source : http://books.openedition.org/enseditions/959

 

Fès, la fabrication d’une ville nouvelle (1912-1956)
JELIDI, Charlotte. Introduction In : Fès, la fabrication d’une ville nouvelle (1912-1956) [en ligne]. Lyon : ENS Éditions, 2012. Disponible sur Internet : . ISBN : 9782847884272. DOI : 10.4000/books.enseditions.967.
 


Présentation

À la croisée de l’histoire et de l’histoire de l’art, cet ouvrage analyse, à travers le cas de Fès, l’ensemble des mécanismes de fabrication d’une ville nouvelle et ceux de son corollaire – la transformation d’une ville ancienne -, sous le Protectorat français au Maroc (1912-1956). Il met ainsi en lumière les distorsions entre l’idéal urbain, théorisé a posteriori par le résident général Louis-Hubert Lyautey et sa kyrielle de collaborateurs, et la réalité finalement sortie de terre. Ce travail, basé sur des sources archivistiques dispersées de part et d’autre de la Méditerranée et dont certaines sont inédites, s’intéresse autant aux doctrines qui sous-tendent les transformations de la ville, aux protagonistes qui participent à ces changements, qu’au contexte dans lequel ils interviennent. L’auteur met ainsi en évidence qu’une ville nouvelle édifiée en contexte colonial est loin d’être la simple matérialisation d’une doctrine politique, ni une ville construite par et pour les Européens. Elle montre qu’au contraire, elle est l’œuvre de tout un système d’acteurs pluriels – administration, colons mais aussi élite locale -, le résultat d’accointances, d’accords, de désaccords et surtout de compromis, autant qu’elle est le fruit des circonstances, de contingences géographiques, politiques, sociales ou encore économiques, et même de hasards.


Introduction

L’établissement du Protectorat français au Maroc (1912-1956) engendre de profonds bouleversements, notamment urbains. Dans le cadre de la mise en valeur du territoire, une dizaine de villes nouvelles sont fondées sous le patronage du premier résident général louis-Hubert Gonzalve Lyautey (1854-1934) : Agadir, Casablanca, Fès, Marrakech, Mazagan (El Jadida), Meknès, Mogador (Essaouira), Ouezzane, Oujda, Port-Lyautey (Kenitra), Rabat, Sefrou, Settat, et Taza, créées non pas ex nihilo mais à côté de cités anciennes, les médinas.

À peine projetés, ces nouveaux noyaux urbains focalisent les intérêts les plus divers, ceux des voyageurs, des hommes d’affaires, des architectes, des urbanistes, comme ceux des critiques d’art. La fascination exercée par leur création produit, et est alimentée en retour, par une abondante littérature publiée au Maroc, en France et à l’étranger. louis-Hubert Lyautey et ses divers collaborateurs, notamment Henri Prost, Édouard Joyant, Albert Laprade, pour ne citer que les plus prolixes, écrivent un grand nombre d’ouvrages, véritables plaidoyers pro domo. Et Lyautey fait directement appel à des littérateurs pour faire connaître et glorifier son entreprise. Ensemble, ils produisent une littérature apologétique, destinée à faire montre de l’excellence du modèle urbain français imposé au Maroc et de la réussite de son application. Le congrès international de l’urbanisme aux colonies et dans les pays de latitude intertropicale, qui se tient dans le cadre de l’exposition coloniale de Paris en 1931, constitue une des pierres angulaires de cette entreprise ; dans son sillage est publiée une myriade d’articles et autres écrits sur la planification des villes nouvelles. il favorise la diffusion du bilan positif que les principaux théoriciens de la fabrication des cités nouvelles y dressent de leur action, gommant la complexité du processus, n’évoquant que succinctement les difficultés liées à la mise en œuvre des doctrines et de la législation urbaines et architecturales, et valorisant certaines personnalités comme Louis-Hubert Lyautey et Henri Prost, surnommé le « Phidias de ce Périclès ». Ces publications rivalisant de superlatifs pour caractériser la croissance urbaine ont contribué à faire de ces villes nouvelles un paradigme de la modernité coloniale. Elles en ont fait des objets d’exception. L’intérêt qu’elles ont suscité perdure encore aujourd’hui, quoique dans un contexte et avec une intention fort différents. Mais l’abondance de la littérature publiciste du Protectorat et sa résonance par-delà les frontières françaises, conjuguées à des difficultés d’accès aux sources documentaires, en particulier aux archives administratives du Protectorat, expliquent le centrage des écrits post-coloniaux sur l’étude de l’élaboration d’un modèle urbain et la production d’outils réglementaires coercitifs sous la férule de Lyautey.

Le présent travail, résolument inscrit dans le champ disciplinaire de l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme, a pour but de contribuer à la connaissance que l’on a de ces villes, de la manière dont elles ont été produites, en empruntant le chemin du renouveau historiographique en marche depuis les années 1990. À travers une démarche critique, seront analysés de manière approfondie les différents mécanismes du processus de fabrication d’une ville nouvelle et les distorsions, nombreuses, entre l’idéal urbain colonial – idéal que Lyautey et sa kyrielle de collaborateurs ont construit en théorisant rétrospectivement l’expérience Marocaine – et la réalité d’une ville nouvelle, en l’occurrence celle de Fès.

