source : http://emam.revues.org/163
Jean-Pierre Frey, « Les valises du progrès urbanistique. Modèles, échanges et transferts de savoir entre la France et l’Algérie », Les Cahiers d’EMAM [En ligne], 20 | 2010
Plan
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Les réflexions sur la circulation des modèles ont largement stimulé les recherches architecturales et urbaines de ces dernières années. Elles ont eu le mérite d’établir ou de conforter des liens entre des chercheurs de divers pays, de permettre de confronter leurs visions des choses sur des objets communs et de mesurer les écarts ou affinités dans les jugements qu’ils portent sur leur domaine de prédilection, en quelque sorte au-delà des simples échanges d’informations. Le premier acquis de telles investigations est de permettre de constater que des formes bâties ou dessinées, les dispositions dans un espace qui peut aller de la décoration et du mobilier jusqu’à l’aménagement du territoire en passant par l’architecture et les formes urbaines, peuvent prendre place dans des cadres politiques, économiques, sociaux, géographiques, climatiques, etc., divers et variés. Sont-ce alors des « modèles » qui circulent en se soumettant à des opérations toujours un peu magiques de transposition ou bien encore des façons de procéder qui se transmettent ou se colportent selon des itinéraires et des trajectoires qu’il s’agirait de retracer pour en comprendre la logique déambulatoire de diffusion ? La tentation biographique présente l’avantage de permettre parfois de reconstituer un itinéraire, une carrière, des pérégrinations toujours plus ou moins aventureuses à l’occasion desquelles des rencontres se font, des projets s’élaborent, se réalisent parfois. Les traces matérielles témoignent ainsi de réseaux relationnels qui servent souvent d’explication commode, faisant d’un réseau de connaissances un courant de pensée crédité d’une raison sociale aux portées heuristiques tangibles mais fragiles à partir d’une collection bricolée d’œuvres, que l’on classera par commodité dans une école quelconque d’une trop hâtivement pensée supposée élaborée. On peut ainsi reconstruire — ou parfois construire après coup — des liens, faire des rapprochements sans toujours se donner les moyens de rendre raison des similitudes et des différences. On peut se dire, par exemple, que les Plans-Obus de Le Corbusier pour Alger ressemblent étrangement à ceux établis pour Rio de Janeiro quelques temps plus tôt, et que ce rapprochement entre ces deux pays se justifie par les voyages d’un architecte qui esquisse des projets dans des croquis sommaires balisant un itinéraire conceptuel suivant en quelque sorte les pérégrinations d’un personnage privilégié. Mais on pourrait tout aussi bien, dans le cadre d’une histoire architecturale de la société plus soucieuse de réelles conditions de production des espaces, instruire la question de la violence symbolique que représentent des croquis sommaires plaqués sur un terrain dont on ne se fait qu’une vue partielle et hâtive, aussi pertinente qu’elle puisse être, comme modalité nouvelle d’imposer un ordre international faisant fi des cultures locales. Les croquis illustrent également, au-delà d’une sorte de négligence un peu méprisante pour l’attachement des populations à leur cadre de vie quotidien, une façon toute propre à la modernité, telle que Le Corbusier la partageait avec la plupart des tenants des CIAM (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne) — mais il faudrait vérifier cette convergence de vues —, de composer avec la topographie. S’abstraire du site pour souligner la rectiligne sinuosité d’un tracé autoroutier en viaduc conçu en fonction de la vitesse croissante des véhicules est une chose car un tel tracé fait alors autorité sur une structure urbaine fonctionnelle plus soucieuse des performances des déplacements que des traces du passé ou de la valeur que représente une ponctuation monumentale de l’espace urbain. Une façon de procéder dans la planification qui consiste à appliquer au sol un découpage en quadras sur une topographie tout aussi chahutée, mais dont on mettra à profit la valeur symbolique des sommets de collines pour parsemer un territoire d’églises baroques comme signes d’un quadrillage de l’ensemble du territoire par un pouvoir politique théocratique, en est une autre. L’important, en somme, est de noter qu’une forme n’est intelligible qu’à condition de faire l’objet d’une problématisation particulière.
