via biusante.parisdescartes


Les anatomistes d’Alger
durant la période coloniale française
(1830-1962)

par Jean-Marie LE MINOR

Comité de lecture du 20 novembre 2004 de la Société française d’Histoire de la Médecine.

Télécharger en PDF


RÉSUMÉ

Les anatomistes d’Alger durant la période coloniale française (1830-1962)

Alger a connu durant la période coloniale française de 1830 à 1962 une remarquable Ecole anatomique. Le but du présent travail est de rendre hommage aux représentants de cette Ecole en réunissant des données éparses et inédites et de tenter d’en dresser une première trame histo­rique afin d’inciter et de faciliter des travaux ultérieurs plus détaillés. Déjà de 1832 à 1836, dans le premier hôpital militaire d’Alger, Lucien Jean Baptiste Baudens donne des cours d’anatomie descriptive. Une Ecole préparatoire de Médecine et de Pharmacie est créée à Alger en 1857 et ouverte en 1859; elle est transformée en Ecole de plein exercice en 1889, puis en Faculté mixte de Médecine et de Pharmacie en 1909. De 1859 à 1962, soit environ un siècle, cinq professeurs titulaires se succèdent dans la chaire d’anatomie de l’Ecole puis Faculté de Médecine d’Alger : le Dr Patin de 1859 à 1869, Paulin Trolard de 1869 à 1910, Jean Amédée Weber de 1908 à 1917, Emile Leblanc de 1918 à 1939, et René-Marcel de Ribet de 1940 à 1962. Une nouvelle chaire d’anatomie médico-chirurgicale et technique chirurgicale est créée à Alger en 1957 et occupée par René Bourgeon (1912-1996). Les principaux élèves et les principaux travaux issus de l’Ecole anatomique d’Alger sont évoqués.


TEXTE INTÉGRAL

Alger a connu durant la période coloniale française une remarquable école anato­mique. Le but du présent travail est de rendre hommage aux représentants de cette école en réunissant des données éparses et inédites et de tenter d’en dresser une premiè­re trame historique afin d’inciter et de faciliter des travaux ultérieurs plus détaillés.


Le contexte historique

La conquête française de l’Algérie débute, sur la décision du gouvernement Polignac du roi Charles X, avec le débarquement d’un corps expéditionnaire d’environ 37.500 hommes à Sidi-Ferruch, près d’Alger, le 14 juin 1830, puis par la prise d’Alger le 5 juillet de la même année. En 1857, sont achevées la conquête et la pacification de l’Algérie du Nord, ancienne zone d’influence de la Régence turque d’Alger, avec l’Algérois, l’Oranie, le Constantinois, et la Kabylie. La conquête du Sahara est plus tar­dive et ne s’achève qu’en 1934.

A partir de 1830, la population française d’Algérie ne cesse d’augmenter. En 1954, la population dite européenne en Algérie occidentale (Algérois et Oranie) compte près de 833.000 personnes, soit 18% de la population totale ; la population européenne repré­sente environ 45% de la population de l’arrondissement d’Alger contre 10% sur l’en­semble du pays ; la grande majorité de la population est alors indigénisée, et environ 80% des Européens d’Algérie sont nés en Algérie.

Des tensions surgissent à partir de 1940. En 1947, un nouveau statut est mis en place pour l’Algérie, avec une Assemblée algérienne aux côtés du gouverneur général. Le ler novembre 1954, une trentaine d’attentats et de sabotages sont commis au nom du Front de Libération Nationale (FLN) et de l’Armée de Libération Nationale (ALN), marquant le déclenchement de l’insurrection et de la guerre d’Algérie. La signature des accords d’Evian, le 18 mars 1962, marque le cessez-le-feu. Un exode massif des Français d’Algérie a alors lieu en 1962 dans le cadre d’une insécurité générale ; ils seront qualifiés de « rapatriés ». Le ler juillet 1962 a lieu un référendum d’autodétermi­nation, et le 3 juillet est proclamée l’indépendance de l’Algérie.


Un pionnier : L.J.B. Baudens au premier hôpital militaire d’Alger (1831-1836)

Dès les débuts de la conquête de la région, un hôpital militaire est institué à Alger, et initialement installé dans l’ancienne caserne turque de Caratine. En 1832, cet hôpital est installé dans les jardins de l’ancienne maison de campagne du Dey Hassen Pacha, souverain turc de 1790 à 1799, au pied de la colline de Bou-Zaréa. L’hôpital militaire du Dey est organisé en Hôpital Militaire d’Instruction grâce à l’action de Lucien Jean Baptiste Baudens (1804-1857), jeune chirurgien militaire de 27 ans, persuadé du rôle de l’enseignement médical autant à l’usage de l’Armée d’Afrique que pour l’action civilisatrice de la France auprès des populations locales.

