source : http://www.ambafrance-cy.org/
La conférence : « Chypre médiévale – le royaume des Lusignan, 1191-1489 ». donnée par Madame Fotini PAPADOPOULOU, épouse du Président de la République de Chypre, le mercredi 15 novembre 2006 à 19h30 à la Fondation Culturelle de la Banque de Chypre (86, Phaneromenis, vieux Nicosie). Conférence en français avec traduction simultanée grecque et anglaise.
EXTRAITS DE LA CONFÉRENCE
La période historique dont nous allons parler est ce soir le royaume chypriote des Lusignan – Période aussi importante pour Chypre que pour la France. J’avais fait cette présentation à Paris au Sénat au mois de juin.
INTRODUCTION
«Si avec un grand et agréable plaisir les anciens, tant Historiens que Philosophes naturels, et fameux Poètes,ont fait quelque mémoire de l’Isle sacrée à l’amoureuse Déesse: à plus forte raison je me dois efforcer à orner ceste mienne douce patrie, ancienne demeure de mes ancêtres.» C’est par ces mots qu’Estienne de Lusignan, en 1580, commençait la préface de son ouvrage “Description de Toute l’Isle de Chypre”.
Chypre, la troisième île de la Méditerranée par sa dimension, se trouve à un carrefour important de civilisations entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe. C’est précisément pour cette raison que la petite île tomba sous le joug de tant de puissances et entra en contact avec tant de civilisations, peuples et cultures diverses.
Impliquée dans l’organisation et l’enrichissement du Musée Municipal Leventis je fus conduite sans m’en apercevoir à entreprendre un long voyage dans l’histoire de Chypre. Directement intéressée, à la fois en tant que membre de la Fondation Leventis, mais aussi membre fondateur de l’Association des Amis du Musée, je commençai à me passionner pour des aspects de l’histoire de mon pays qui me reliaient à un autre pays, un grand pays, ma seconde patrie: la France.
Je m’efforcerai donc de dessiner à grands traits untableau de Chypre au Moyen Age. Je terminerai en évoquant la dernière reine du royaume, Catherine Cornaro, et je dirai quelques mots des liens qui continuèrent à unir la France à Chypre après cette époque et jusqu’à nos jours.
L’arrivée et l’établissement des Lusignan dans l’île.
Lorsqu’en 1192 Guy de Lusignan achetait Chypre à Richard Cœur de Lion, personne ne pouvait soupçonner l’importance, mais aussi le rôle essentiel que jouerait cette transaction dans le destin de Chypre, ou encore dans celui de la dynastie des Lusignan. Mais voyons les choses par le commencement. En 1191, le gouverneur de Chypre, alors province de l’Empire byzantin, était l’usurpateur Isaac Comnène, qui s’était autoproclamé empereur de l’île qu’il gouvernait depuis 1184. Partant pour la Troisième Croisade, Richard Cœur de Lion prit la mer avec son armée pour aller libérer Jérusalem, alors aux mains du Sultan d’Egypte Saladin. Certains des vaisseaux de sa flotte, y compris celui qui transportait sa fiancée Bérengère de Navarre, essuyèrent une tempête et s’échouèrent sur les côtes de Chypre. Isaac Comnène refusa d’approvisionner le vaisseau de Bérengère en eau et en vivres. Richard considèrent qu’Isaac avait insulté sa fiancée, et saisit ce prétexte pour conquérir l’île. La conquête de Chypre par le roi d’Angleterre était dès lors passée dans les faits. Richard, une fois qu’il eut pillé le pays, décida qu’il n’avait aucun intérêt à le gouverner.
Tout d’abord il vendit l’île aux Templiers, qui gouvernèrent le pays en essayant d’exploiter ses richesses naturelles et ses produits. Après la révolte des habitants de Nicosie, à Pâques de 1192, les Templiers restituèrent l’île à Richard. Posséder une base à Chypre leur suffisait pour qu’ils pussent exploiter l’île. Richard revendit immédiatement l’île au roi de Jérusalem, Guy de Lusignan.
Telle est l’histoire de Chypre.
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Richard vendit l’île à Guy pour 60.000 besants. L’achat de Chypre par Guy de Lusignan se fit parce que, de fait, la peur que Jérusalem ne fût conquise par les mahométans était devenue réalité. Les Lusignan devaient s’assurer une base solide dans la région qui constituait la clef de l’Asie et de la Méditerranée orientale.
Guy s’installa après la conquête de l’île durant l’été 1192. Il mourut deux ans plus tard, ayant néanmoins assuré à la France un nouveau territoire au Moyen-Orient. La fondation du royaume médiéval de Chypre fut marquée par l’arrivée d’un grand nombre de nobles francs et autres mais aussi de croisés qui vivaient jusqu’alors au Moyen-Orient. Avec l’établissement des Francs dans l’île, Chypre devint dès lors partie intégrante du monde politique de l’Europe de l’ouest. On considère comme le véritable fondateur du royaume franc de Chypre le frère de Guy, Amaury, qui lui succéda. Il fut également le premier roi Lusignan à être couronné Roi de Chypre en 1197.
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L’architecture gothique à Chypre
«Constructions exorbitantes: Larion, Famagouste et Buffavent. Presque un décor d’opéra. Nous avions appris à considérer autrement les mots “Jésus-Christ vaincra”»,
écrit le lauréat du prix Nobel de littérature, le fameux poète grec George Séféris, dans son poème «Néophyte le reclus parle», manifestement influencé par les impressions qu’il rapporte de Chypre et par ses imposants monuments gothiques.
Et c’est bien là la réalité.
