via herodote.net
Les 10 et 11 octobre 1927, les pilotes Jean Mermoz et Elisée Négrin effectuent la première liaison directe et sans escale entre Toulouse et Saint-Louis-du-Sénégal sur un Latécoère 26 (4470 km en 23 h 30).
Cet exploit est à porter au crédit de l’avionneur Latécoère et de l’Aéropostale, dont l’épopée a enthousiasmé les Français entre les deux guerres mondiales.
Une aventure toulousaine
L’aviation, tout juste née au début du siècle, fait ses premières armes pendant la Grande Guerre ! À la faveur de celle-ci, grâce aux commandes de l’État, beaucoup de constructeurs acquièrent une taille industrielle. Parmi eux, Pierre-Georges Latécoère. Né en 1883 à Bagnères-de-Bigorre, cet ingénieur des Arts et Métiers a transformé la fabrique de wagons paternelle en fabrique d’avions. Il construit à Montaudran, dans la banlieue de Toulouse, une usine immense, aujourd’hui à l’abandon…
La fin de la guerre le réjouit comme tout un chacun mais l’oblige à réviser sa stratégie industrielle. Il décide comme quelques autres pionniers d’employer ses avions au transport du courrier, en concurrence avec le bateau et le train.
Des concurrents comme Henri Farman et Pierre de Fleurieu ne l’ont pas attendu pour défricher les dessertes vers l’Angleterre et l’Europe centrale. Qu’à cela ne tienne, l’avionneur décide de tirer parti de sa situation à Toulouse pour lancer des lignes postales par-dessus les Pyrénées vers l’Afrique française : le Maroc et mieux encore le Sénégal, et pourquoi pas vers l’Amérique du Sud.
On retient de lui cette formule, en septembre 1918 : «J’ai fait tous les calculs. Ils confirment l’opinion des spécialistes : notre idée est irréalisable. Il ne nous reste plus qu’une chose à faire : la réaliser». C’est ainsi que naissent les Lignes Latécoère.
Le 8 mars 1918, le capitaine d’industrie atterrit au Maroc et signe avec le résident général, le maréchal Hubert Lyautey en personne, une convention pour la mise en place de huit vols mensuels entre Toulouse et Rabat. Lui-même paie de sa personne en participant aux premiers vols et notamment au franchissement des Pyrénées, une épreuve qui paraît encore à beaucoup hors de portée des petits appareils de l’époque.
Les premiers avions n’ayant qu’une autonomie d’environ 400 km, l’industriel doit négocier des terrains d’atterrisage le long de la côte espagnole. Le plus difficile reste le recrutement de pilotes suffisamment fous pour tenter l’exploit, assez dociles pour se soumettre aux contraintes d’un service régulier.
Les chevaliers du ciel
À la tête des Lignes Latécoère, l’industriel place alors un animateur inspiré, Didier Daurat, ancien pilote de guerre. Il s’est forgé un impératif qu’il fait partager à toute son équipe : «Le courrier doit passer». C’est ainsi que des jeunes hommes de grande valeur vont risquer leur vie et souvent la perdre pour transmettre au plus vite par-dessus les déserts et les océans de banales lettres d’affaires ou d’amour !
Didier Daurat a l’art de recruter des hommes de talent et de caractère, anciens pilotes de guerre ou jeunes aviateurs comme Vanier et Vachet, puis un peu plus tard Mermoz. Il les discipline en leur imposant un passage à l’atelier comme simple ouvrier avant de leur permettre de voler enfin.
En 1926, un autre pilote appelé à une grande notoriété rejoint l’équipe. Né en 1900 dans une famille bourgeoise de la région lyonnaise, avide d’aventures et de rêves, il a nom Antoine de Saint-Exupéry. Il est bientôt nommé chef de place à Cap-Juby, en Mauritanie, sur la route aérienne de Rabat à Dakar. Face au désert, il va concevoir son premier roman à succès, Courrier Sud, publié en 1929.
Avec Jean Mermoz, leader reconnu de l’équipe, Saint-Exupéry et les autres pilotes, Vanier, Vachet Guillaumet… naît très vite le mythe des «chevaliers du ciel», nouveaux héros d’une ère de progrès et de paix. Bientôt, on ne désigne plus les liaisons France-Amérique du sud que sous le nom de : «La Ligne», comme s’il n’en existait pas d’autres !