Dès l’ouverture de l’Hôpital Militaire d’Instruction en 1832, L.J.B. Baudens y donne des cours d’anatomie descriptive.

Mais l’hôpital d’instruction est fermé dès 1836 et L.J.B. Baudens quitte l’Algérie en 1837. Cet hôpital deviendra ultérieurement l’Hôpital Militaire Maillot.

En 1852, devenu Médecin Général Inspecteur, au terme d’une brillante carrière de professeur de clinique chirurgicale à Lille puis à Paris au Val-de-Grâce, L.J.B. Baudens écrira : En ce qui nous concerne, nous considérons comme un titre glorieux d’avoir eu la bonne fortune de rouvrir, sur cette terre d’Afrique, les cours d’anatomie et de chirur­gie qu’avaient illustrés, dans les anciens siècles, Rhazès, Avicenne et Albucassis.


La chaire d’anatomie de l’Ecole puis Faculté de Médecine d’Alger (1857-1962)

Après la fermeture de l’Hôpital Militaire d’Instruction en 1836, de multiples demandes et projets de création d’une Ecole de Médecine à Alger restent sans suite.

Par décret du 4 août 1857, une Ecole préparatoire de Médecine et de Pharmacie est enfin créée, cette école étant rattachée à la Faculté de Médecine de Montpellier. La nouvelle Ecole est officiellement ouverte le 15 janvier 1859. Elle compte sept chaires dont une chaire d’anatomie et de physiologie. Les débuts en sont modestes. Par décret du 31 juillet 1889, l’Ecole préparatoire d’Alger est transformée en Ecole de plein exerci­ce de Médecine et de Pharmacie. Enfin, par la loi du 30 décembre 1909, une Université est instituée à Alger, et l’Ecole est transformée en Faculté mixte de Médecine et de Pharmacie. Un décret du 4 janvier 1910 institue seize chaires dont une chaire pour l’anatomie. Les premières thèses de doctorat en médecine de la nouvelle Faculté d’Alger sont soutenues en 1910.

De 1859 à 1962, soit environ un siècle, cinq professeurs titulaires se succèdent dans la chaire d’anatomie de l’Ecole puis Faculté de Médecine d’Alger : le Dr Patin, P. Trolard, J.A. Weber, E. Leblanc, et enfin R.M. de Ribet.


Le Docteur Patin de 1859 à 1869

Le premier enseignant titulaire d’anatomie d’Alger est le Docteur Patin, parfois dési­gné, par erreur semble-t-il, sous le nom de Potin. Ni son prénom, ni aucun rensei­gnement biographique le concernant n’ont été retrouvés pour l’instant.

Le début des cours de la nouvelle Ecole a lieu le 17 janvier 1859, dans un local situé au 4bis rue René-Caillé, avec en particulier un cours d’anatomie descriptive. La premiè­re rentrée solennelle a lieu le 10 novembre 1859. De 1863 à 1869, le Docteur Patin est directeur de l’Ecole préparatoire de Médecine et de Pharmacie d’Alger, succédant au premier directeur, le médecin militaire Bertherand.


Le Professeur Paulin Trolard de 1869 à 1910

Le Professeur Paulin Trolard (1842-1910) succède au Docteur Patin en 1869. Né à Sedan (Ardennes) le 27 novembre 1842, P. Trolard fait ses études à l’Ecole prépa­ratoire de Médecine d’Alger. En 1861, il y est nommé prosecteur, puis en 1865 chef des travaux anatomiques. Il soutient sa thèse de doctorat en médecine à Paris en 1868 inti­tulée Recherches sur l’anatomie du système veineux de l’encéphale et du crâne, dans laquelle il décrit en particulier une veine qui portera son nom.

P. Trolard est titulaire de la chaire d’anatomie d’Alger de 1869 à 1910. Par décret du 5 juin 1880, la chaire d’anatomie et de physiologie est subdivisée en chaire d’anatomie et en chaire de physiologie. En 1889, l’Ecole préparatoire est transformée en Ecole de plein exercice comme cela a déjà été évoqué.


L’oeuvre variée de P. Trolard méritera un travail spécifique.