Celle que nous avons choisie concerne les moyens pédagogiques mis en œuvre dans la formation des urbanistes pour tenir compte des spécificités du terrain et des caractéristiques des habitants concernés par un projet d’aménagement. La prémisse fondamentale d’une telle approche est que, au fait du prince ou à une conception déterritorialisée d’une planification, qui applique des formes abstraites à des terrains supposés disponibles et vierges d’activités culturelles vernaculaires, s’oppose une démarche plus soucieuse de composer avec les particularités d’un terrain conçu comme un terroir dépositaire d’une culture portée par une population. De surcroît, dans le contexte des échanges entre l’Europe et le Maghreb, entre la métropole et ses territoires d’outremer, cette population a pu être fortement différenciée selon ses appartenances communautaires, confessionnelles et ethniques. Dans quelle mesure tient-on compte de ces différences pour, sinon établir des plans d’urbanisme, du moins doter les urbanistes de connaissances les sensibilisant aux différences et les rendant soucieux de répondre de façon nuancée à une demande sociale dont on sait qu’elle n’a pas le même poids selon les groupes sociaux ? Telle est la question dont nous voudrions esquisser la formulation et dessiner quelques pistes pour y répondre. Nous nous appuierons pour cela principalement sur deux institutions majeures de la formation des urbanistes : l’Institut d’Urbanisme de l’Université de Paris (l’IUUP) et l’Institut d’Urbanisme de l’Université d’Alger (l’IUUA). Les programmes des cours et la liste des diplômés ainsi que, dans la mesure du possible, de leurs travaux, aussi bien académiques qu’opérationnels, constitueront la matière du propos. Nous mettrons donc l’accent sur les relations entre la France et l’Algérie, étant entendu que, dans une acception plus élargie des échanges, transferts et diffusion des modèles, bien d’autres régions, pays et populations peuvent faire l’objet d’investigations du même ordre. C’est du reste ce que nous avons eu l’occasion d’amorcer entre l’Europe et l’Amérique Latine dans les années 1990. De façon plus précise, il s’agira de repérer l’attention que les sciences sociales ou humaines ont pu porter aux spécificités des terrains et des populations dès lors qu’il s’agissait d’établir des plans ou de dessiner les grandes lignes d’une politique urbaine appliquée aux villes d’Algérie.
Les conditions d’apparition de l’École des Hautes Études Urbaines et de l’IUUP sont de mieux en mieux connues et l’on peut sommairement souligner le fait que s’opposent dès le départ, et s’opposent du reste toujours dans la formation des urbanistes, d’une part des enseignements ou activités pédagogiques destinés à transmettre à la fois des savoirs académiques, d’autre part des savoir-faire professionnels. D’un côté, des règles d’un art de planifier, de projeter, de faire de la composition urbaine — d’une façon plus ou moins spatiale ou programmatique — se transmettent essentiellement à l’occasion de rendus débouchant sur des propositions d’aménagement ou visant plus directement la formalisation de projets. Aux travaux personnels comportant un mémoire rédigé consistant à analyser les caractéristiques d’un terrain d’intervention (de type Civic Survey), débouchant sur d’éventuelles propositions dessinées, correspondent des travaux plus collectifs de type « atelier ». Ceux-ci tentent de répondre au fonctionnement d’une agence telle qu’on en trouvait au départ dans un secteur privé dominé par les architectes, puis dans des structures pluridisciplinaires dont les agences d’urbanisme inaugureront les formes originales par la suite. D’un autre côté, des savoirs disciplinaires et scolaires se prêtant à une transmission principalement orale prennent la forme de cours et de conférences ex-catedra. Du côté de ce qu’il est convenu d’appeler la pratique opérationnelle, on trouve parmi les fondateurs de l’urbanisme dès 1911 les principaux membres de la Société Française des Urbanistes, dont les plus célèbres ont eu une formation initiale d’architectes, d’ingénieurs ou de paysagistes. Henri Prost, Jacques Gréber, René Danger, Robert Auzelle ou André Gutton sont de ceux-là. Du côté des domaines se voulant plus ou moins scientifiques, mais tenant surtout leur statut de leur organisation et reconnaissance comme disciplines académiques, ce sont l’histoire, la géographie et l’économie qui ont clairement porté l’urbanisme naissant sur les fonts baptismaux d’une politique municipale ou départementale d’abord, nationale ensuite. Elle se diffusera enfin dans la plupart des instances bureaucratiques impliquées dans un champ urbain, qui s’insinue dans les moindres recoins du territoire et dans tous les moments de la vie quotidienne des populations au fur et à mesure que s’urbanisent les modes de vie et de production ou de consommation.
