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Fezi Bodgan Andrei. Bucarest, le « petit Paris des Balkans ». L’architecte roumain Duiliu Marcu, diplômé de l’École des beaux-arts. In: Livraisons d’histoire de l’architecture, n°8, 2e semestre 2004. pp. 41-51.

www.persee.fr/doc/lha_1627-4970_2004_num_8_1_979

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Plan

Duiliu Marcu (1885-1966) et l’«architecture d’État»
Le palais du ministère des Affaires étrangères (l’actuel palais du Gouvernement), 1937
Le palais de la direction générale autonome des chemins de fer (l’actuel palais du ministère des Transports, du Tourisme et des Travaux publics), 1939
L’administration des monopoles de l’État (l’actuel ministère des Industries), 1936-1941


RÉSUMÉ

II y a plus d’un siècle, Bucarest était surnommé « le petit Paris des Balkans ». L’administration, la législation urbaine et l’enseignement s’inspiraient du modèle français. La plupart des architectes roumains firent leurs études à Paris et un nombre important de bâtiments fut construit par des architectes français. L’Entre-deux-guerres représente pour la Roumanie une période de floraison exceptionnelle, quand la capitale du pays se lance dans une campagne de construction sans précédent. Pendant cette période, l’architecte le plus représentatif de « l’architecture d’Etat » roumaine est Duiliu Marcu (1885-1966). Après des études à l’École des beaux-arts de Paris, il est diplômé par le gouvernement français en 1913. À la fois architecte, urbaniste et professeur, il est officier de la Légion d’honneur et membre de l’Académie roumaine. Il est l’architecte qui construit, entre 1936 et 1941, le plus grand nombre de bâtiments administratifs à Bucarest : le palais du ministère des Affaires étrangères, le palais de la direction générale autonome des chemins de fer et les bureaux de l’administration des monopoles d’État. Les ministères construits par Duiliu Marcu témoignent d’une approche globale architecturale et urbaine, d’une recherche des solutions techniques les plus avancées et d’un vocabulaire architectural moderne. Son modernisme est cependant tempéré par une préférence pour l’élégance face aux expérimentations esthétiques. Il aspirait à une vocation internationale, destinée à l’espace dont il rêvait, une Europe sans frontières.


REPRODUCTION DES PREMIÈRES PAGES

Bucarest vivait il y a un siècle au rythme de Paris. Lors de la Révolution de 1848, la ville descendit dans la rue pour la révolution; en 1870, elle manifesta pour la France vaincue et en 1916 elle combattit aux côtés de sa « sœur latine ». Elle lui emprunta sa législation, ses techniques et jusqu’à ses architectes. Ce rapport avec son modèle lui vaudra, au début du XXe siècle, le surnom de « petit Paris des Balkans ». Le rôle de la France fut décisif lors de l’Union de 1859 qui donna naissance aux « Principautés Unies de la Valachie et de la Moldavie », appelées, après 1862, la Roumanie. La Grande Union de 1918 réunit enfin l’ensemble des territoires, habités majoritairement par les Roumains. En plus d’être politique, l’influence française en Roumanie fut de tout temps culturelle. La conscience d’être une sœur de la France et d’appartenir à un espace symbolique latin est vive au XIXe siècle. La plupart des personnalités roumaines de la politique, du droit, des arts et des sciences, au XIXe et au début du XXe siècle, ont reçu leur éducation en France. Ils suivent des cours à l’université, obtiennent parfois plusieurs doctorats, fréquentent le milieu culturel parisien de l’époque, s’inspirent des discours d’Edgar Quinet ou de Jules Michelet, amis déclarés de la Roumanie.

Cette influence imprégna profondément la classe politique roumaine. Entre 1866 et 1916, 101 ministres roumains sur 141 ont fait des études en France ou en langue française. Les futurs princes Gheorghe Bibescu et Barbu Çtirbei reviennent de France en 1824, après des études à Paris. Plus tard, le premier prince des Principautés Unies, Alexandru loan Cuza, ou les maires de Bucarest, Emanoil Protopopescu-Pache et Nicolae Filipescu, suivent la même filière française. L’influence linguistique, résultat de l’origine latine commune aux deux nations, fut tout autant importante. Le français est couramment parlé au XIXe siècle par l’aristocratie et la bourgeoisie roumaines. La terminologie moderne dans les domaines législatif, administratif, littéraire ou architectural dérive essentiellement du français. Une série entière de néologismes latins entre ainsi dans la langue à travers le français. L’ampleur et la persistance de l’influence française en Roumanie feront dire à l’historien roumain Neagu Djuvara que « nulle part l’influence française n’a été en Europe aussi profonde et durable qu’aux pays roumains. […] le lien des Roumains avec la France a été un cas passionnel ».

Dans le domaine architectural, les échanges avec la France sont toujours importants au XIXe siècle. La plupart des architectes roumains étudient à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, comme Ion Mincu, I. D. Berindei, Alexandru Sâvulescu ou encore Dimitrie Maimarolu.

En outre, un nombre important de bâtiments représentatifs sont construits à Bucarest par des architectes français : le palais de la Banque nationale (1883-1885) par Cassien Bernard et Albert Galleron, l’Athénée roumain (1886-1888) par Albert Galleron, le ministère de l’Agriculture (1896) et la Faculté de médecine (1902) par Louis Blanc ; Paul Gottereau se trouve chargé des Fondations royales Carol Ier (1891-1895), du palais de la Caisse des dépôts et consignations (1896-1900) et de l’extension du palais de Cotroceni ; enfin, Albert Ballu réalise le palais de Justice. Parmi les premiers architectes en chef de la ville se trouvent deux Français, Xavier Villacrosse et Michel Sanejouand.