Parmi les travaux anatomiques de P. Trolard à Alger peuvent être cités : « Etude sur les muscles du pouce et du petit doigt, du gros et du petit orteil » (1882), « De l’appareil nerveux central de l’olfaction » (1889), « Des veines méningées moyennes » (1890), « Quelques articulations de la colonne vertébrale » (1892), « Les sinus et les veines des parois de la cavité rachidienne » (1892), « Les muscles spinaux et notamment le tans­versaire épineux » (1892)…

Plusieurs textes concernant l’organisation des études médicales sont publiés par P. Trolard : « Quelques mots sur l’avenir et le rôle des écoles secondaires de médecine » (1891), ou « Le service militaire des étudiants en médecine » (1900)… Dans le premier volume des Comptes Rendus de l’Association des Anatomistes (1899), il publie un plai­doyer pour l’enseignement de l’anatomie, toujours d’actualité, intitulé : « Voeu pour que dans les Ecoles de médecine de plein exercice et réorganisées, les étudiants de 1 ère année soient astreints à des travaux pratiques d’anatomie pendant les matinées du ler semestre ».

Le Professeur P. Trolard joue aussi un rôle important dans la vaccination et la pré­vention des maladies infectieuses. Il publie plusieurs textes à ce sujet : De la prophy­laxie des maladies exotiques importables et transmissibles (1891), Des mesures à prendre pour propager la vaccine en territoire indigène (1900), La variolisation chez les indigènes (1901)… Dans ce contexte, P. Trolard est à l’origine de la création de l’Institut Pasteur d’Alger en 1894 ; il en publie une description en 1906. Lors de la créa­tion officielle de l’Institut Pasteur d’Algérie en 1909, Albert Calmette sera nommé directeur, et P. Trolard se verra relégué à un poste de sous-directeur ce qui sera un drame de la fin de sa vie ; il relate cet épisode dans : L’Institut Pasteur d’Alger, sa fon­dation, sa réorganisation, mon expulsion (1910).

P. Trolard a également publié L’oeuvre de F. C. Maillot (1893 ; 2e éd. 1894), ouvrage consacré à François Clément Maillot (1804-1894) dont le nom sera plus tard attaché à l’Hôpital Militaire d’Alger.

P. Trolard a enfin publié de nombreux travaux généraux concernant l’Algérie : La colonisation et la question forestière (1891), Les eaux thermo-minérales de l’Algérie (1901), En Algérie, testament d’un assimilateur (1903), De la mentalité algérienne (à propos de la question des étrangers) (1905), ainsi qu’un Bréviaire du ligueur, citations recueillies par le Dr Trolard (1905).

Le Professeur P. Trolard est élu membre correspondant de l’Académie de Médecine (Paris) en 1906. Il meurt à Saint-Eugène en Algérie le 13 avril 1910.

Le nom de Trolard est longtemps resté attaché à plusieurs structures anato­miques (10), et en particulier : à la veine anastomotique supérieure, au niveau cérébral, ou veine de Trolard, au ligament costo-lamellaire ou ligament de Trolard, et à l’articula­tion unco-vertébrale dite de Trolard. L’utilisation de la nomenclature anatomique inter­nationale a mené à l’heure actuelle à la disparition de l’usage de ces éponymes.


Le Professeur Jean Amédée Weber de 1908 à 1917

Jean Amédée Weber (1877-1966) est né à Mâcon (Saône-et-Loire) le 7 septembre 1877 ; il apparaît souvent avec le seul prénom d’Amédée. Il s’inscrit à la Faculté de Médecine de Nancy et est tôt attiré par les sciences morphologiques. Aide d’anatomie de 1897 à 1899, puis prosecteur de 1899 à 1904, il est un élève puis un collaborateur du Professeur Adolphe Nicolas (1861-1939) et de Paul Ancel (1873-1961). J.A. Weber soutient sa thèse de doctorat en médecine à Nancy en 1903 intitulée L’origine des glandes annexes de l’intestin moyen chez les Vertébrés. En 1904, il est nommé profes­seur agrégé en anatomie à Nancy à la place de P. Ancel parti pour Lyon ; il occupe ce poste jusqu’en 1908. En 1908, le Professeur P. Ancel revient à Nancy comme titulaire de la chaire d’anatomie et J.A. Weber est nommé professeur d’anatomie à Alger. J.A. Weber est ainsi le premier titulaire de la chaire d’anatomie de la Faculté mixte de Médecine et de Pharmacie d’Alger instituée en 1909. J.A. Weber y reste en fonction pendant près de dix ans, et semble aussi occuper un temps la chaire d’histologie. Il s’illustre pendant la Première guerre mondiale comme médecin d’une unité de Chasseurs d’Afrique de l’année d’Orient. En 1917, J.A. Weber est nommé professeur titulaire de la chaire d’anatomie de Genève en Suisse où il restera trente ans jusqu’à sa retraite en 1947. En 1928, il sera Président de la 23ème Réunion de l’Association des Anatomistes à Prague, et il écrira à cette occasion : En m’offrant de présider ce Congrès, le bureau de votre précédente réunion a obéi une fois de plus au déterminis­me de l’âge. Je compte en effet parmi les plus anciens membres de notre Association. J’en fus un des fondateurs il y a trente ans, en 1898. Je n’ai jamais manqué une seule réunion sans que mon éloignement en Algérie, mes propres maladies ou bien celles d’êtres aimés, n’aient constitué pour moi de sérieuses excuses. J.A. Weber sera élu membre correspondant de l’Académie de Médecine (Paris) en 1947. Il mourra à Genève le 10 octobre 1966.

