
L’auteur. Bernard Brizay, né en 1941, est journaliste et historien de formation. Il a rédigé, depuis les années 2000, des ouvrages consacrés à l’histoire chinoise pour laquelle il s’est pris de passion depuis sa découverte du pays lors d’un premier voyage en août 1979. Parmi les livres déjà parus, on retiendra surtout Le Sac du Palais d’Été, Troisième Guerre de l’Opium (paru en 2003) ainsi que Les Trois sœurs Soong. Une dynastie chinoise du XXe siècle (paru en 2007), tous deux très minutieusement documentés.
4° de couverture
«Tout commence avec Louis XIV, qui envoie des savants missionnaires jésuites à la cours de l’empereur Kangxi avec le fol espoir de convertir le souverain et ses sujets au catholicisme. La présence française, alors relativement pacifique, devient, au XIXesiècle, beaucoup plus agressive : trois fois en guerre avec la Chine, la France participe aux côtés de la Grande-Bretagne au tristement célèbre sac du palais d’Été en 1860. Des Français de tous horizons y sont alors nombreux : militaires, diplomates, explorateurs, aventuriers, sinologues écrivains, hommes d’affaires. A travers leurs réalisations, se dessine une histoire riche, diverse, étonnante et passionnante, où l’on croise le père Huc, Paul Claudel, Victor Segalen, les aventuriers de la Croisière jaune, les concepteurs fous du train de Yunnan, les canonnières du Yang-Tsé, et jusqu’à De Gaulle, le premier chef d’État occidental à reconnaître la Chine de Mao. Si ce pays doit beaucoup à la France, l’inverse n’en est pas moins vrai, et l’auteur nous livre en filigrane une vision nouvelle des rapports franco-chinois de 1685 à nos jours.»
INTRODUCTION

Le 14 juillet 2001, Jean-Pierre Elkabbach reçoit M. Wu Jianmin, ambassadeur de Chine à Paris, lors de son interview matinale sur Europe 1. La ville de Pékin vient d’être désignée pour accueillir les Jeux Olympiques de 2008.J.-P. Elkabbach commence par dire à son
invité qu’il existe une longue tradition d’amitié entre la France et la Chine. Sans doute le
journaliste pense-t-il à la reconnaissance de la République populaire par la France du
général de Gaulle, en janvier 1964.
« OOOOHH ! s’exclame alors l’ambassadeur. En 1860, il y a eu le sac du palais d’Été ! »En ce qui concerne les relations entre la France et la Chine, M. Wu – par ailleurs francophile et francophone – n’oublie pas cet épisode encore douloureux pour les Chinois et peu glorieux de notre histoire
Ne nous leurrons pas. Il n’y a jamais eu à proprement parler de tradition d’amitié entre la France et la Chine, non plus qu’une « entente cordiale » comme avec l’Angleterre ou bien l’alliance franco-russe. Tout comme les autres pays européens – et en particulier l’Angleterre – la France jusqu’au milieu du XXe siècle a considéré la Chine comme une proie facile à dominer, taillable et exploitable à merci. Tandis que la Chine ne pouvait de son côté que considérer la France comme un pays agresseur, ne serait-ce que pour son activité missionnaire sur son sol. Mais bien moins que l’Angleterre, il est vrai, avec ses importantes activités économiques.
« Il faut savoir que l’on a devant soi un peuple qui n’oublie jamais les torts qu’on lui a faits », écrivait un ami de la Chine et des Chinois, Prosper Giquel, à la fin du XIXe siècle. Or la France s’est trouvée trois fois en guerre avec la Chine.
En 1900, Aristide Briand (alors avocat) était en droit de s’étonner : « Les Chinois, qui n’avaient jamais manifesté la moindre intention de conquérir l’Occident, ont vu toutes les puissances de l’Europe s’installer chez eux, avec l’intention cyniquement avouée de se partager leur pays, au besoin par la force, si les intrigues de la diplomatie n’y suffisaient pas »… « Quelle raison de réclamer que la France soit exclusivement aux Français, si l’on ne doit pas admettre que la Chine reste aux seuls Chinois ? », était alors en droit de se demander le futur homme d’État français.
Un étudiant chinois nous a un jour demandé (c’était en 2 010 à Shenyang, dans la province du Liaoning) si nous connaissions La dernière classe (dans les Contes du lundi) d’Alphonse Daudet. Le premier moment de surprise passé, nous lui avons à notre tour demandé le pourquoi de cette question. Rappelons qu¹il s’agit de l¹histoire, si émouvante, de cet instituteur qui, en 1871, après la victoire de la Prusse sur la France, annonce à ses élèves, la mort dans l’âme, que l’ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l’allemand dans les écoles d¹Alsace et de Lorraine. C’était ainsi la dernière classe qu¹il donnait, en français. Notre étudiant a répondu qu¹il y voyait une similitude entre l’attitude coloniale de la France en Chine dans des temps pas si anciens, et l’occupation de provinces françaises par l’Allemagne. Nous avons appris depuis que cette histoire, racontée par Daudet, est enseignée en Chine.
De la même manière, à l¹université de Jinan (dans le Shandong) une jeune interprète nous a raconté qu¹elle avait entendu parler pour la première fois dès l¹école primaire, à l’âge de 8 ans, du sac du palais d’Été et de cette expédition impérialiste et coloniale, menée par des fangui, des « démons étrangers », Anglais et Français.