L’administration et la législation urbaines mises en place s’inspirent en grande partie du modèle français, de même que l’enseignement et les organisations professionnelles. Cette série de transformations permet, dès la seconde moitié du XIXe siècle, de réformer l’urbanisme, en adoptant notamment un système de percées de type haussmannien. Le modèle français ne mène pourtant pas à la copie de l’image parisienne mais sert plutôt d’instrument dans la résolution des problèmes spécifiques à Bucarest. Dès le début du XXe siècle, Bucarest s’émancipe du modèle français pour entrer en synchronie ou même devancer la pratique urbaine européenne.


Duiliu Marcu (1885-1966) et l’«architecture d’État»

L’Entre-deux-guerres représente pour la Roumanie une période de floraison culturelle et économique exceptionnelle. La capitale roumaine se lance dans une campagne de constructions sans précédent, soutenue directement par l’Etat. La ville se dote pendant cette période d’une série de bâtiments représentatifs. Faisant écho à l’évolution politique, marquée par le passage du rêve national, accompli par la Grande Union de 1918, au rêve de puissance européenne, l’architecture d’État abandonne le style national pour se tourner vers un style moderne à vocation internationale.

Durant cette période, l’architecte qui construit la majeure partie des bâtiments officiels roumains, et en particulier des ministères, est Duiliu Marcu (1885-1966). Après des études à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, il obtient le titre d’architecte diplômé par le gouvernement français en 1913. A Bucarest, il est professeur titulaire de la Faculté d’architecture, de l’Ecole polytechnique et de l’Ecole supérieure des sciences d’État. Duiliu Marcu est également président du conseil supérieur d’architecture du ministère des Travaux publics et conseiller technique au ministère des Affaires étrangères. Il est nommé officier de la Légion d’honneur, grand officier de la Couronne de Roumanie et membre de l’Académie roumaine.

L’architecte emploie d’abord un vocabulaire académique français, comme, par exemple, pour la maison du 54, boulevard Lasscâr Catrgiu. Il utilise ensuite le style national roumain dans des bâtiments exécutés ou seulement projetés entre 1920 et 1930. Cette tendance est illustrée par l’hôtel particulier de A. Dobrovici à Bucarest (1922), le théâtre national de Timisoara (1923), l’École polytechnique (1923) et le foyer des étudiants près de l’École polytechnique de Timisoara (1924), le pavillon de la Roumanie à l’exposition internationale de Barcelone (1929) ou le concours pour le palais de l’Académie roumaine (1930). La majeure partie de l’œuvre de Duiliu Marcu est cependant marquée par un style moderne de facture classique. Il écrit lui-même qu’« après l’activité des premières années de sa carrière, pendant lesquelles il avait essayé de s’adapter à la formule de cette architecture nationale, l’auteur décida donc de prendre une part intense dans le mouvement moderniste et international ». Il réalise dans ce style des bâtiments d’habitation, telle la maison Busilâ au 1, allée Modrogan, la maison du Crédit et d’Assurances des magistrats à Bucarest, au 22, boulevard Général Gheorghe Magheru et les immeubles de rapport au 92, et au 17-20, rue Stirbei Vodâ, au 2, rue Dionisie Lupu, au 61-63, Calea Victoriei. Il construit aussi la bibliothèque de l’Académie roumaine sur la Calea Victoriei (1936-1938), la nouvelle École supérieure de guerre (1939), les gares royales de Bucarest et de Sinaia (1936), un groupe édilitaire à Buzâu avec un marché et des halles, des instituts de recherches scientifiques près de Bucarest et à Cluj.

Pendant l’Entre-deux-guerres, on peut considérer Duiliu Marcu comme l’architecte le plus représentatif de « l’architecture d’État » roumaine. A ce titre, de nombreux projets hautement symboliques lui sont confiés. C’est ainsi lui qui remporte le concours pour le pavillon de la Roumanie et le restaurant roumain à l’occasion de l’exposition universelle de Paris de 1937. L’enjeu est de taille, car c’est à la fois la première exposition où la Roumanie est complètement délivrée de son « complexe d’européanisation » et la dernière apparition roumaine sur la scène internationale avant l’arrivée du communisme soviétique. À cette occasion, la Roumanie affiche des chiffres économiques enviables et occupe le onzième rang mondial. La presse française qualifia alors les Roumains de « plus parisien des peuples du monde ». L’exposition mène Duiliu Marcu à une approche stylistique complexe qui, selon l’auteur, associe « deux idéaux apparemment divergents, mais qui peuvent en réalité se rapprocher, s’harmoniser et même se confondre : l’idéal roumain de cadre national et l’idéal international de cadre européen ». Le pavillon Roumain se compose d’une façade principale d’un classicisme dépouillé avec un arc de triomphe tout en hauteur, de façades latérales dotées d’arcs au rez-de-chaussée et d’un jardin dans un style national roumain avec des arcades soutenues par des colonnettes en bois. Quant au restaurant, les lignes horizontales des terrasses et de l’attique lui confèrent un aspect moderne.

En outre, pendant ces années, Duiliu Marcu est l’auteur du plus grand nombre de bâtiments administratifs à Bucarest : le palais du ministère des Affaires étrangères, le palais de la direction générale autonome des chemins de fer et les bureaux de l’administration des Monopoles d’État.


Le palais du ministère des Affaires étrangères (l’actuel palais du Gouvernement), 1937

Le bâtiment se trouve sur un carrefour historique de Bucarest, la place Victoriei [de la Victoire], à l’emplacement d’une ancienne barrière de la ville.

[…]

 

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