Les travaux scientifiques de J.A. Weber relèvent principalement de l’embryologie et de la morphogenèse humaine et comparée, avec en particulier des publications de réfé­rence sur le développement des viscères thoraco-abdominaux (coeur, poumons, foie, pancréas…) et des recherches expérimentales sur l’implantation des oeufs chez les Amphibiens. Son nom est resté attaché à l’anneau hépato-pancréatique de Weber.

Parmi les collaborateurs de J.A. Weber, il convient de citer François Ferrari, qui avait soutenu sa thèse de doctorat en médecine à Lyon en 1907 intitulée Recherches anatomiques sur la région inguinale (muscles et aponévroses), et est prosecteur à Alger en 1913 où il poursuivra sa carrière.


Le Professeur Emile Leblanc de 1918 à 1939

Emile Leblanc, dont la biographie restera à préciser, est professeur titulaire de la chaire d’anatomie de la Faculté de Médecine d’Alger de 1918 à 1939, et Doyen de la Faculté de 1929 à 1939.

Les publications anatomiques de E. Leblanc concernent en particulier la toile choroï­dienne du quatrième ventricule (1924), la cloison génito-sacrée chez la femme (1925), les artères de la région infundibulo-tubériennes (1926), les veines tégumentaires du foetus, avec P. Goinard (1926), le carrefour veineux ptérygoïdien (1927), les artères de la fosse interpédonculaire et de l’espace perforé postérieur (1928), le ligament ptérygo­tympano-maxillaire (1929), la morphologie anthropologique de l’orifice piriforme (1930), l’hippocampe chez l’embryon (1932), l’appareil musculo-fibreux du septum cer­vico-thoracique et le petit scalène (1937), ou le muscle de l’arc fibreux du premier espa­ce intermétacarpien (1940)…

E. Leblanc publie un ouvrage de neuroanatomie, avec des schémas au trait didac­tiques, Synthèse des voies de conduction des centres nerveux (Topographie structurale) (Paris, Félix Alcan, 1935, 235 p.) dédié à la mémoire de son fils Marc-Yvan Leblanc, pilote-aviateur (1911-1931).

Le nom de Leblanc est resté attaché au septum cervico-thoracique et au ligament ptérygo-tympano-maxillaire, tous deux dits de Leblanc.

Le Professeur E. Leblanc est à l’origine de la création, en 1924, de la publication Travaux du Laboratoire d’Anatomie de la Faculté de Médecine d’Alger qui paraît annuellement jusqu’en 1932, et contient une grande partie des recherches de l’Ecole anatomique d’Alger. Faute de crédits, la parution en est interrompue de 1932 à 1940.

Parmi les collaborateurs et élèves du Professeur E. Leblanc, poursuivant le cursus anatomique classique : moniteur (monitorat), aide (adjuvat), prosecteur (prosectorat), chef de travaux, et éventuellement professeur agrégé (agrégation), il convient de citer en particulier F. Ferrari, R.M. de Ribet, F. Lagrot, P. Goinard, E. et A. Curtillet, J. Séror, et H. Liaras.

François Ferrari, déjà évoqué comme collaborateur de J.A. Weber, publie des tra­vaux sur la région osseuse du foramen ovale (1924) et sur la vascularisation artérielle du nerf trijumeau intracrânien (1927) ; son nom est resté attaché à un rameau de l’artère carotide interne pour la portion intracaverneuse des nerfs oculomoteurs ou artère de Ferrari et Ribet.