Le livre de Léon Rousset, À travers la Chine (1886), commence par ces lignes : « Ce qui frappe le plus le voyageur à mesure qu’il s¹éloigne de la France, c’est de voir quelle petite place elle tient dans les contrées lointaines. Tandis que l¹Angleterre remplit tout de son nom, de son commerce et de sa langue, le renom de la France s¹affaiblit au contraire d’autant plus vite que celui de sa voisine grandit. »
C’est vrai que cet ouvrage sur la présence de la France en Chine n’aurait sans doute pas grand-chose de commun avec un titre similaire concernant l¹Angleterre en Chine. Pour l’Angleterre, la Chine est essentielle, commercialement parlant. Pour la France, la Chine est en quelque sorte marginale, si l’on exclut l¹importance des missions catholiques.
Pour Paul Valéry, « la Chine, fort longtemps, nous fut une planète séparée. Nous la peuplions d’un peuple de fantaisie, car il n’est rien de plus naturel que de réduire les autres à ce qu¹ils offrent de bizarre à nos regards. » Rien de tel, encore une fois, pour les Britanniques, pour des raisons économiques. Dès lors, la place de la France en Chine a peu de points communs avec celle de la Grande-Bretagne dans l’Empire du Milieu. Un ouvrage concernant l’Europe en Chine serait loin de donner un rôle essentiel à la France.
Et pourtant ! Le rôle de la France en Chine – autrement qu’économique, encore une fois – a été considérable. Il est même passionnant à passer en revue, depuis les mathématiciens astronomes envoyés par Louis XIV à l’empereur Kangxi, jusqu¹à la reconnaissance de la Chine populaire par le général de Gaulle.
Il y aurait beaucoup de choses à dire, par ailleurs, sur les ressemblances, les points communs et les affinités qui peuvent exister entre les Français et les Chinois. Un grand reporter du Figaro, François Hauter, qui connaît bien les deux pays, peut écrire : « En parcourant la France après la Chine, la familiarité franco-chinoise m’apparaît transparente. Pas pour le goût des femmes et de la gastronomie, qui rapproche bien des Parisiens et des Pékinois. Pas davantage parce que les Chinois et les Français ont le même talent pour l¹improvisation, la sentimentalité, l’’émotivité, la susceptibilité et le désordre. Ou pour cette exigence forcenée d¹égalitarisme qui nous est commune. »
Pour notre journaliste, si les Français et les Chinois se ressemblent, c’est qu’ils partagent « la même conviction d’être le sel de la terre », qu¹ils sont également tournés vers eux-mêmes et « modérément intéressés par le reste de l¹humanité. Les autres, ces cinq milliards d’individus sur la Terre ? Ils sont là pour venir admirer nos cultures, incomparables »
Un lettré chinois qui vit à Paris, Shen Dali, a écrit un texte célébrant « l’influence de la Chine sur la culture française ». Car cette influence est réciproque. Le thème de la présence de la France en Chine est inséparable de celui de la Chine en France.
La France en Chine ? C’est donc un peu regarder l¹histoire de la présence occidentale en Chine par le petit bout de la lorgnette. Outre l’influence britannique, il y aurait également beaucoup à dire sur la présence de la Russie et celle des Etats-Unis sur le sol chinois. Sans oublier celle du Japon. Et pourtant, l’histoire de la France en Chine est incomparable. Elle est sans nul doute la plus prégnante, la plus intéressante, la plus riche, la plus étonnante. Vous en doutez ? Au lecteur de juger !
COMPTE RENDU DE LECTURE
Ivan Cadeau
p. 139
L’histoire coloniale de la France en Extrême-Orient renvoie, chez la plupart des Français, aux liens étroits que la métropole a entretenus avec les trois pays d’Asie du Sud-est et qui ont constitué, près d’un siècle durant, l’Indochine française. Les relations que la France a pu nouer avec la Chine restent largement passées sous silence, traitées à la marge de l’histoire indochinoise. Ce livre vient réparer ce déséquilibre car, même si l’Empire du milieu subit davantage, au XIXe siècle notamment, l’influence britannique, la France y a joué un rôle important. Comme le souligne Bernard Brizay dans son introduction Français et Chinois partagent maints points communs et leurs cultures réciproques se sont influencées. Ce livre, très riche et abondement documenté raconte cette histoire « du XVIIe à nos jours ». Le lecteur suit donc, page après page, l’histoire passionnante de cette relation qui reste, pendant des décennies, indissociable de l’action d’évangélisation entreprise par les missions chrétiennes, celles des Jésuites en premier lieu. Au fil de la lecture, l’on fait progressivement siennes les idées de l’auteur et comprend combien les « barbares » ne sont pas forcément ceux que l’Occident a pointé du doigt avec mépris. C’est même avec une pointe de tristesse que l’on assiste à l’écroulement de cet immense empire sous les coups conjugués de coalitions dont la France fait partie intégrante. La relation de la destruction du Palais d’été est, à ce sens, édifiante. Cette humiliation, parmi tant d’autres contribuera à forger la vigueur du sentiment national chinois. Mais La France en Chine n’est pas uniquement l’histoire d’un impérialisme violent, c’est également la description, de la vie des Français en Chine, celle, par exemple, de la concession française en Chine à l’origine directe du Shanghai contemporain, une ville qui, sans la concession, « n’aurait pas été Shanghai ». L’ouvrage est également l’occasion de présenter une série de portraits d’hommes : politiciens, religieux, hommes de guerre, ou explorateurs animés qui par le désir de répandre sa foi, qui par le goût de l’aventure, entretiennent cependant tous un rapport passionnel avec le pays et ses habitants. Il faut lire l’ouvrage de Bernard Brizay, il nous aide certes a mieux appréhender cette histoire méconnue ente la France et la Chine, mais également a comprendre la Chine d’aujourd’hui.