Partout à Chypre, on retrouve des monuments ou des ruines du Moyen Age français. Châteaux, murailles, églises, palais… Le paysage chypriote marqué par leurs volumes et leur décoration extérieure sculptée, témoignant jusqu’à nos jours de la forte présence du style occidental dans le pays.
La plupart des bâtiments gothiques se trouvent à Nicosie et à Famagouste. Les plus importants sont les cathédrales Sainte-Sophie à Nicosie et Saint-Nicolas à Famagouste toutes deux actuellement en territoire occupé. Ce sont les plus grands édifices religieux qui aient été élevés dans le pays et dans lesquels étaient célébrés les couronnements des Lusignan.
C’était à Sainte-Sophie que les Lusignan étaient couronnés rois de Chypre et à Famagouste qu’ils portaient la couronne de Jérusalem. La magnifique abbaye de Bellapaïs pres de Kérynia, également en territoire occupé depuis 1974, se distingue par la beauté de son architecture dans un site grandiose
Les Francs reconstruisirent également les forteresses byzantines du Pentadactylos: Saint Hilarion, Buffavent et Kantara. Malheureusement les plus grands et les plus imposants édifices gothiques, surtout les églises, furent transformés en mosquées après 1571, date de la conquête de Chypre par les Ottomans.
Depuis l’invasion turque de 1974, la plupart, de ces édifices se détériorent, sans que la République de Chypre, ni même avec l’aide de l’UNESCO, ait pût procéder à leur conservation. L’exemple le plus récent est celui de l’abbaye de Bellapaïs pres de Kérynia, où un grand pan de l’aîle Nord du monastère s’est complètement écroulé.
Le Français Camille Enlart, qui étudia l’art gothique et la Renaissance en Chypre dans son ouvrage en deux volumes, du même titre, unique jusqu’à maintenant, souligne que les modèles de l’architecture gothique qu’on trouve à Chypre proviennent surtout d’île de France, de Champagne, du Laônnois et du Midi français.
Parallèlement, à l’époque de la domination franque, se développait également dans le paysage chypriote uneautre forme d’architecture, de caractère plus humble. Extérieurement, elles sont toutes simples, mais elles sont ornées à l’intérieur de merveilleuses fresques qui leur confèrent une splendeur rare.
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Événements historiques importants majeurs
Sur l’ensemble de la période de la domination franque, l’île fut gouvernée par dix-sept rois de la famille des Lusignan.( Seize rois étaient couronnes à Chypre tandis que Guy de Lusignan fut couronné à Jérusalem. Chacun contribua à sa manière au fonctionnement de l’Etat, nouant selon les circonstances des relations et des alliances avec d’autres royaumes de la région ou d’Europe.
En 1358, Pierre Ier, le plus remarquable et le pluscélèbre des rois Lusignan tant à Chypre qu’en Europe, monta sur le trône.
Ses ambitions et ses périples, ses grands projets, ses succès et ses échecs, ses amours et sa fin tragiquemarquèrent l’histoire du royaume.
Résolu à lancer une nouvelle croisade il commença une longue tournée de trois ans à travers toute l’Europe, adressant un appel à l’aide à des grands souverains.
On lui réserva partout un accueil plein d’honneurs,cependant l’aide qui lui fut accordée se révéla minime. Il parvint finalement à mettre sur pied une flotte et une armée.
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CONCLUSION
La période de la domination franque fut pour de multiples raisons une étape essentielle de l’histoire de Chypre. Elle lia Chypre à la culture européenne qui connaissait alors un grand essor, sans la couper de ses racines grecques, byzantines et orientales. L’île acquit alors son rôle si essentiel de passerelle économique, culturelle et géopolitique entre Orient et Occident, une place qu’elle conserve actuellement. Malgré les conditions extrêmement difficiles que connut alors le peuple chypriote, la nouvelle synthèse culturelle peut être en fin de compte considérée comme une manifestation précoce de l’esprit européen et comme un authentique fruit de la Renaissance.
Les Lusignan en particulier, et les Vénitiens après eux, laissèrent des traces de leur passage dans les toponymes, dans l’architecture, dans l’art, dans l’âme du peuple, pour finalement être assimilés. Ils enrichirent considérablement son patrimoine culturel et spirituel.
Je me suis efforcée dans cette présentation de vous faire voyager dans le passé de ma patrie, un passé qu’elle a partagé avec le grand pays européen qu’est la France. Depuis lors des siècles ont passé. Chypre, après la domination franque, a vécu l’asservissement sous l’Empire ottoman de 1571 à 1878 puis la domination britannique, de 1878 à 1960.
Le combat de libération mené par l’Organisation Nationale des Combattants Chypriotes, de 1955 à 1959, aboutit à la fondation de la République Indépendante de Chypre. Pour la première fois dans sa très longue histoire, l’île était libre et indépendante.
La République de Chypre naquit le 16 août 1960, avec comme premier Président, l’Archevêque Makarios III. La crise constitutionnelle de 1963 perturba le fonctionnement de la République, cependant que l’invasion de l’île par l’armée turque, le 20 juillet 1974, demeure, 32 ans plus tard, une plaie ouverte, et que la capitale Nicosie continue à être la dernière capitale divisée d’Europe.
Toutefois, les Chypriotes continuent à progresser et gardent toujours et ont toujours l’espoir d’une solution juste, viable et fonctionnelle, qui abolira les lignes de démarcation illégales et unira pour toujours «le doux pays de Chypre».
Chypre et la France ont partagé, voici 500 ans, un passé commun. Depuis 2004, année qui a marqué le retour de Chypre dans la grande famille européenne,Chypre et la France sont désormais unies par des liens de partenariat, des liens qui peuvent se resserrer davantage encore en raison de leur passé commun, à une période éminemment intéressante de l’histoire européenne.