Marcel Ribet (1894-1967), dont le nom deviendra, après la fin de ses études de médecine, René-Marcel de Ribet, est né à Arzew (Algérie) le 21 mai 1894. Il soutient à Alger en 1923 sa thèse de doctorat en médecine intitulée Le diaphragme fibreux péri­néal et ses annexes. Utilisant une méthode personnelle de coloration, il mène des recherches sur les artères des os du carpe (1924), les artères du pied (1925), puis les artères des métacarpiens, métatarsiens, et phalanges (1926), qui l’amènent à une remar­quable synthèse sur les artères ostéo-articulaires (1926). A partir de 1925, il s’attache à l’enregistrement de toutes les variations et anomalies observées en salle de dissection, constituant progressivement d’intéressantes séries statistiques. Un travail sur les ano­malies costales est publié en 1932. R.M. de Ribet est nommé professeur agrégé d’anato­mie dans le laboratoire du professeur E. Leblanc auquel il succèdera en 1940.

Félix Lagrot (1899-1998) soutient sa thèse de doctorat en médecine en 1924 intitulée Le spina bifida occulta postérieur lombo-sacré et la métamérisation des arcs du sacrum, et publie un travail sur les ligaments postérieurs de l’estomac (1924) ; il deviendra professeur de clinique chirurgicale à Toulouse.

Pierre Goinard (1903-1991) mène des travaux sur l’anatomie topographique du seg­ment bulbo-médullaire (1925), l’espace rétro-rectal (1926), les intersections aponévro­tiques et les nerfs du muscle droit de l’abdomen (1927). Il soutient sa thèse en 1927 Sur certaines splénomégalies algériennes. Il publie ensuite des études sur la structure du sacrum (1929), les artères de la paroi abdominale antérieure, avec E. Curtillet (1929), le tissu spongieux des corps vertébraux (1930), ou les piliers antérieurs du diaphragme, avec J. Séror (1932). Il est nommé professeur de Clinique de thérapeutique chirurgicale et chirurgie expérimentale à Alger, chaire créée en 1950, puis, après 1962, terminera sa carrière à Lyon. Son nom est resté attaché au système artériel paramédian de Goinard et Curtillet.

Etienne Curtillet (1906-1950) est un des fils du Professeur Joseph Curtillet, ori­ginaire de Lyon, titulaire de la chaire de clinique chirurgicale infantile et orthopédie d’Alger, directeur de l’Ecole de Médecine de 1904 à 1909, puis premier Doyen de la Faculté de Médecine et Pharmacie d’Alger de 1910 à 1922. Successivement moniteur, aide, puis prosecteur d’anatomie, E. Curtillet est l’auteur de travaux anatomiques sur les artères de la paroi abdominale antérieure, avec P. Goinard déjà cité (1929), sur l’anato­mie et la radioanatomie des bronches (1931), le lobe azygos (1932), les rapports de l’ar­tère poplitée en position de flexion de la jambe, avec J. Séror (1932), un cas de côte cervicale et trois muscles surnuméraires du cou (1942)… Nommé professeur de cli­nique chirurgicale infantile et orthopédie, E. Curtillet meurt prématurément. Son jeune frère, André Curtillet devient aussi prosecteur d’anatomie à Alger et est promis à un avenir brillant ; mais, il meurt aussi prématurément comme médecin-lieutenant tombé au Champ d’Honneur en 1945 dans la ville de Strasbourg libérée. Une plaque commé­morant la mémoire des prosecteurs E. et A. Curtillet est alors apposée au Laboratoire d’Anatomie d’Alger.

Joseph Séror (1907-1996) (18) collabore au travail de P. Goinard et E. Curtillet sur les artères de la paroi abdominale antérieure (1929) et publie des travaux sur les rap­ports de l’artère poplitée en position de flexion de la jambe avec E. Curtillet et sur les rapports de l’apophyse styloïde avec la caisse du tympan et l’apophyse vaginale (1932). En 1955, J. Séror est nommé professeur agrégé de chirurgie générale, puis, en 1961, professeur titulaire de la chaire de pathologie chirurgicale à Alger. Après un séjour au Cambodge, il reviendra dans l’Algérie indépendante (1964-69), puis sera professeur à la Faculté de Médecine de Strasbourg jusqu’à sa retraite en 1977.

Henri Liaras publie un travail sur les lames aponévrotiques du mollet, du canal cal­canéen, et de la plante du pied (1931), et soutient en 1933 sa thèse de doctorat en méde‑

cine intitulée Des suppurations plantaires et à leur propos de l’anatomie de la plante et de ses relations avec le mollet. Plusieurs de ses publications concernent des variations musculaires (1941-43). H. Liaras est nommé professeur titulaire de la chaire de patho­logie chirurgicale à Alger, puis, après 1962, deviendra professeur de chirurgie à la Faculté de Médecine de Lyon. Son nom est resté attaché à l’espace commissural dit de Liaras.

