L’influence de la langue française sur le vocabulaire politique persan. Mahnaz Rezaï. Doctorante en littérature française, Université de Tabriz. Revue de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines Année 53 N0 218. Archive of SID.
RÉSUMÉ
A l’ère de la communication, la langue persane comme toutes les langues vivantes, fait des échanges linguistiques avec les autres langues. Dans cet échange interlinguistique, issu des rapports politiques, sociaux, économiques et culturels des pays de diverses langues, la traduction tient bien entendu, un grand usage dans la communication. Les recherches affirment que c’est le français, parmi d’autres langues européennes, qui a influencé la langue persane le plus : dès le début des relations entre l’Iran et l’Europe, les Iraniens ont bien accueilli et apprécié la langue et la littérature françaises. En persan, il y de nombreux mots et expressions qui ont été introduits du français sous forme d’emprunts ou de calques. Le présent article est une étude lexique consacrée aux termes et aux expressions politiques introduites de la langue française en persan.
INTRODUCTION
De nos jours, la traduction joue un rôle inévitable dans les communications internationales. C’est, bien évidemment, par la langue et plus particulièrement par le lexique que la traduction se réalise. Les relations économiques, politiques et culturelles entre les Etats occasionnent l’entrée de certains éléments d’une langue dans l’autre. La traduction des annonces et des titres à la Une, des articles, des colonnes et des rubriques politiques de la presse étrangère, etc., font introduire, bon gré mal gré, un grand nombre de nouveaux mots et expressions politiques dans le lexique politique persan sous diverses formes dont l’emprunt, le calque et la traduction mot-à-mot qui sont directs, faces aux traductions indirectes: la modulation, la transposition, l’équivalent et l’attribution (qui ne sont pas dans un rapport direct avec le mot).
Il est évident que pour découvrir la démarche de l’influence du français en persan, il faut tout d’abord savoir l’historique des rapports bilatéraux entre les deux pays l’Iran et la France: les relations entre l’Iran et l’Europe datent de l’époque safavide, mais il faut chercher l’origine des relations culturelles franco-iraniennes à l’époque qâdjâr. Les relations diplomatiques, culturelles et scientifiques entre l’Iran et la France, le voyage des étudiants iraniens en France, ont joué un rôle primordial dans l’influence qu’a subie le persan.
Il s’agira pour nous d’étudier les termes et expressions politiques introduits dans le persan comme l’emprunt, le calque ou la traduction mot-à-mot. Pour ce faire, nous avons lu les articles politiques traduits de la presse française et publiés dans les divers numéros du journal Ettela’at dans une période s’étendant de 1340 à 1344 (1961-1965), pour ensuite repérer les termes et expressions traduits à partir de la langue française et mise en usage dans la langue persane. Dans la phase suivante, nous avons trouvé l’équivalent juste des mots et des expressions repérés et de là, nous les avons classifié dans trois groupes pour désigner s’il s’agit de l’emprunt ou de la traduction littérale (le calque); et cela à l’aide des dictionnaires de la langue, car dans le domaine politique les dictionnaires spéciaux sont pour la plupart anglais-persan et malheureusement ceux en langue française ne sont pas nombreux. Dans cette phase, nous nous sommes rendu compte du nombre considérable des termes politiques empruntés au français. Ainsi, une grande partie de cette recherche est consacrée aux emprunts, nous passerons ensuite à deux autres types de traduction; mais tout d’abord nous allons étudier brièvement l’historique de l’influence du français sur le persan.
