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Histoire des relations bilatérales franco-bulgares – La France en Bulgarie
Cette présentation de l’histoire des relations franco-bulgares a été élaborée par Sébastien Delmas, stagiaire de l’ENA à l’ambassade (2011), avec la contribution des professeurs Daniel Vatchkov et Vessélina Vatchkova et de la direction de la prospective du ministère français des Affaires étrangères et européennes (P.V.). Cet article a été actualisé par la suite.
Dernière modification : 23/10/2019
Plan
INTRODUCTION
1. LA RELATION FRANCO-BULGARE SOUS L’OCCUPATION OTTOMANE.
2. LA RELATION FRANCO-BULGARE À PARTIR DE LA LUTTE POUR L’INDÉPENDANCE.
3. LA RELATION FRANCO-BULGARE A LA FIN DU COMMUNISME ET AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE.
INTRODUCTION
Les premiers contacts entre les Bulgares et les Francs remontent à l’époque du Haut Moyen-Age. Un siècle et demi à peine après Clovis, premier roi chrétien du royaume des Francs qui allait devenir la France, le khan bulgare Koubrat, à l’autre bout du continent, décidait en 632 de fonder, dans les terres situées au nord du mont Caucase et de la mer Noire, un Etat que les sources historiques appellent Vieille Grande Bulgarie. C’est après l’effondrement de cet Etat qu’une partie des Bulgares, conduits par le fils de Koubrat, Altsek, s’établirent pendant une courte période sur les terres du roi franc Dagobert, avant de se diriger vers le diocèse de Ravenne en Italie. Un autre groupe de Bulgares, conduits par Asparouh, se dirigea vers les Balkans et fonda un Etat dans les terres situées au sud du Danube.
Peu après, au début du VIIIème siècle, surgit en Europe une grave menace liée à la montée en puissance du califat arabe. On attribue aux Bulgares et aux Francs le mérite d’avoir joué un rôle important dans la défense du continent européen face à l’expansion du califat à l’Est, à travers l’Asie mineure et les Balkans, mais aussi à l’Ouest, dans la Péninsule ibérique et les Pyrénées. Byzance et la Bulgarie écrasèrent les Arabes en 718 face à Constantinople, un peu avant que les Francs de Charles Martel ne remportent la victoire de Poitiers en 732.
Au début du IXème siècle, l’empire franc de Charlemagne et l’Etat du khan Kroum connurent une sorte d’apogée et d’expansion territoriale importante. A la suite de deux guerres consécutives en Europe centrale, menées d’abord par les Francs, puis par les Bulgares, le Khaganat des Avars disparut, tandis que s’établit une frontière commune franco-bulgare dans la région du Danube moyen. En 831 fut conclu le premier traité officiel entre l’empereur Louis le Pieux et le khan Malamir. La division de l’Empire carolingien en 843 n’empêcha pas la Bulgarie de continuer à entretenir des relations avec les Francs, en particulier avec la Francie orientale de Louis le Germanique.
Les contacts, pas toujours amicaux, entre Francs et Bulgares s’intensifièrent à l’époque des Croisades. Le point culminant, restitué dans la Chronique de Villehardouin, est sans doute la terrible bataille d’Andrinople à l’issue de laquelle Baudouin Ier de Flandre, empereur de Constantinople, en 1205, fut vaincu par l’armée bulgare du tsar Kaloïan. La première inscription en cyrillique du mot « franc » en langue bulgare a été retrouvée sur la colonne érigée à Véliko Tarnovo en 1230.
Les contingents franco-bourguignons firent une nouvelle apparition sur ces terres, à la faveur d’une trêve durant la guerre de Cent Ans, au sein des troupes conduites par Sigismond de Hongrie contre l’Empire ottoman. Elles furent défaites à Nicopolis (Nikopol) en 1396, scellant le sort d’une Bulgarie qui entra pour cinq siècles sous occupation ottomane.