L’Algérie et ses urbanistes
De la conquête, en 1830, à l’apparition des premiers diplômés de l’IUUP au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’aménagement urbain sera pris en charge par une multitude de personnages aux activités et aux qualifications professionnelles diverses. Si les ingénieurs du Génie militaire — souvent polytechniciens — et les architectes dominent, il faut cependant partir de l’idée que bon nombre d’aventuriers aux compétences et d’obédiences diverses se sont largement immiscés dans un domaine encore mal délimité malgré des réalisations souvent remarquables de simplicité et d’efficacité. Bien évidemment, il s’agissait d’une conquête coloniale faite au mépris des populations indigènes, de brutalités, de destructions et de spoliations diverses. Même chez les esprits supposés progressistes et socialisants, comme les fouriéristes, phalanstériens et saint-simoniens, la part de prise en compte des spécificités locales face aux ambitions civilisatrices fut proche du néant. Les images idéal-typiques d’une vie communautaire largement fantasmée ou les projets utopiques cherchent plus à faire advenir un monde nouveau issu des espoirs suscités, et des frustrations correspondantes, par l’industrialisation européenne qu’ils ne s’inscriraient dans le sillage, au demeurant peu porté sur la planification dessinée et la programmation centralisée, d’une urbanisation vernaculaire quelque peu en sommeil. Si Jean-Jacques Deluz fut l’un des premiers théoriciens de l’urbanisme algérien à retracer le chemin parcouru depuis le Plan de Constantine en nous rappelant le rôle joué par les architectes et urbanistes du mouvement moderne en Algérie, et notamment dans la capitale, on doit à Saïd Almi d’avoir repris la question selon un plus large spectre. Les deux approches, toutes deux sensibles aux discontinuités et aux divergences de vue et aux façons de procéder, méritent d’être approfondies et complétées par des données nouvelles et plus précises. C’est l’optique dans laquelle se placent des travaux, prioritairement monographiques, et avant tout d’histoire ou de géographie urbaines, ayant le mérite d’extirper des archives et des sources littéraires de la période coloniale — mise ainsi à profit pour sortir d’un oubli déplorable — des informations indispensables pour aborder l’espace urbain avec le recul de l’histoire et selon des approches longitudinales construites selon des problématiques particulières. Notre contribution à cette réflexion partira de sources souvent méconnues, lacunaires et encore mal explorées concernant les enseignements d’urbanisme et des travaux d’étudiants portant sur l’Algérie.
L’Institut d’Urbanisme de l’Université de Paris (IUUP) et l’Algérie
Les cours et le corps enseignant de l’IUUP
Quels enseignements ont été susceptibles de familiariser les étudiants en urbanisme avec la réalité algérienne ?
Ni dans les travaux de Rémi Baudoui, ni dans ce que nous savons des enseignements dispensés par nos principaux prédécesseurs jusqu’en 1945, nous ne trouverons trace d’un intérêt quelconque pour la réalité algérienne. C’est en 1916 que Marcel Poëte (1866-1950) fonde l’Institut d’Histoire, de Géographie et d’Économie urbaines de la Ville de Paris. Après avoir inauguré son cours consacré à l’Histoire de Paris à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris dès 1903, il le dispensera à partir de 1914 à l’École Pratique des Hautes Études et, toute sa vie durant, à l’École des Hautes Études Urbaines tout d’abord (1919-1923), puis à l’Institut d’Urbanisme de l’Université de Paris à partir de sa fondation en 1924. Il ne nous semble pas avoir écrit une seule ligne sur ce sujet. Son célèbre cours sur « L’histoire des villes en général, et de Paris en particulier » ne s’attachera qu’aux grandes civilisations. Ni Léon Jaussely (1875-1932), professeur à l’ENSBA (École Nationale Supérieure des Beaux-Arts) et chargé du cours sur l’art urbain, ni Édouard Fuster qui, au titre du Collège de France, dispense son cours sur l’organisation administrative des villes, ne s’intéresseront aux trois départements algériens. Tout est fait en somme à l’image de la plupart des textes de loi — dont un alinéa stipule en général qu’ils sont applicables à l’Algérie et qui attendent des décrets spécifiques d’application —, comme si l’Algérie était une autre France, simplement un peu moins développée et posant moins de problèmes de disponibilités foncières ou d’activités gênantes qu’en métropole. Sans doute le juriste Gaston Jèze (1869-1953) fut-il plus attentif que ses collègues à la question coloniale par ses fonctions à la SDN. Mais, pas plus Joseph Barthélémy (1874-1945), qui traitera des capitales, que Louis Rolland (1877-1956), pour ce qui est du maintien de l’ordre et les comparaisons internationales en matière d’autonomie communale face à l’État, ou même Henri Sellier (1883-1943), pour ce qui concerne les services municipaux, qui complèteront les enseignements de Jèze, ne s’intéressent à la question coloniale. Pierre Lavedan, qui a pourtant le mérite de ménager une place importante à l’iconographie dans ses publications, ne publiera aucun plan d’une quelconque ville d’Algérie, à l’exception de Timgad. Dans une vision toute colonialiste des choses, il notera dans le chapitre consacré à l’Algérie de son Histoire de l’urbanisme : « La multiplication des routes et des moyens de trafic a fait surgir nombre de petites agglomérations mal loties, mal bâties, désordonnées, sinon malsaines, les Bidonvilles. L’urbaniste n’a pas présidé à leur naissance » (Lavedan, 1952, p. 189).
