via persee
Noelle Louise. Architecture et architectes au Mexique au XXe siècle. In: Villes en parallèle, n°45-46, juin 2012. Paris – Mexico en reflet. pp. 261-263.
www.persee.fr/doc/vilpa_0242-2794_2012_num_45_1_1625
TEXTE INTÉGRAL
Louise NOELLE, Institut de Recherches Esthétiques, UNAM
■ Comme pour le reste des anciennes colonies espagnoles, mais avec une ampleur sans égal, le XIXème siècle fut pour le Mexique un moment de grande influence française, depuis la création de L’Academia de San Carlos -première école des beaux-arts des Amériques -à la fin du XVIIIe siècle jusqu’à la présence de nombreux artistes, ingénieurs et architectes français ou d’origine française vers la fin du siècle.
Cette longue influence connut, en 1862, les troubles de la guerre, quand, à la suite de la suspension de paiement de la dette internationale de la part du gouvernement mexicain, Napoléon III décida l’invasion du Mexique et tenta d’établir un régime impérial en faveur de Maximilien de Habsbourg. Cette tentative échoua grâce à la résistance des forces nationalistes locales conduites par Benito Juarez.
Abandonné par la France en 1867, Maximilien (pourtant un libéral, c’est-à-dire un partisan des idées progressistes de l’époque) fut pris et fusillé. On ne peut pas ignorer la profonde influence que cette aventure eut sur la vie mexicaine et même sur l’architecture et l’empreinte de la ville. En même temps, comme dans d’autres cas semblables dans l’histoire américaine, nombre de soldats et d’officiers de l’armée étrangère choisirent de rester au Mexique.
Il faut remarquer qu’un des soldats mexicains les plus distingués dans la guerre franco-mexicaine, le futur général Porfirio Diaz, à la tête du gouvernement mexicain à partir de 1876 jusqu’à 1911 -longue et féconde période connue comme «paix porfiriste » -mena une politique de relations étroites, économiques et culturelles, avec la France qui eut, entre autres conséquences, la signature d’un traité de «protection réciproque de la propriété industrielle» (signé en 1899), en reconnaissance d’un échange déjà très fort. Voilà très succinctement signalées les conditions générales d’une relation encore féconde entre les deux pays.
Dès la fin du XIXe siècle, on peut noter la remarquable influence des textes théoriques et des systèmes d’enseignement de l’École des Beaux-arts : Léonce Reynaud et son Traité d’architecture, Eugène Emanuel Viollet-le-Duc et ses Entretiens sur l’architecture et Julien Guadet et ses Éléments et théorie de l’architecture, théoricien de très grande influence au Mexique. D’ailleurs, les architectes mexicains suivaient de près l’œuvre et les projets de visionnaires comme Etienne Louis Boullée, Charles Garnier, Henri Labrouste -sans oublier les exploits de Gustave Eiffel.
Au commencement du nouveau siècle, de nombreux architectes arrivèrent au Mexique. Certains invités à travailler dans des projets particuliers, d’autres simplement prêts à s’installer et ouvrir des agences professionnelles -tant dans la capitale qu’en province. C’est le cas d’Ernest Brunei, auteur du Marché Hidalgo à Guanajuato, ou bien de Henri E.M. Guindon et Arnold Lucien Nilus, architectes très prolifiques à San Luis Potosi entre 1892 et 1910, ou bien le cas des anciens professeurs de l’Academia de San Carlos, comme Paul Dubois et Maxime Roissin. Dans le domaine de l’architecture industrielle, c’était chose courante que l’importation de structures métalliques, comme dans le cas de la Compagnie Industrielle de Orizaba S.A. (CIDOSA), pour l’usine de Rio Blanco, propriété d’industriels français. Enfin, entre autres exemples, il faut signaler notamment celui de Émile Bernard (1844-1929), auteur du projet du Palais Législatif -inachevé, interrompu par la Révolution -dont en 1933 l’architecte Obregon Santacilia profitera pour construire le Monument à la Révolution.
Après la révolution mexicaine de 1910, il y eut peu d’architectes français au Mexique, mais on peut signaler le cas de Jacques Lambert, engagé ou invité par le ministre de l’Économie, Alberto J. Pani, pour la réalisation de travaux de planification urbaine pour la Ville de Mexico, et celui de l’architecte Vladimir Kaspé, Français d’origine russe qui devait développer une œuvre de grande qualité au Mexique -parallèlement à son travail d’enseignant.
D’autre part, à l’époque, plusieurs architectes mexicains formés en France dans l’École des Beaux-Arts -tels que Antonio Rivas Mercado à la fin du XIXe siècle ou Mario Pani au commencement du XXème siècle -, sans oublier Manuel Amabilis, formé à l’École Spéciale d’Architecture, travaillèrent avec succès au Mexique, ainsi que nombre d’autres collègues formés au Mexique et approfondissant leur formation en France.
Dans l’architecture mexicaine du XXe siècle, on aperçoit l’influence des Beaux-arts, dans des bâtiments comme le Palais des Beaux-Arts (1934), mais aussi celle du mouvement moderne, reçue à travers l’exemple et les œuvres de Le Corbusier, comme dans le plan de la Cité Universitaire de l’Université Nationale (1948), déclaré récemment Patrimoine Mondial de l’Humanité, avec notamment le plan général de Mario Pani et Enrique del Moral.
Plus proches dans le temps, les exemples se multiplient. Un cas à signaler est le projet de l’ambassade de France (1995), de l’architecte français Bernard Kohn, avec Bruno Mougel et Jean-Pierre Vaysse. En 2002, Paul Andreu, avec Sara Topelson et José Grinberg, gagna le concours pour la Maison de France au Mexique -projet non réalisé jusqu’à présent.
Il est évident que la démarche historique d’une société laisse sa trace dans l’architecture et l’espace bâti. Dans le cas du Mexique en rapport avec la France, cette marque et cette trace se prolongent depuis la naissance de la nation moderne jusqu’à nos jours.