Durant cette période, les liens entre la France et la Bulgarie se développèrent à l’ombre du système des Capitulations entre le roi de France et le sultan. Les consuls de France favorisèrent les échanges entre littérateurs, intellectuels mais aussi négociants et marchands. Des soldats bulgares vinrent combattre au côté des troupes du roi de France (ainsi, l’arrière grand-père du poète Ronsard). La cathédrale de Reims acquit en 1554 son célèbre évangéliaire en cyrillique et en glagolitique. Le traité des Capitulations de 1569 permit un grand essor des relations commerciales entre la France et la Bulgarie, par l’inauguration d’une liaison Marseille-Enos avec un routage à partir de Plovdiv.
Nonobstant ce passé d’échanges, la Bulgarie demeure mal connue en France. Son image reste liée aux héros thraces de la mythologie ou à la figure controversée du gladiateur thrace Spartacus (peut-être issu de la tribu des Maïdes, installée le long du fleuve Strouma), ou encore aux disciples du pope Bogomil que d’aucuns présentent comme les précurseurs des fameux Cathares de la France méridionale. Il y a aussi, au début du XXème siècle, le yaourt bulgare – dont la bactérie, le lactobacillus bulgaricus, fut identifié par un chercheur bulgare travaillant auprès d’un bactériologue français. En 1978, les attentats « au parapluie bulgare » perpétrés contre des dissidents (Vladimir Kostov, Guéorgui Markov) diffusent une image désastreuse du régime communiste bulgare, même si se poursuivent les contacts et partenariats entre intellectuels et scientifiques français et bulgares.
De leur côté, les Bulgares conservent une représentation de la France et des Français placée sous le signe de trois événements majeurs à leurs yeux : la déclaration de Victor Hugo en faveur des populations massacrées à Batak lors de l’insurrection de 1876 ; la visite effectuée en Bulgarie en janvier 1989 par le président Mitterrand, encourageant les aspirations à la liberté quelques mois avant la chute du régime Jivkov ; enfin, l’intervention décisive du président Sarkozy en faveur des infirmières bulgares retenues en otages et condamnées à mort par la Libye du colonel Kadhafi.
LA RELATION FRANCO-BULGARE SOUS L’OCCUPATION OTTOMANE
Dans un système de relations internationales marqué par l’équilibre des grandes puissances, la diplomatie française a cherché à exploiter, à plusieurs reprises, des brèches en faveur du peuple bulgare.
La diplomatie française est active en Bulgarie depuis la mise en œuvre du premier traité des Capitulations signé par François Ier et Soliman le Magnifique (1535). Cette alliance entre un royaume chrétien et la « Sublime Porte » trouvait pour les Valois sa nécessité dans l’encerclement imposé par la monarchie des Habsbourg d’Autriche et d’Espagne. Le système juridique des Capitulations, renouvelé à l’avènement d’un nouveau sultan, confiait aux consuls de France la responsabilité de protéger les nationaux français, mais aussi les populations chrétiennes unies à Rome. C’est ainsi que se développa, encouragé par les missionnaires protégés par la France, le mouvement uniate de Bulgarie, faisant progresser du même coup l’idée d’un ralliement à la chrétienté latine afin de se libérer de la domination ottomane. Ce mouvement fut interrompu après l’écrasement du soulèvement des catholiques de Tchiprovtsi (1688). Quelques années plus tard, au début du XVIIIème siècle, nous disposons de la relation de voyage du docteur Paul Lucas, envoyé par Louis XIV dans l’Empire ottoman, narrant notamment dans le détail son séjour dans les Rhodopes (Assénovgrad, monastère de Batchkovo, Stoïkité, Smolian…).
La diplomatie napoléonienne appréhende par la suite la situation de la Bulgarie en tant qu’entité participant à la « Question d’Orient ». Après les victoires sur la Coalition, les armées françaises sont parvenues aux frontières de l’Empire ottoman, grâce à leurs conquêtes des régions vénitiennes et autrichiennes de la façade adriatique, instituant les Provinces. Napoléon choisit de ne pas porter la guerre dans la péninsule balkanique, dont il lie la valeur stratégique à celle de l’Egypte. Comme il le précise dans le Mémorial de Las Casas (1823), il refuse la partition de l’Empire ottoman afin de ne pas offrir l’espace sud-est de l’Europe à la pénétration russe.