Introduire ce travail impose une analyse de l’historiographie sur la fabrication de ces villes, processus qui peut aujourd’hui être relu à la lumière des archives, qu’il convient également de présenter.

Lire la suite : Villes marocaines et inflation discursive


Table des matières

Introduction

  1. Villes marocaines et inflation discursive
  2. Naissance d’un objet de recherche : la ville comme miroir des sociétés
  3. Imbrication de l’histoire de l’urbanisme et des sciences politiques : les villes nouvelles considérées comme la matérialisation de la politique impérialiste française
  4. Vers une multiplication des sources et des thématiques de recherche
  5. Quelles archives pour un renouveau de l’historiographie ?

Première partie. Genèse et application des plans d’aménagement

I. L’administration du protectorat et la création de Fès-nouvelle

Lyautey : premier résident général
Une vocation coloniale tardive
Élaboration et cristallisation de la doctrine coloniale lyautéenne
Les services centraux chargés du contrôle de l’urbanisme et de l’architecture
Le service des Plans de villes
Réforme du contrôle de l’aménagement et création du service de l’Urbanisme
Le service des Beaux-Arts, genèse et attributions
Les voix de la population : Fès, un cas particulier ?
Les « événements de Fès », fondateurs d’une organisation administrative exceptionnelle
Le chef des services municipaux : le relais entre services centraux et habitants
Les commissions indigènes laïques : représentation Marocaine ou trompe-l’œil ?
La commission française

II. Principe fondateur de l’urbanisme sous le Protectorat : séparation, ségrégation ou apartheid urbain ?

Une terminologie binaire ambiguë et réductrice
Ville européenne et ville indigène : définition et opposition par la race
Le tournant de 1925 : changement de référent
Le choix du terrain : le principe de la séparation confronté aux contingences locales
Une topographie contraignante
Lien avec les camps militaires : un urbanisme de domination ?
Entre la ville nouvelle et la médina : barrière ou couture ?
Une ville nouvelle cosmopolite
La colonie européenne
Les Marocains en ville nouvelle : législation et réalité

III. La planification urbaine rationnelle confrontée au terrain fassi

Une planification adaptée aux nouveaux moyens de transport
Une ville à échelle de l’automobile
La place du chemin de fer dans l’organisation et le développement de la ville
Un zoning fonctionnel et typologique flexible
Secteurs d’habitations
Secteurs industriels, espoir d’un raccordement à la voie ferrée
Espaces intermédiaires : différenciation ou rapprochement ?
Lieux publics ou à usage du public : la rationalisation au service de la communauté
Installation des services du Protectorat, une quête de monumentalité
Les parcs et jardins et les réserves foncières potentielles : l’utopie confrontée aux intérêts économiques
Établissements des lieux de cultes : contrôle et aides de l’État

IV. Vers la valorisation des terrains

Constitution du domaine municipal
Propriété foncière et modalités d’attribution des terrains
Types d’acquisition : une multitude de possibilités
Remise en question des procédures d’attribution du titre de propriété
Les travaux de voirie confrontés aux finances municipales
Les lotissements d’initiative privée : projet d’embellissement urbain
Lotissement du boulevard du IVe-Tirailleurs
Lotissement des frères Sebti

Deuxième partie. Élaboration du paysage architectural

V. Architectes de Fès-nouvelle : pluralité des maîtres d’œuvre

Propriétaires : des compétences mises en question
Professionnels du bâtiment
Autorisations accordées à des propriétaires dénués d’aptitudes particulières
Entrepreneurs : une profession controversée
Architectes : la professionnalisation d’une activité
Les « usurpateurs » de titre et de l’impuissance de l’administration
Architectes du Protectorat
Agences d’architectes
Juillet 1941 : réglementation du titre et de la profession

VI. Quarante années de tendances architecturales

Ordonnances architecturales : le dess(e)in public confronté aux intérêts privés
Le long des « voies administratives »
Service des Beaux-Arts et poids des promoteurs privés
Hybridations architecturales
Quelle architecture néo-mauresque en ville nouvelle ?
Influence néo-classique dans les années 1910-1920
Vers une sobriété ornementale, à partir de 1925

VII. Médina : patrimoine et urbanisme, un mariage de raison

La protection de la médina
Construction d’une image univoque de la médina, spécimen de cité moyenâgeuse
Patrimoine médinal
Classement et restauration des monuments historiques
Opérations d’urbanisme, constructions nouvelles et patrimoine médinal
La protection de la couleur locale et le contrôle de l’esthétique en médina
Les industries médinales confrontées aux normes de salubrité publique
La trame viaire de la ville ancienne
Diversité des solutions dans la crise de l’habitat indigène
Extension de la médina : une remise en cause de sa patrimonialisation
Des logements insalubres isolés aux bidonvilles : un problème inextricable
Villes nouvelles marocaines

Conclusion

Fès-nouvelle, entre planification et hasards conjoncturels

Pour une vision décentralisée, entre planification, intérêts privés et hasards

Archives, apports et limites

De nouvelles pistes de recherche

Annexes

Annexe 1. Le patrimoine fassi. Liste des monuments et sites classés sous le Protectorat

Annexe 2. Déclassements partiels de l’enceinte de Fès

RéférencesSources Imprimés Archives Bibliographie Lexique Index Table des illustrations et tableaux Illustrations Tableaux

 

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