Historique de l’influence du français sur le persan
C’étaient les rois qâdjârs qui ont préparé le terrain pour le développement des rapports scientifiques et culturels entre l’Iran et l’Europe et surtout la France. Sous la dynastie qâdjâr, et surtout à l’époque de Nasser al-Din Chah, avec le développement des relations entre l’Iran et l’Occident, plusieurs étudiants iraniens ont été envoyés en Europe pour faire des études en sciences expérimentales, militaires et techniques. Parallèlement, les spécialistes étrangers sont venus en Iran et la traduction surtout dans le domaine scientifique se développa considérablement. C’est ainsi que certains termes latins pénétrèrent dans la langue persane. « Les changements politiques sous les Qâdjârs, la naissance de l’imprimerie et le développement de la presse ainsi que l’ouverture à l’Occident par les voyages furent les principaux facteurs du développement des traductions en Iran au XIXème et au début du XXème siècle », nous précise Ch. Balaÿ dans son livre La Genèse du roman persan moderne. C’était à l’époque qâdjâr que le français imposa sa grande influence sur la langue persane, car à l’époque elle était « la langue commune de l’Europe, il fallait donc, non seulement inscrire au programme des matières enseignées le français, mais aussi prévoir tout un programme de traductions techniques et scientifiques à l’usage des étudiants » (Balaÿ, 1997, pp. 43-44). Etant donné que la majorité des ouvrages traduits ont été faites à partir de la langue française, l’influence de celle-ci est très remarquable sur la langue persane. Les mots et expressions pénétrèrent donc dans la langue persane par la voie de la traduction de la presse, des livres culturels, des lettres administratives et des œuvres scientifiques. En effet, c’était à travers l’apprentissage de la langue française, que les premiers intellectuels et traducteurs iraniens ont été familiarisés à la culture occidentale. Leurs traductions de la langue française en sont témoins. E’témâd ol-Saltaneh, Mirzâ Melkom Khân, Hassan-Ali Khân Amir Nézâm, étaient des traducteurs de la cour des Qâdjârs et nous ont légué de nombreux ouvrages traduits du français. Le développement de la traduction en Iran est en rapport direct avec la Révolution Constitutionnelle de 1906. La traduction des ouvrages des grands écrivains comme Rousseau, Voltaire, Montesquieu, ont contribué à l’initiation des Iraniens avec les grandes évolutions sociales et intellectuelles de l’Occident. Après la Révolution Constitutionnelle, la traduction à partir du français était toujours en vogue. Sous le règne de Mozafer al-Din Chah, roi qâdjâr, la plupart des courtisans apprenaient le français. Entre eux, certains devinrent des traducteurs d’ouvrages littéraires. C’est ainsi que le français pénètre de plus en plus dans notre langue et notre culture.
Études générales
Le processus de la traduction a exercé son influence sur la syntaxe soit par l’apparition de nouvelles structures grammaticales comme par exemple «ﺖﺴﯿﻧ رﻮﻄﻨﯾا» (intor nist): n’est-ce pas, «دراد دﻮﺟو» (vojud dârad): il y a, «يور ندﺮﮐ ﻪﻌﻟﺎﻄﻣ» (motâle’e kardan ruy-e): étudier sur, «يور ندﺮﮐ ﻪﯿﮑﺗ» (tekkiye kardan): appuyer sur, «يور ندﺮﮐ بﺎﺴﺣ» (hesâb kardan ruy-e): compter sur; soit par la grammaticalisation de certains morphèmes prenant, sous l’influence de la traduction, une nature ou une fonction grammaticales. (Farchidvard, 1996, pp. 353-366). Dans les exemples ci-après les morphèmes soulignés sont grammaticalement suffixes ou préfixes:
Table (1) Anti-national (adj) zedd-e melli ﺿﺪ ﻣﻠﯽ Illégal (adj) khelâf-e ghânoun ﺧﻼف ﻗﺎﻧﻮن Incompétence (n.f) adam-e salâhiyat ﻋﺪم ﺻﻼﺣﯿﺖ Guérissable (adj) darmân pazir درﻣﺎن ﭘﺬﯾﺮ Invincible (adj) shekast nâpazir ﺷﮑﺴﺖ ﻧﺎﭘﺬﯾﺮ Renaissance politique (n.f) tajdid-e hayât ﺗ
Emprunt
Nous considérons comme emprunt, les mots entrés en persan sans changement morpho-sémantique relativement à la langue d’origine, et donc simplement repris avec éventuellement une simple adaptation graphique ou phonétique. L’emprunt est considéré comme une solution pour une lacune lexicale, comme nous le dit Ladmiral: « Face à une lacune lexicale, de sa langue cible, le traducteur peut avoir recours à la solution désespérée de l’emprunt, qui importe tel quel le terme source étranger» (Ladmiral, 1994, p. 19). Du point de vue purement linguistique, le phénomène d’emprunt se manifeste dans trois niveaux linguistiques: phoniques, grammaticaux et lexicaux (Mochiri, 1993, p. 85). Mais ce dernier, qui est le sujet de notre travail, est plus fréquent.
Les emprunts sont pour la plupart des termes techniques et scientifiques. Parallèlement à l’introduction d’un phénomène scientifique, technologique ou culturel dans la société destinataire, le mot étranger désignant ce phénomène, entre également dans la langue emprunteuse (Safavi, 1996, pp. 120-121). C’est pourquoi selon Mohammad Rézâ Bâteni « l’emprunt est, avant tout, un phénomène social reflétant l’influence culturelle d’une société sur une autre» (Bâteni, 1994, p. 52). Le fait d’emprunter ne peut pas signifier la faiblesse d’une langue mais, tout au contraire, il aide à son enrichissement. Pourtant, « du fait que les termes propres intraduisibles (géographiques, historiques et internationaux) empruntés aux langues étrangères sont très nombreux dans la langue persan, les linguistes persans doivent trouver, du moins, des équivalents convenables pour les autres mots traduisibles.» (Farchidvard, 2001, p. 62). D’après M. Bâteni, les emprunts sont ou bien «indispensables», ou bien « superflus ». Il faut éviter les emprunts superflus, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas à remplir les vides lexicaux. Les emprunts indispensables remplissent, au contraire, les vides lexicaux et enrichissent la langue emprunteuse (Bâteni, 1994, p. 94).
L’emprunt se fait le plus souvent des termes techniques et scientifiques, tels que les termes médicaux ou les termes appartenant aux sciences expérimentales comme la chimie, la physique et la biologie. Il est fort possible que les équivalents persans de notre travail puissent trouver tôt ou tard, d’autres équivalents comme par exemple, le terme « manœuvre » qui, après presque un siècle, a pu trouver le joli équivalent: «razmâyech:,, *l..;, ».
Avec la fondation de l’Académie persane en 1314 (1935), les membres francophones se mirent à trouver ou à créer des équivalents convenables aux mots empruntés.Mais actuellement, certains mots étrangers, entre autres français, sont toujours en usage dans la communauté linguistique persane et ont trouvé «une nationalité persane» selon l’expression de M. Mochiri (1995, p. 51). Ce sont plutôt les mots dont les équivalents n’ont pas été popularisés, c’est-à-dire les locuteurs de la langue persane ne sont pas familiarisés avec les équivalents proposés comme par exemple, le mot « banque » pour lequel les spécialistes de l’Académie ont proposé l’équivalent désabusé de «JI*, olg:, ». Voici d’autres exemples: kyste: a…*S/ transit: ,y.* */ vaccin: e55 ail.. / microbe: *:*, o,*,y;l7. L’Académie ne peut pas obliger les locuteurs d’accepter les néologismes, parce que ce sont les locuteurs, eux-mêmes qui décident de les accepter ou de les refuser (Mirsalim, 2003, p. 47). Il y a quelques années que l’Académie a proposé 9s’ :4 et ys’,y, respectivement comme les équivalents du «haut-parleur» et de la «téléphone». Les locuteurs ont accepté le premier et ont rejeté le deuxième, alors que J Sl* jy,(essuie-glace), ,.gis’ (garde-boue), ,p., (bouclier), des néologismes faits par les chauffeurs et les mécaniciens (et non pas par l’Académie) ont été tous acceptés par eux (Chari’at, )uf, p. 48).
[…] Lire la suite, pages 7 à 15
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CONCLUSION
L’ensemble des termes et des expressions étudiés dans ce travail est bien divisé en deux parties: les emprunts et les calques. Certains emprunts français, s’accordant à l’appareil phonétique de la communauté persane, ont été persanisés et de là, familiers aux Persans. En jetant un coup d’œil sur les listes données de ce travail, nous pourrons observer de nombreux termes et expressions politiques qui semblent être littéralement traduits des langues étrangères et surtout du français, comme par exemple: ﯽﺒﺴﻧ ﺖﯾﺮﺜﮐا ،دﺎﻤﺘﻋا ي
L’objectif du fait d’emprunter des termes politiques français était plutôt de « remplir les lacunes lexicales » persans. Ainsi, cela pourrait être considéré comme un fait positif.
« Les emprunts superflus » du français, c’est-à-dire ceux qui ont un équivalent en persan, comme ˝conférence˝ ou ˝comité˝ par exemple, ont aboutit à l’appauvrissement de la langue persane et cela a nuit à sa système lexicale. Un bon nombre d’emprunts français sont en usage dans la langue persane sans que les locuteurs fassent attention à leur origine française.
Bien que les spécialistes de l’Académie persane aient trouvé et proposé de convenables équivalents pour les termes politique étrangers et notamment français, ces équivalents sont rejetés le plus souvent par la communauté langagière persane; les locuteurs persans de toute couche sociale font, eux-mêmes, des néologismes qui sont rapidement acceptés et mis en usage.
Sans doute, la compilation des dictionnaires politique persan-français ou français-persan contenant des équivalents convenables pour les termes politiques étrangers pourrait résoudre une grande partie de ces problèmes.