La diplomatie de la Restauration et de la Monarchie de Juillet va se placer dans le cadre du respect de l’ordre européen fixé à Vienne en 1815, fondé sur la Sainte-Alliance des monarchies qui se méfient de l’éveil des peuples. Ainsi, les peuples d’expression slave demeurent sous l’autorité de l’Empire autrichien ou ottoman. Ce dernier, très fragilisé par son incapacité à se réformer, comme l’atteste l’échec du Tanzimat ou celui de la réorganisation de l’armée, est maintenu en l’état par la volonté des grandes puissances qui veulent empêcher l’Empire russe d’accéder aux « mers chaudes ». Ainsi, la France et l’Angleterre uniront leurs forces à celle de l’Empire ottoman lors de la guerre de Crimée (1856), au cours de laquelle les ports bulgares sont utilisés comme points d’appui logistique décisifs pour les armées alliées, notamment pour le repos des blessés. C’est de cette époque que datent les cimetières militaires français de la région de Varna.
En jouant un rôle majeur dans la formation des élites bulgares à partir des années 1830, la France contribue au développement des dynamiques de la « Renaissance nationale ».
L’action culturelle française s’est développée directement au bénéfice du peuple bulgare. Cette action est le fait des congrégations religieuses françaises et de l’Alliance française. Les écoles françaises se développent rapidement dans les territoires sous juridiction ottomane, allant jusqu’à constituer ce qu’Etienne Lamy appelait « la France du Levant ». Le premier étudiant bulgare entre en 1858 à l’école de médecine d’Istanbul fondée par les Français. De même, les élites bulgares sont nombreuses sur les bancs des lycées de Bebek et de Galatasaray. Certains étudiants iront achever leur formation à Paris et en province (Gavril Krastevitch, Alexandar Ekzarh Beyoglu, Marko Balabanov…), où ils sensibilisent la communauté étudiante à la cause nationale bulgare. Le progrès du français en Bulgarie est sensible au cours du XIXème siècle (19 écoles françaises sont établies sur le territoire bulgare en 1870). Un tel essor peur s’expliquer par le rejet, au moins par une partie de l’élite, du système éducatif traditionnel tourné vers l’étude du grec (langue concurrente dans le commerce comme à l’éparchie) et la théologie. Il peut aussi s’appuyer sur une riche culture nationale traditionnelle faite de récits de résistance à l’occupant et de révoltes matées (mouvement des Haïdouks, chansons populaires, histoires de Pétar le malin). Dès lors, les auteurs français classiques sont étudiés (Ronsard, Rabelais, Montaigne, Molière, Montesquieu, Voltaire). Le goût du livre se traduit par la constitution de nombreux lieux de lecture où sont reçus les journaux publiés à Istanbul (interdiction ottomane d’imprimer en Bulgarie).
La progression en terre bulgare de cette « communauté imaginaire » (Benedict Anderson) pose les fondements de la francophilie du peuple bulgare, encore visible aujourd’hui. Elle facilite aussi la circulation des idées libérales de la France des Lumières. Deux intellectuels et hommes politiques de premier plan vont porter dans l’opinion publique française la cause du peuple bulgare, Victor Hugo et Alphonse de Lamartine. Ce dernier, ministre des Affaires étrangères de la IIe République en 1848, n’a pas oublié les leçons du Voyage en Orient (1832-1833) lorsqu’il écrivait de Plovdiv que « Les Bulgares sont complètement mûrs pour l’indépendance… Le pays qu’ils habitent serait bientôt un jardin délicieux si l’oppression aveugle et stupide les laisse cultiver avec un peu plus de sécurité ». La France retrouve alors sa vocation de protectrice des peuples opprimés, qu’ils soient d’expression slave ou roumaine.
LA RELATION FRANCO-BULGARE À PARTIR DE LA LUTTE POUR L’INDÉPENDANCE
Une convergence d’intérêts dans la période entourant la restauration de l’Etat bulgare.
La diplomatie de la IIIème République, encore meurtrie par la défaite de 1870, s’efforce de lutter contre l’influence allemande en Europe, trouvant des convergences d’intérêts avec la Bulgarie et, de fait, s’alliant avec tous les alliés potentiels de la cause bulgare. Ainsi, elle soutient la Russie, qui voit dans la libération des principautés danubiennes puis de la Bulgarie le chemin le plus court vers Constantinople et les Détroits. La France ménage aussi l’Autriche-Hongrie, humiliée par sa défaite face à la Prusse à Sadowa (1866), et cherche à s’en faire une alliée tout en modérant ses ambitions de progression vers le sud-est européen (Bosnie).
C’est dans ce contexte que la France soutient le mouvement de libération bulgare, qui se ressource à un passé glorieux souvent mythique (Païssiï de Hilendar, Histoire des Slaves bulgares, 1762). La lutte se déroule en deux phases.
Tout d’abord, les comités révolutionnaires, dont les leaders sont acquis aux idées françaises, déclenchent une insurrection générale en avril 1876, qui est violemment écrasée. Peu après l’assassinat du consul de France à Thessalonique, le 6 mai 1876, Victor Hugo, alors sénateur de la IIIème République, dénonce avec force les massacres de Batak dans le journal républicain Le Rappel du 30 août 1876, où il plaide pour la fin des « empires meurtriers » et la constitution d’« Etats-Unis d’Europe ».
La libération de la Bulgarie survient grâce à l’intervention de l’armée russe au cours de la guerre russo-turque de 1877-1878. Quand le commandement turc envisage d’incendier Sofia, en vue d’empêcher l’offensive fulgurante des Russes au sud de la Stara Planina, le vice-consul de France à Sofia, Léandre Legay, intervient sans relâche auprès des autorités ottomanes pour empêcher l’incendie. Le nom de Legay sera donné en 1879 à une rue commençant aujourd’hui devant l’entrée officielle de la Présidence de la République.
Avec le traité de San Stefano (3 mars 1878), l’Etat bulgare renaît. Un an plus tard, les relations diplomatiques sont officiellement établies entre la France et la Bulgarie : Eugène Schefer remet ses lettres de créances au prince Alexandre Battenberg et est accrédité agent diplomatique et consul général de France en Bulgarie. La France – dont la monnaie est utilisée par la principauté jusqu’à la création du lev (1880) – joue un rôle important pour la construction de l’Etat bulgare moderne. Les universités françaises constituent à partir de ce moment des lieux privilégiés de formation de l’élite politique, culturelle et économique bulgare, permettant ainsi à plusieurs futurs Premiers ministres de la Bulgarie libre de faire une partie de leurs études supérieures en France (Andreï Liaptchev, Nikola Mouchanov, Stoïan Danev, Guéorgui Kiosséivanov, Todor Ivantchev). Les investissements français dans le domaine de l’économie et le secteur bancaire suivent bientôt. Ils représentent une autre contribution française d’importance cruciale. Grâce aux capitaux français est donné un vif élan de mise en place d’infrastructures modernes, notamment la construction de chemins de fer et de routes et l’aménagement de plusieurs villes bulgares. Des entrepreneurs français créent des fabriques et posent les fondements de nouveaux secteurs économiques. C’est ainsi qu’à la fin du XIXème siècle, à Pantcharévo, une entreprise française et des spécialistes français construisent la première centrale électrique de Bulgarie.
L’accession à l’indépendance se fait par étapes, les Bulgares obtenant en 1885 la réunification entre la principauté de Bulgarie et la province de Roumélie orientale, puis la pleine souveraineté le 5 octobre 1908. Traumatisée par la sanglante répression des insurgés bulgares et macédoniens par les autorités ottomanes lors de l’insurrection d’Ilinden (1903), à laquelle elle n’a pu prêter assistance, la Bulgarie fait le choix du réarmement, soutenue par la France. Le capitaine Pichon œuvre pour créer une marine bulgare (achat d’un croiseur Nadejda et de six torpilleurs), tandis que la France équipe l’artillerie de la jeune armée bulgare. A cette époque, la Bulgarie accueille un grand nombre d’expatriés français, y compris à la cour de Ferdinand de Bulgarie, petit-fils du roi Louis-Philippe. De leur côté, le grand slavisant Louis Léger et le consul Léon Lamouche contribuent à faire connaître la Bulgarie en France.
En dépit de ces facteurs de rapprochement, la France et la Bulgarie vont se situer dans des camps opposés lors des deux grands conflits mondiaux du XXème siècle.