Parmi les autres élèves et collaborateurs du Professeur E. Leblanc peuvent encore être cités : Francis Morand qui publie des travaux sur les nerfs du pédicule pulmonaire (1927) et sur les variations du système azygos (1930) ; Gaston Chevaux qui s’attache à l’étude des variations des artères palmaires et plantaires et de l’artère médiane (1928) ; ou Henri Ezes qui étudie les artères de la trompe utérine (1929) et devient professeur de gynécologie à Alger puis sera nommé, après 1962, professeur à la Faculté de Médecine de Montpellier.


Le Professeur René-Marcel de Ribet de 1940 à 1962

Le Professeur René-Marcel de Ribet (1894-1967), élève puis collaborateur du Professeur E. Leblanc, dont le début de carrière a été évoqué plus haut, devient titulaire de la chaire d’anatomie de la Faculté de Médecine d’Alger en 1940. Après 1940, R.M. de Ribet publie encore plusieurs travaux de recherches anatomiques sur les tuber­cules acoustiques (1941), les orifices du quatrième ventricule ou trous de Magendie et de Luschka (1941), l’apophyse sus-épitrochléenne (1942), l’espace perforé postérieur (1944-45), ou la loge de la rate, avec R. Bourgeon (1947-48). Mais dès lors, R.M. de Ribet va surtout s’attacher à la rédaction d’une monumentale série d’ouvrages de neu­roanatomie, illustrés de très nombreux schémas originaux : Anatomie schématique de l’appareil nerveux. Les nerfs crâniens (Paris, Doin, 1952, 535 p.), Les nerfs rachidiens (1953, 715 p.), Le système nerveux de la vie végétative (1955, 487 p.), et Systématisation des centres nerveux et de leurs connexions (1957, 1052 p.) ; il publie encore une Introduction à l’étude de l’anatomie humaine. Propédeutique anatomique (Alger, 1961, 87 p.). Après 1962, R.M. de Ribet terminera sa carrière comme profes­seur titulaire de la chaire d’anatomie de Montpellier, et y mourra le 19 février 1967.

Sous la direction de R.M. de Ribet, la publication des Travaux du Laboratoire d’Anatomie de la Faculté de Médecine d’Alger, qui avait été interrompue après 1932 par manque de crédits, reprend en 1940 et se poursuit annuellement jusqu’en 1962.

Les études précieuses concernant les variations anatomiques humaines sont poursuivies : C’est là, une oeuvre de longue haleine, poursuivie dans notre Faculté depuis plus d’un quart de siècle, et qui s’appuie sur l’examen méthodique de 1.000 cadavres au moins, disséqués dans les pavillons réservés aux travaux pratiques des étudiants. Seules, en effet, de grandes séries peuvent donner un chiffre, en pourcentage, serrant de près la réalité. Seule, l’étude systématique d’un élément anatomique donné sur 1.000 sujets, peut dans certains cas, modifier les conceptions classiques sur ce que l’on consi­dère, dans les livres, comme « le type normal » : c’est-à-dire celui qui s’appuie sur la plus grande fréquence. A cette notion, s’ajoute le fait, qu’en Algérie, une origine eth­nique particulière peut modifier plus ou moins, l’organisation anatomique de ceux qui, actuellement vivent dans le Maghreb. Au Laboratoire ne sont examinés que des corps de Berbères, non pas seulement pour ne dégager que des notions de « morphologie pure et locale », mais aussi pour en tirer quelques données d’utilité pratique dans le domaine médical et surtout chirurgical. De multiples travaux anatomiques de référence sont publiés sur ce thème.

Les travaux du laboratoire d’anatomie d’Alger s’orientent désormais essentiellement vers l’anatomie clinique et chirurgicale. Un cursus anatomique est obligatoire pour se présenter aux concours chirurgicaux.

Parmi les collaborateurs et élèves du Professeur R.M. de Ribet, poursuivant le cursus anatomique classique : moniteur (monitorat), aide (adjuvat), prosecteur (prosectorat), chef de travaux, et éventuellement professeur agrégé (agrégation), il convient de citer en particulier R. Bourgeon, M. Guntz, N. Aprosio, Y. Phéline. et J.P. Neidhardt.

René Bourgeon (1912-1996) est né à Saint-Arnaud (El Eulma) dans le Constantinois proche de Sétif. Il soutient sa thèse de doctorat en médecine à Alger en 1940 sur les kystes hydatiques du cœur. Il publie, seul ou en collaboration avec R.M. de Ribet, H. Liaras, J. Gardel, A. Leca, J. Houel, ou J.P. Pantin, de nombreux travaux sur les variations anatomiques et en particulier musculaires (1941-49). En 1949, R. Bourgeon est nommé professeur agrégé en anatomie à Alger. Pionnier de la chirurgie du foie, en particulier pour hydatidose, il mène, en collaboration avec M. Guntz, des travaux sur la cavographie abdominale et la radio-anatomie de la veine porte (1954-56). En 1957, R. Bourgeon devient professeur titulaire de la nouvelle chaire d’anatomie médico-chi­rurgicale et technique chirurgicale créée pour lui à la Faculté de Médecine d’Alger comme cela sera évoqué plus bas.

