LES NATIONS AMIES
Chili
M. LE PROFESSEUR LAPICQUE AU CHILI
Chaque année, un professeur des Universités françaises va faire au Chili trois mois de cours. Le docteur Lapicque, professeur à la Faculté des Sciences et au Muséum, fut chargé d’enseigner La Physiologie et La Biologie Expérimentales. Il a bien voulu nous accorder un entretien et commenter son voyage :
L’Influence Française
dans le Domaine Scientifique
LE VISAGE du docteur Lapicque s’éclaire, quand on lui parle du Chili.
— J’ai compris là-bas, nous dit-il, que la fraternité latine n’est pas une vaine formule. Car comment expliquerait-on que, dans un pays très lointain dont j’ignore la langue, j’aie été plus à l’aise que dans les pays saxons que je connais pourtant depuis beaucoup plus longtemps? Je me suis trouvé au Chili au milieu de véritables amis. J’ai eu la joie d’y rencontrer une élite non seulement cultivée, mais raffinée, qui se fait gloire d’affinités françaises, et pour laquelle aimer la France est le signe distinctif d’une aristocratie de l’esprit. Au Chili, tout le monde parle français, tout le monde aime la France…
— Tout ce qui est art, littérature, élégances, la plupart des études scientifiques, la plupart des tendances morales, la constitution même du gouvernement, subissent fortement au Chili l’influence française. Une branche du savoir humain était possession allemande : celle de la Physiologie et de la Biologie Expérimentales dont j’avais mission d’entretenir pendant trois mois les étudiants chiliens, en des cours privés, et le public, en général, en douze conférences de vulgarisation. De la meilleure foi du monde, des professeurs allemands avaient inculqué au Chili cette conviction : « La physiologie, la biologie, sont des sciences allemandes. » Et Cuvier? Et Lavoisier? Pasteur? Curie? Il est facile de convaincre un auditoire intelligent, quand on a de semblables preuves à l’appui… Fort de ces grands noms et des grandes découvertes que le monde doit aux travaux constants des physiologues et biologues français, j’ai fait la pacifique conquête de l’opinion chilienne. J’en suis heureux, d’autant plus que j’avais parmi mes auditeurs des esprits de tout premier ordre. J’ose formuler un voeu : il est à souhaiter que les physiologues chiliens appliquent leurs remarquables facultés à des recherches personnelles qui viendraient enrichir le domaine des grandes découvertes. Jusqu’à présent, quoique dotés de toutes les valeurs intellectuelles et des moyens matériels nécessaires, — j’ai trouvé au Chili des laboratoires parfaitement organisés, — les savants chiliens ne se sont pas attachés à faire des recherches. Cela, pour cette raison : peu payés, les professeurs de science sont astreints à consacrer une grosse partie de leur temps à la clientèle. Il serait à désirer que leur gouvernement les mît, par une plus forte subvention, à l’abri de la lutte pour la vie, ce qui leur permettrait de se consacrer aux travaux scientifiques pour lesquels ils sont remarquablement doués.
— Le premier résultat de celte série de cours fut la décision que prirent de jeunes docteurs chiliens de venir en France perfectionner leurs études de physiologie, au lieu de se diriger vers l’ Allemagne, comme ils en avaient l’intention. C’est ainsi que j’ai le plaisir d’avoir dans mon Laboratoire le docteur Puelma, jeune savant chilien qui est appelé à tenir au Chili un rôle prépondérant dans le domaine scientifique.
— Il est à constater que la médecine générale est, au Chili, soumise à l’influence française. Les excellents manuels dont se servent les étudiants sont en français, ou traduits du français en espagnol.
M. le professeur Lapicque fait de grands éloges de la Faculté de Médecine de Santiago et de l’enseignement qui y est donné. Il cite les noms du docteur Cadix, directeur de l’Institut d’Hygiène, et, parmi les Français, des docteurs Petit et Croizet. Il nomme également M. Diaz Ossa, chimiste distingué, ancien élève des Universités françaises : M. Beauselin, jeune docteur es sciences, préparateur à la Sorbonne, nommé professeur de chimie à Santiago.
Mme Lapicque a accompagné son mari dans son voyage, elle l’a secondé dans ses travaux de laboratoire. Elle garde le souvenir du parfait accueil qu’elle a reçu de la. société chilienne. Nous sommes heureux de l’entendre parler du Club de Senoras et de sa présidente, dona Delia Matte de Izquierdo.
— Les femmes chiliennes, passionnées d’art et de littérature, ne s’adonnent pas encore aux travaux scientifiques, nous dit Mme Lapicque. J’ai eu le plaisir de leur faire une Conférence sur la contribution que les femmes européennes apportent aux recherches les plus importantes, et je ne désespère pas de voir, un jour, une de ces très gracieuses et charmantes femmes frapper à la porte de la Faculté des Sciences…
Influences françaises : ce sujet nous est cher. Le docteur Lapicque nous parle avec enthousiasme de la Quinta Normal, institution où sont groupées, en un ensemble parfait, les études réparties en France entre l’Institut Agronomique, l’Ecole de Grignon, le Muséum, l’Ecole Vétérinaire, et qui forme des ingénieurs agronomes de tout premier ordre. Cette école a été fondée par deux Français : MM. Besnard et Lefeuvre, et l’esprit français y règne encore sous la direction actuelle du docteur Valenzuela. Dans quel local admirable cela est situé!… Un parc immense…
Nous revoyons le lac qui reflète en toutes saisons des lauriers-roses. Nous revoyons l’étable où l’on boit du lait tiède. Nous revoyons les allées bordées de chênes, le long de prairies infinies. On écrase des glands en marchant. Le regard d’une vache bretonne de rose très pure nous suit gravement. Si je connais la Quinta Normal!… Il me semble… Oui.
MARCELLE AUCLAIR.
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