Nous ne détaillerons bien évidemment pas l’ensemble du corps enseignant, mais nous croyons pouvoir dire que le premier professeur de l’IUUP à s’être intéressé à la situation algérienne est William Oualid (1880-1942). Juriste né à Alger, il rejoindra l’IUUP en 1929 et aura de nombreuses publications à son actif ; dès sa thèse soutenue en 1906 (publiée en 1907), il n’aura de cesse de publier sur l’Algérie, notamment dans la Revue d’Études Algériennes. Il dirigera dix thèses à l’IUUP, mais aucune ne portera sur l’outremer.
Le deuxième personnage d’importance à avoir dispensé des enseignements susceptibles de réserver un sort particulier aux villes d’Afrique du Nord est Henri Prost (1874-1959). Sa présence parmi le corps enseignant de l’IUUP est attestée pour la première fois dans une brochure de présentation des programmes de l’année universitaire 1927-1928 où il se joint à Jacques Gréber et à Léon Jaussely, lesquels avaient à charge de traiter un enseignement intitulé « Art et technique de la construction des villes ». Il s’agit donc moins d’une chaire académique que d’un enseignement pratique sur le tracé des plans de ville. Il travaillera en étroite collaboration avec Pierre Remaury, qui remplacera Louis Bonnier en 1938. Georges Sébille, alors membre de la Commission Supérieure d’Aménagement de la Région Parisienne, sera pressenti comme professeur suppléant et se joindra à eux à la rentrée 1935. Nul doute qu’il ne représente le courant de pensée inauguré par Hubert Lyautey et dont il sera l’urbaniste le plus représentatif. Il n’eut cependant de cesse, malgré son attachement manifeste à une adaptation de la production architecturale aux matériaux et aux ambiances locales propres au Maroc, de prôner des règles de composition qu’il concevait volontiers comme universelles et fonctionnelles, sans toutefois tomber dans un fonctionnalisme facile qui lui eût fait oublier les réalités géographiques et sociales de terrains exotiques. Mais, pas plus au Maroc qu’à Alger ou à Istanbul, il n’a développé d’études particulières de type ethnographique ou sociologique. Jean Raymond, ingénieur civil et premier étudiant à faire une thèse à l’IUUP sur le Maroc — dirigée par Jacques Gréber et présentée le 27 juin 1931 devant un jury composé de Louis Bonnier, William Oualid, Marcel Poëte, Henri Prost et François Sentenac —, conçoit bien de ménager une place aux douars de départ, mais s’intéresse quasi exclusivement à des urbanisations nouvelles et modernes, c’est-à-dire sans un cachet particulier qu’elles emprunteraient au pays de réalisation.
À vrai dire, les deux seuls professeurs de l’IUUP à avoir approfondi les rapports entre espace et société à propos de l’Algérie sont René Maunier et Gaston Bardet.
Yves-Maxime Danan, juriste originaire d’Alger, Pierre Di Méglio, né à Philipeville et moi-même, originaire d’Oran, seront pratiquement les seuls enseignants en poste jusqu’à une date récente — relais pris par Claude Chaline et Jocelyne Dubois-Maury —, à s’intéresser à ces questions au point d’avoir publié sur ces sujets. Danan avait fait sa thèse sur Alger pendant la Seconde Guerre mondiale et en parlait volontiers aux étudiants dans ses cours de droit à l’IUP dans les années 1980. Pour ma part, il ne m’est arrivé de parler de l’habitat et de la politique urbaine en Algérie qu’après avoir engagé des actions de coopération avec l’IAUC (Institut d’Architecture et d’Urbanisme de Constantine) au titre de l’IUP à partir de la rentrée 1981. Paradoxalement sans doute, je n’avais pas dit un mot de ce pays dans les enseignements dispensés dans les années 1970. Mais, pour avoir osé parfois jeter un coup d’œil sur les notes prises dans notre cours par les étudiants, j’ai parfaitement conscience du hiatus qui peut exister entre l’intitulé d’un cours, ce que le professeur essaye de transmettre comme information et ce que les étudiants comprennent de ce qu’on leur raconte. Même les polycopiés de cours ne donnent qu’une image déformée de ce qui se transmet. Reste que l’affichage des thèmes traités donne une idée des messages délivrés et que nous n’avons jamais affiché à l’IUP de contenus de cours ayant trait à l’urbanisation de ce côté-là de la Méditerranée. J’imagine sans peine qu’au cycle d’urbanisme de Vincennes à partir de 1968, comme à l’IFU (Institut Français d’Urbanisme) par la suite, seuls Anatole Kopp, Michel Marié ou même Pierre Merlin, qui avait mis à profit son service militaire pour se pencher sur la question des pêcheurs, ont dû faire part dans leurs propos de leurs expériences dans ce pays. Ils n’en ont toutefois jamais fait un objet d’enseignement en soi, comme ce fut sans doute le cas pour des géographes comme Jean Dresch à La Sorbonne, depuis longtemps, ou Marc Côte, à Aix-en-Provence, bien plus tard.