Marcel Guntz (né en 1923), originaire de Nancy, est successivement aide, prosec­teur, puis chef de travaux à Alger. En collaboration avec R. Bourgeon, il publie des tra­vaux, déjà évoqués, sur la cavographie abdominale et la radio-anatomie de la veine porte (1954). M. Guntz soutient en 1956 sa thèse de doctorat en médecine intitulée Les résections hépatiques réglées et leurs indications dans le traitement chirurgical du kyste hydatique du foie. Bases anatomiques, physiologiques et cliniques, puis étudie avec R. Bourgeon les veines sus-hépatiques et leur radio-anatomie (1958-59). M. Guntz est nommé professeur agrégé d’anatomie à Alger en 1961. Après 1962, il deviendra le premier professeur titulaire d’anatomie de l’Ecole de Médecine d’Angers, devenue Faculté en 1970, et publiera un ouvrage de référence Nomenclature anatomique illus­trée (1975).

Norbert Aprosio (né en 1924) (20) est successivement préparateur d’anatomie en 1950, adjoint d’anatomie en 1951, puis prosecteur en 1953. Il soutient sa thèse de doc­torat en médecine en 1956 sur des recherches de chirurgie expérimentale sur des gref­fons vasculaires conservés dans du formol. De 1957 à 1960, il est chef du Service de Chirurgie au Centre Hospitalier Régional de Tiaret (Algérie). En 1961, il est nommé professeur agrégé en anatomie en poste à l’Ecole Nationale de Médecine et Pharmacied’Oran, dont il devient également le directeur, puis Recteur-Adjoint du Centre Universitaire d’Oran en 1962, pendant quelques mois. Après 1962, N. Aprosio sera nommé professeur d’anatomie à la Faculté de Médecine de Strasbourg jusqu’à sa retrai­te en 1992. N. Aprosio publiera en 1974-75 deux fascicules didactiques intitulés Anatomie médico-chirurgicale schématique – Tête et cou.

Yves Phéline (1930-2000), né à Rabat au Maroc, est moniteur puis aide d’anatomie à Alger en 1953-56, puis prosecteur en 1958-60 ; il est alors nommé délégué dans les fonc­tions de maître de conférences d’anatomie à l’Ecole de Médecine de Constantine. En 1962, est publiée son étude sur les veines des articulations, venant compléter le travail sur les artères articulaires de son Maître R.M. de Ribet. Y. Phéline restera à Alger de 1962 à 1967 comme professeur d’anatomie à la Faculté de Médecine de la nouvelle République Algérienne Démocratique et Populaire, avant d’être finalement nommé professeur agrégé à Caen en 1967, puis professeur titulaire de la chaire d’anatomie de Caen en 1969.

Jean-Pierre Neidhardt (né en 1932), originaire de Colmar, arrive en Algérie en 1940. Il est successivement moniteur, aide, prosecteur en anatomie. Après 1962, il sera nommé professeur d’anatomie à la Faculté de Médecine de Lyon.

Plusieurs autres élèves et collaborateurs de R.M. de Ribet méritent encore d’être cités, mais une liste exhaustive sort du cadre du présent travail. Robert Aubaniac mène des recherches sur l’organisation topographique de la base du cou (1942), et publie plu­sieurs articles sur les variations osseuses et musculaires (1949-51) ; en 1955, il publie avec Jacques Porot, l’ouvrage Radio-anatomie générale de la tête (1955) ; puis R. Aubaniac publie un travail sur la voie veineuse subclaviculaire à laquelle son nom restera attaché ; après 1962, il sera nommé professeur de chirurgie à Marseille. Jean Salasc soutient sa thèse à Alger en 1939 sur Les tératencéphaliens ; il publie un travail sur les variations du bord axillaire de la scapula (1943) ; il sera nommé professeur de chirurgie et gynécologie à Marseille. Paul Witas publie des études sur les muscles spi­naux postérieurs, les artères vertébrales atypiques, et un cas de pseudo-hermaphrodisme (1944-45). René Stoppa (né en 1921), né à Bône en Algérie, est aide d’anatomie, pro­secteur en 1950-53, puis chef de travaux intérimaire en 1956, nommé agrégé en 1962, il sera enfin professeur de chirurgie générale à la Faculté de Médecine d’Amiens. Jean Rives (né en 1922), prosecteur, partira ensuite pour la Faculté de Médecine de Reims. Jean Houel deviendra professeur de chirurgie thoracique et cardiaque à Marseille ; Jean Videau, agrégé chez le Professeur René Bourgeon, partira à Bordeaux, et Jean-Henri Alexandre, venu de Colmar, arrivé à Alger en 1945, deviendra professeur à la Faculté de Médecine de Paris.