Le soutien affiché de la France, du Royaume-Uni et de la Russie à la Grèce et à la Serbie lors des guerres balkaniques jette la Bulgarie dans le camp de la Triple Alliance. Lors de la Première Guerre mondiale, les troupes françaises de l’Armée d’Orient débarquent à Salonique, après l’échec du débarquement à Gallipoli (Gelibolu), et, selon les plans du général Franchet d’Espèrey, percent bientôt le front bulgare dans la region de Dobro Polé, libérant la Serbie et menaçant directement la Hongrie et la Bulgarie. Les clauses du traité de Neuilly (1919) sont sévères pour la Bulgarie (occupation notamment par les troupes françaises de son territoire, lourdes indemnités, perte de l’accès à la mer Egée au profit de la Grèce, attribution de la Macédoine au Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, suppression des forces navales aériennes, réduction du format de l’armée de terre).
Entre les deux guerres, les relations franco-bulgares sont marquées par le fait que les deux pays ont fait partie de deux camps opposés lors de la Première guerre mondiale. Malgré ce lourd héritage, les différents gouvernements bulgares consentent d’importants efforts pour se rapprocher de la France, considérant que la Troisième République française, avec son image de protectrice des peuples, pourra accorder son soutien aux revendications bulgares de modification des traités de paix. Néanmoins, le soutien français accordé à la Petite Entente (Yougoslavie, Roumanie, Tchécoslovaquie) rend tout espoir de rapprochement franco-bulgare irréaliste. Cette période voit malgré tout lieu se renforcer les liens de coopération culturelle (reconnaissance du baccalauréat délivré par des lycées bulgares de langue française, rayonnement de l’Alliance française). Les peintres Georges Papazoff et Jules Pascin sont alors célèbres en France.
Sommée par l’Allemagne nazie de signer, peu avant l’invasion de l’URSS, le Pacte Tripartite le 1er mars 1941, la Bulgarie réussit à limiter sa contribution à l’effort de guerre sur le front de l’Est et fait obstacle à la « solution finale » (hormis dans les territoires macédoniens et thraces qu’elle contrôle). Durant cette période les relations bilatérales entre Sofia et Vichy sont réduites. Des Bulgares participent pourtant activement en France à la Résistance contre l’occupation nazie.
Les échanges culturels ne s’interrompent pas totalement malgré la dictature communiste et son hostilité déclarée aux influences occidentales.
Le 5 septembre 1944, l’URSS déclare la guerre à la Bulgarie et deux jours plus tard l’Armée rouge traverse les frontières bulgares. Le 9 septembre 1944, la « révolution socialiste » est en marche, les armées bulgares se battant contre les troupes allemandes dans les Balkans. Après le succès d’une stratégie de Front de la Patrie et l’élimination de la majeure partie des élites politiques, économiques et intellectuelles, la Bulgarie entre dans le camp socialiste. La dictature communiste bulgare, l’un des plus sûrs alliés de l’URSS, ferme les alliances françaises et les écoles religieuses et nationalise leurs biens. Romain Gary racontera plus tard ses souvenirs de Sofia où, jeune attaché de presse à l’Ambassade de France, il fut expulsé en raison de ses contacts avec l’opposition anti-communiste. Le dirigeant agrarien Guéorgui Mihov Dimitrov installe à Paris un gouvernement provisoire, républicain et anti-communiste.
Toutefois, un socle administratif favorable à l’enseignement du français (dispositif éducatif, volonté des autorités) subsiste et contribue à faire du français la deuxième langue étrangère enseignée après le russe. De plus, l’image valorisante de la langue et de la culture françaises, entretenue au cours des décennies précédentes par de nombreux écrivains (notamment Pétar Beron, Petko Todorov, Stoïan Mihaïlovski, Konstantin Konstantinov, Dimtcho Débelianov, Nikolaï Liliev, le grand diplomate et critique littéraire Siméon Radev), conserve des racines profondes.
A partir de la mort de Staline et l’avènement de la détente, les échanges culturels et commerciaux reprennent progressivement. Avec la Vème République, un processus de rapprochement et d’ouverture est tenté. Les représentations diplomatiques des deux pays sont élevées au rang d’ambassades en 1963. En octobre 1966, Todor Jivkov effectue une visite officielle en France et est reçu par le président Charles de Gaulle. Un accord instituant une commission franco-bulgare destinée à élaborer un programme concret de coopération culturelle est conclu. Il se traduit par des tournées de troupes d’opéra et de formations musicales bulgares en France, par la participation de peintres bulgares au Salon d’automne à compter de 1979, et par des expositions remarquées au Petit Palais (1974 « L’or des Thraces », 1976 « Icônes bulgares »). Les traductions d’œuvres bulgares en français se multiplient (1963 Sans feu ni lieu et 1976 Sous le joug d’Ivan Vazov ; 1962 Le voleur de pêches d’Emilian Stanev ; 1963 Sous la treille du monastère d’Eline Péline, 1965 Les légendes de la Stara Planina de Yordan Yovkov).
Pendant cette période, plusieurs dissidents bulgares victimes de la répression communiste (tels qu’Anton Machev, Pétar Boïadjiev, Dimitar Pentchev) trouvent refuge en France. De brillants scientifiques et intellectuels bulgares intègrent les effectifs de l’Université et du CNRS (Minko Balkanski, Tzvétan Todorov, Julia Kristéva, Pierre Christophorov, Dora Vallier…), tandis que Sylvie Vartan (dont le père était attaché de presse à l’ambassade de France) et Christo enrichissent le patrimoine artistique français.
LA RELATION FRANCO-BULGARE A LA FIN DU COMMUNISME ET AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE
Le processus de transition démocratique en Bulgarie est précédé de quelques mois par la visite, restée dans les mémoires des Bulgares, du président Mitterrand les 18 et 19 janvier 1989, année de célébration du bicentenaire de la Révolution française. Acceptée par Todor Jivkov, qui la considère comme de nature à conforter sa légitimité internationale, cette visite donne lieu à un petit-déjeuner célèbre à la résidence de France à Sofia avec une douzaine d’intellectuels et de contestataires, dont le futur premier président de la Bulgarie démocratique Jéliou Jélév, et à des échanges relativement audacieux avec les étudiants de l’Université de Sofia. Le président Mitterrand contribue ainsi à donner confiance aux mouvements démocratiques.
Sous l’impulsion du président Jélev, la Bulgarie devient en 1993 membre à part entière de l’Organisation internationale de la Francophonie. La relation franco-bulgare est ensuite l’un des leviers pour l’intégration dans l’espace euro-atlantique, consacrée par l’adhésion à l’OTAN le 2 avril 2004, et pour la préparation de l’adhésion à l’Union européenne, concrétisée le 1er janvier 2007.
La relation bilatérale est rehaussée le 4 juillet 2008 par un accord de partenariat stratégique couvrant les questions politiques, l’économie, la défense, la justice et les affaires intérieures, la coopération culturelle et éducative… Son origine remonte à la visite du Président Nicolas Sarkozy en Bulgarie en octobre 2007, moins de trois mois après le retour des personnels médicaux bulgares de Libye dans l’avion présidentiel français.
Les relations franco-bulgares ne cessent de s’approfondir au cours des années qui suivent. Ainsi, le premier ministre, Boïko Borissov, se rend en France en octobre 2009 et en juin 2017. Plusieurs ministres français effectuent également des visites en Bulgarie, à l’instar de Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration (2011), Bernard Cazeneuve, ministre délégué aux Affaires européennes (2012), et son successeur, Thierry Repentin (2014). Emmanuel Macron, président de la République, se rend à Varna en août 2017 pour une visite de travail, première visite d’un chef d’Etat français dans le pays depuis dix ans.
La présidence bulgare du Conseil de l’Union européenne au premier semestre de 2018 représente un moment fort de la coopération bilatérale. Elle est marquée par une deuxième visite du président Macron en Bulgarie, cette fois-ci dans le cadre du Sommet UE-Balkans occidentaux à Sofia le 17 mai 2018, de même que par les deux visites de la ministre chargée des Affaires européennes, Nathalie Loiseau, les 19 et 20 janvier et le 9 mars 2018.