source : http://books.openedition.org/enseditions/959
Présentation
À la croisée de l’histoire et de l’histoire de l’art, cet ouvrage analyse, à travers le cas de Fès, l’ensemble des mécanismes de fabrication d’une ville nouvelle et ceux de son corollaire – la transformation d’une ville ancienne -, sous le Protectorat français au Maroc (1912-1956). Il met ainsi en lumière les distorsions entre l’idéal urbain, théorisé a posteriori par le résident général Louis-Hubert Lyautey et sa kyrielle de collaborateurs, et la réalité finalement sortie de terre. Ce travail, basé sur des sources archivistiques dispersées de part et d’autre de la Méditerranée et dont certaines sont inédites, s’intéresse autant aux doctrines qui sous-tendent les transformations de la ville, aux protagonistes qui participent à ces changements, qu’au contexte dans lequel ils interviennent. L’auteur met ainsi en évidence qu’une ville nouvelle édifiée en contexte colonial est loin d’être la simple matérialisation d’une doctrine politique, ni une ville construite par et pour les Européens. Elle montre qu’au contraire, elle est l’œuvre de tout un système d’acteurs pluriels – administration, colons mais aussi élite locale -, le résultat d’accointances, d’accords, de désaccords et surtout de compromis, autant qu’elle est le fruit des circonstances, de contingences géographiques, politiques, sociales ou encore économiques, et même de hasards.
Introduction
L’établissement du Protectorat français au Maroc (1912-1956) engendre de profonds bouleversements, notamment urbains. Dans le cadre de la mise en valeur du territoire, une dizaine de villes nouvelles sont fondées sous le patronage du premier résident général louis-Hubert Gonzalve Lyautey (1854-1934) : Agadir, Casablanca, Fès, Marrakech, Mazagan (El Jadida), Meknès, Mogador (Essaouira), Ouezzane, Oujda, Port-Lyautey (Kenitra), Rabat, Sefrou, Settat, et Taza, créées non pas ex nihilo mais à côté de cités anciennes, les médinas.
À peine projetés, ces nouveaux noyaux urbains focalisent les intérêts les plus divers, ceux des voyageurs, des hommes d’affaires, des architectes, des urbanistes, comme ceux des critiques d’art. La fascination exercée par leur création produit, et est alimentée en retour, par une abondante littérature publiée au Maroc, en France et à l’étranger. louis-Hubert Lyautey et ses divers collaborateurs, notamment Henri Prost, Édouard Joyant, Albert Laprade, pour ne citer que les plus prolixes, écrivent un grand nombre d’ouvrages, véritables plaidoyers pro domo. Et Lyautey fait directement appel à des littérateurs pour faire connaître et glorifier son entreprise. Ensemble, ils produisent une littérature apologétique, destinée à faire montre de l’excellence du modèle urbain français imposé au Maroc et de la réussite de son application. Le congrès international de l’urbanisme aux colonies et dans les pays de latitude intertropicale, qui se tient dans le cadre de l’exposition coloniale de Paris en 1931, constitue une des pierres angulaires de cette entreprise ; dans son sillage est publiée une myriade d’articles et autres écrits sur la planification des villes nouvelles. il favorise la diffusion du bilan positif que les principaux théoriciens de la fabrication des cités nouvelles y dressent de leur action, gommant la complexité du processus, n’évoquant que succinctement les difficultés liées à la mise en œuvre des doctrines et de la législation urbaines et architecturales, et valorisant certaines personnalités comme Louis-Hubert Lyautey et Henri Prost, surnommé le « Phidias de ce Périclès ». Ces publications rivalisant de superlatifs pour caractériser la croissance urbaine ont contribué à faire de ces villes nouvelles un paradigme de la modernité coloniale. Elles en ont fait des objets d’exception. L’intérêt qu’elles ont suscité perdure encore aujourd’hui, quoique dans un contexte et avec une intention fort différents. Mais l’abondance de la littérature publiciste du Protectorat et sa résonance par-delà les frontières françaises, conjuguées à des difficultés d’accès aux sources documentaires, en particulier aux archives administratives du Protectorat, expliquent le centrage des écrits post-coloniaux sur l’étude de l’élaboration d’un modèle urbain et la production d’outils réglementaires coercitifs sous la férule de Lyautey.
Le présent travail, résolument inscrit dans le champ disciplinaire de l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme, a pour but de contribuer à la connaissance que l’on a de ces villes, de la manière dont elles ont été produites, en empruntant le chemin du renouveau historiographique en marche depuis les années 1990. À travers une démarche critique, seront analysés de manière approfondie les différents mécanismes du processus de fabrication d’une ville nouvelle et les distorsions, nombreuses, entre l’idéal urbain colonial – idéal que Lyautey et sa kyrielle de collaborateurs ont construit en théorisant rétrospectivement l’expérience Marocaine – et la réalité d’une ville nouvelle, en l’occurrence celle de Fès.
Introduire ce travail impose une analyse de l’historiographie sur la fabrication de ces villes, processus qui peut aujourd’hui être relu à la lumière des archives, qu’il convient également de présenter.
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Table des matières
Introduction
- Villes marocaines et inflation discursive
- Naissance d’un objet de recherche : la ville comme miroir des sociétés
- Imbrication de l’histoire de l’urbanisme et des sciences politiques : les villes nouvelles considérées comme la matérialisation de la politique impérialiste française
- Vers une multiplication des sources et des thématiques de recherche
- Quelles archives pour un renouveau de l’historiographie ?
Première partie. Genèse et application des plans d’aménagement
I. L’administration du protectorat et la création de Fès-nouvelle
II. Principe fondateur de l’urbanisme sous le Protectorat : séparation, ségrégation ou apartheid urbain ?
III. La planification urbaine rationnelle confrontée au terrain fassi
IV. Vers la valorisation des terrains
Deuxième partie. Élaboration du paysage architectural
V. Architectes de Fès-nouvelle : pluralité des maîtres d’œuvre
VI. Quarante années de tendances architecturales
VII. Médina : patrimoine et urbanisme, un mariage de raison
Conclusion
Fès-nouvelle, entre planification et hasards conjoncturels
Pour une vision décentralisée, entre planification, intérêts privés et hasards
Archives, apports et limites
De nouvelles pistes de recherche
Annexes
Annexe 1. Le patrimoine fassi. Liste des monuments et sites classés sous le Protectorat
Annexe 2. Déclassements partiels de l’enceinte de Fès
RéférencesSources Imprimés Archives Bibliographie Lexique Index Table des illustrations et tableaux Illustrations Tableaux