-1822), l’utilisait pour son enseignement, lequel était également complété par un petit livre qu’il avait lui-même écrit, mais qui n’a jamais été publié.

Après la mort du prêtre, la chaire de minéralogie a manqué de titulaire, ce qui a été résolu grâce au concours de différents professeurs suppléants. Néanmoins, cette solution a eu pour effet de faire passer l’enseignement de minéralogie au second plan, d’où une inévitable désorganisation. Ces critiques apparurent vigoureusement en 1837, quand on critiqua non seulement les livres adoptés (considérés comme insuffisants et un peu dépassés), mais aussi à revoir l’allocation du temps et les classes pratiques.

L’un des résultats a été une acquisition significative de livres (la plupart français), dont 13 titres portant sur la minéralogie, la géologie, l’histoire naturelle et la géographie :

« BEUDANT : ‘Minéralogie’ ; BROGNIARD [sic] : ‘Minéralogie’, ‘Classification et caractères minéralogiques des roches’ et ‘Voyage de Saussure aux Alpes’ ; BROCHANT : ‘Minéralogie’ ; BARRUEL : ‘Traité de Minéralogie, Géologie et Géognosie’ ; ELIE DE BEAUMONT : ‘Extrait d’une série de recherches sur les révolutions de la surface du Globe’ ; HUMBOLDT : ‘Relation historique des voyages de Humboldt’, ‘Essai sur les gisements des roches dans les deux hémisphères’ et ‘Vue des cordelières et monuments des peuples indigènes de l’Amérique’ ; D’AMALIUS [sic] d’HALLOY : ‘Éléments de Géologie’ et ‘Dictionnaire d’Histoire naturelle’ ; MALTE BRUN : ‘Géographie’ ».

Quant à l’enseignement pratique, en 1818, quand le Muséum national fut fondé à Rio de Janeiro, le cabinet de minéralogie a fait partie du noyau matériel de sa constitution. Le prêtre Costa Azevedo en devint le premier directeur et donnait donc ses cours réguliers au Muséum. Le déplacement des élèves étant devenu gênant, quelques échantillons en double et plus ordinaires furent alors donnés en 1834 à l’Académie militaire, mais ce cabinet pratique se désorganisa également.

Ces problèmes découlaient du contexte politique plus général qui conditionnait à l’époque la vie de l’Académie royale militaire : l’indépendance face à la métropole portugaise en 1822 et les conséquences financières et économiques, l’abdication du premier empereur Pedro I en 1831, la période turbulente des « Regências » qui suivit l’abdication (due à la minorité du successeur, le futur empereur Pedro II), pendant laquelle eurent lieu plusieurs révoltes régionales, soit populaires, soit des propriétaires terriens. Evidemment, une institution militaire ne pouvait pas ne pas être mêlée aux aléas de la vie politique, et plusieurs professeurs et élèves la quittèrent pour intégrer l’armée.

En 1839 une profonde réforme de l’Académie royale militaire, de caractère militarisant a radicalement modifié la structure du curriculum ainsi que sa dénomination – dorénavant École militaire. Le décret réformateur préconisait que les règlements devraient se baser sur ceux « de l’École Polytechnique et de l’École [d’artillerie] de Metz, en France ». La chaire de minéralogie fut supprimée, puis réintroduite lors d’une nouvelle réforme en 1842.


De l’Ecole militaire à l’Ecole centrale

[…]


L’Ecole polytechnique de Rio de Janeiro et l’Ecole des mines d’Ouro Preto

[…]


REMARQUES FINALES

En conclusion, il apparaît que les rapports scientifiques entre le Brésil et l’Europe ont été substantiels depuis la fin du XVIIIe siècle, dus, d’un côté, à l’action des scientifiques brésiliens eux-mêmes, habituellement membres de l’élite sociale et politique, qui séjournaient en Europe régulièrement, et de l’autre, aux idéaux qui plaçaient dans le vieux continent le berceau des valeurs de ce qui était considéré comme la civilisation.

L’influence française a été particulièrement importante tout au long du XIXe et jusqu’au XXe siècle. Dans les sciences de la Terre, je pense que les raison majeures en sont en premier lieu : la bonne réputation de l’« école française » et sa forte implication dans les travaux de génie civil et l’agriculture. Mais aussi la « géologie positive », qui proposait de renoncer à l’ambition de la théorie, pour ne s’attacher qu’aux faits incontestables, et rien qu’à eux, car les géologues brésiliens de cette époque ont refusé les longues polémiques théoriques et ont toujours préféré les travaux descriptifs et d’identification des minéraux, roches et fossiles.


http://www.annales.org/archives/cofrhigeo/bresil.html#_ftn1

 

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