Les drames bouleversent l’opinion. Ainsi des accidents mais aussi des sauvetages héroïques. En 1926, Mermoz, contraint à un atterrissage forcé au cours d’un vol Casablanca-Dakar, est capturé par les Maures. Ceux-ci l’abandonnent en plein désert après s’être vu promettre une rançon de mille pesetas ! Le pilote va rejoindre par ses propres moyens le poste d’escale de Cap-Juby.
Plus fort encore, en 1930 surviendra l’accident terrible d’Henri Guillaumet dans les Andes… On comprend que, dans ces conditions, la France accordera des funérailles nationales le 30 décembre 1936 à Mermoz, tombé dans l’Atlantique sud avec quatre compagnons le 7 décembre précédent.
Le grand défi
Latécoère, cependant, malgré l’estime que suscitent dans le public les exploits de ses pilotes, peine à faire face aux défis techniques et aux concurrents anglais, espagnols, allemands…
Le 3 décembre 1926, il s’envole pour Rio et rencontre Marcel Bouilloux-Lafont, un entrepreneur d’origine française, né à Angoulême en 1871, qui a fait fortune en Amérique latine. Latécoère lui vend le 11 mars 1927 ses parts dans la compagnie et celle-ci devient le mois suivant la Compagnie Générale Aéropostale, plus connue sous le nom d’Aéropostale.
Bouilloux-Lafont n’a pas moins d’ambition et d’audace que son ami. Il veut établir au plus vite des liaisons régulières entre la France et l’Amérique latine. L’objectif est sinon aisé, du moins raisonnable, considérant que la même année, Charles Lindbergh réussit la traversée de l’Atlantique nord.
Pour commencer, le 10 octobre 1927, Mermoz et Négrin réussissent le premier vol sans escale entre Toulouse et Saint-Louis du Sénégal. Reste à faire le grand saut transatlantique vers Natal, à la pointe du Brésil. Dans un premier temps, l’Aérospostale met en exploitation des avisos (petits navires rapides) qui font la navette en quatre jours. À leur arrivée au port, à Natal comme à Saint-Louis-du-Sénégal, leurs sacs de courrier sont transférés sur des avions.
Mais cette solution ne satisfait pas Bouilloux-Lafont qui plaide auprès de l’administration pour pouvoir mettre en service des avions au-dessus de l’océan. Mais le ministère français de l’Air, au nom du règlement, impose le recours à des hydravions, moins performants. À Mermoz revient une nouvelle fois l’honneur d’inaugurer la ligne : le 12 mai 1930, il s’envole de Saint-Louis pour Natal, soit un vol de plus de 3000 kilomètres en 21 heures.
Bientôt, l’Aéropostale réussit à organiser des vols de nuit entre Toulouse et Buenos-Aires. C’est le triomphe. Triomphe éphémère s’il en est…
La chute
Marcel Bouilloux-Lafont s’est beaucoup endetté pour développer La Ligne et sa fortune a aussi souffert du krach de Wall Street. Plus grave, il doit faire face à la concurrence de la Lufthansa allemande sur les liaisons avec l’Amérique du Sud et, plus grave encore, aux pressions «amicales» de l’administration française en faveur d’un rapprochement franco-allemand, diplomatie oblige.
L’entrepreneur se scandalise de cette idée qui reviendrait à céder à ses rivaux allemands le fruit de ses efforts et des sacrifices de ses pilotes. Mais il n’aura pas le dernier mot. En février 1932, il est accusé, ainsi que son fils, de malversations. Déstabilisé, il doit lâcher l’Aéropostale. Celle-ci est mise en liquidation judiciaire le 31 mars 1931.
Bernard Marck (Histoire de l’aviation, Flammarion, 2001) raconte comment cette cabale aurait été montée de toutes pièces par un faussaire, Serge Colin, rétribué par le ministère français de l’Intérieur.
Le 30 août 1933 naît la compagnie Air France suite au regroupement de diverses compagnies dont l’Aéropostale. D’emblée, celle-ci abandonne à ses concurrents américains et allemands la plupart des lignes sud-américaines créées par Bouilloux-Lafont et n’en conserve que le tronçon principal. C’est la fin d’une légende.
Côté construction aéronautique, les usines Latécoère vont poursuivre leur activité jusqu’à nos jours en se spécialisant dans la conception de sous-ensembles. Quant à la conception d’avions, elle va prendre un nouvel élan à Toulouse dans les années 1960 (Caravelle, Concorde, Airbus) et, pour l’occasion, on va relever le nom de l’Aéropostale, transformé en Aérospatiale.
Bibliographie
On peut lire la biographie complète d’Emmanuel Chadeau : Mermoz (Perrin, 2000).