René Maunier, brillant juriste, sociologue et ethnologue, qui avait été l’élève de Marcel Mauss, se distinguera très tôt par une thèse soutenue en 1909 et publiée sous le titre L’origine et la fonction économique des villes, essai de morphologie sociale. Il y fait montre d’une scolastique peu commune dans l’analyse de la diversification des quartiers et des types de villes en relation avec les diverses branches d’activités industrielles et leurs affinités aussi bien productives que dans le caractère psychosociologique des groupes sociaux de travailleurs ou de promoteurs des innovations technologiques. La thèse d’ethnologie qu’il soutiendra en 1926 (La construction collective de la maison en Kabylie. Étude sur la coopération économique chez les Berbères du Djurjura) inaugurera une longue carrière de sociologue spécialiste du « contact des races » dans le contexte colonial, et le conduira, alors qu’il sera largement reconnu comme un véritable spécialiste de sociologie nord-africaine, à faire un bref passage comme professeur à l’IUUP de 1943 à 1945. Dans une vision assez largement biologisante d’un espace à la fois urbain et social qui le rapproche de Max Sorre, il considèrera que la morphologie constitue une des deux branches de la sociologie, celle qui concerne les organes, l’autre, la physiologie sociale, s’intéressant plutôt aux fonctions. C’est à ce titre qu’il orientera sa réflexion, ses travaux et ses enseignements à l’École coloniale non seulement sur les rapports entre coutumes, modes de vie et espaces des populations tant européennes qu’indigènes, mais aussi sur les cadres juridiques et réglementaires de cohabitation de groupes sociaux dont il entendait restituer toute l’originalité dans leur façon de faire œuvre commune dans la construction des rapports sociaux. Dans le polycopié du cours qu’il dispensera pendant la Seconde Guerre mondiale à l’IUUP9, poussée démographique, croissance urbaine, mélanges ou ségrégation des populations, salubrité, politique du logement et planification à propos de l’Afrique du Nord sont des thèmes qui n’occuperont qu’une place minime, dans une séance spécifique de cours (le n° 12 de deuxième année). La politique marocaine de Lyautey occupera une place majeure, et il consacrera tout de même quelques lignes à la situation d’Alger : « Mais tout d’abord en Algérie depuis longtemps la question de l’urbanisme s’est posée et en particulier pour la ville d’Alger. […] Et vous vous rendrez mieux compte peut-être de la gravité de ce problème si vous lisiez la thèse tout à fait remarquable de Monsieur Lespès, professeur au lycée d’Alger, intitulée “Alger, études de géographie urbaine”. La vieille ville des deys, qui ne comptait en 1830 pas plus de 30 000 habitants, comptait récemment le quart de sa population d’Européens : population pressée, serrée au moins pour une cité exotique, puisqu’elle représentait environ 2 500 habitants à l’hectare, c’est-à-dire 25 000 habitants au km2, ce qui n’est pas très loin de la densité de la population de l’agglomération parisienne ». Pour la première fois sans doute, l’attention est attirée sur le rôle pionnier de l’Algérie dans l’apprentissage de l’urbanisme et des études urbaines en France, voire même comme terrain d’essai, particularité soulignée un peu tardivement mais sûrement. Comme nous le verrons en considérant les thèses soutenues, Jean Royer, pourtant directement impliqué dans l’organisation de l’Exposition coloniale de 1931, n’interviendra que tardivement à l’IUUP.
Thèses, travaux et diplômés en Urbanisme à l’IUPP
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