La chaire d’anatomie médico-chirurgicale et technique chirurgicale de la Faculté de Médecine d’Alger (1957-1962)

En 1957, une nouvelle chaire d’anatomie médico-chirurgicale et technique chirurgi­cale est créée à la Faculté de Médecine d’Alger et s’individualise parallèlement à l’ancienne chaire d’anatomie dont le titulaire reste le Professeur R.M. de Ribet. Cette chaire éphémère existe de 1957 à 1962.

Le Professeur René Bourgeon (1912-1996), élève de R.M. de Ribet et dont le cursus a déjà été évoqué, est nommé titulaire de cette nouvelle chaire. En 1962, R. Bourgeon est rattaché à l’Ecole de Médecine de Poitiers, puis à la Faculté de Médecine de Marseille, avant de choisir de s’installer dans le secteur libéral à Nice. R. Bourgeon forme alors le vœu de créer une Ecole de Médecine à Nice ; elle est ouverte solennelle­ment en 1967 et R. Bourgeon en est le premier Doyen obtenant sa transformation en Faculté de plein exercice et l’installant dans ses murs à proximité de l’Hôpital Pasteur. Il prendra sa retraite en 1979 (21). En 1994, il organisera à Nice le Congrès National des Cercles Algérianistes.


La fin de la Faculté de Médecine Francaise d’Alger en 1962

La signature des accords d’Evian, le 18 mars 1962, est suivie d’un exode massif des Français d’Algérie. Tous les professeurs français de la Faculté de Médecine quittent Alger pour revenir en France, où ils sont réintégrés par le ministère de l’Education Nationale, et répartis, en surnombre, non sans grincements de dents (22), dans diverses facultés de médecine métropolitaines. Pour les anatomistes d’Algérie, en particulier, René-Marcel de Ribet est nommé à Montpellier, Jean-Henri Alexandre à Paris, Norbert Aprosio à Strasbourg, Marcel Guntz à Angers, et Jean-Pierre Neidhardt à Lyon ; les villes d’Amiens, Bordeaux, Marseille, Nice, Reims, et Toulouse accueillent des chirur­giens hospitalo-universitaires issus de l’Ecole anatomique d’Alger.

Un encart dans le fascicule ronéotypé, et non plus imprimé, des Travaux du Laboratoire d’Anatomie de la Faculté de Médecine d’Alger de 1962 mentionne : 1962 – Dernier fascicule. Cette revue, annuelle, de notre activité scientifique avait été créée, en 1924, par un Maître vénéré de nous tous, le Professeur Leblanc. C’est avec une pro­fonde émotion, une tristesse poignante, que nous évoquons aujourd’hui tous ceux, vivants ou disparus, qui ont travaillé dans ce Laboratoire et publié, tous les ans, dans nos « Travaux », le résultat de leurs recherches. A l’heure où cette publication régulière prend fin, que l’on excuse notre mélancolie et que l’on comprenne le déchirement d’un adieu à de vieilles traditions, celles d’une maison qu’un grand anatomiste français, Trolard, avait si fortement marquée de son empreinte. Le Laboratoire d’Anatomie.

Bien que sortant du cadre exact de la présente étude, il paraît intéressant de noter que dans la Faculté de Médecine d’Alger de la nouvelle République Algérienne Démocratique et Populaire, la chaire d’anatomie est occupée de 1962 à 1967 par Yves Phéline (1930-2000), élève de R.M. de Ribet déjà évoqué qui sera finalement nommé professeur agrégé à Caen en 1967, puis professeur titulaire de la chaire d’anatomie de Caen en 1969. Y. Phéline est rejoint en Algérie, par André Solassol (né en 1928), venant de Montpellier, qui sera ensuite également nommé agrégé puis professeur d’ana­tomie à Caen avant de prendre sa retraite en 1996.

En conclusion, il apparaît qu’Alger a connu durant la période coloniale française de 1830 à 1962 une Ecole anatomique originale et prestigieuse qui mérite de faire l’objet de travaux historiques plus approfondis.


Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :