source : http://www.lhistoire.fr
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Olivier Compagnon dans mensuel 366
daté juillet-août 2011
La francophilie des élites brésiliennes a perduré au-delà de la Grande Guerre.
Rio, mars 1915. Un groupe d’intellectuels parmi les plus en vue de la cidade maravilhosa crée une Ligue brésilienne pour les Alliés afin de fédérer les nombreuses sympathies qui, depuis le déclenchement de la Première Guerre mondiale, se sont manifestées en faveur de l’Entente. Écrivain et diplomate, Graça Aranha déclare dans son discours d’inauguration que, « dès le déchaînement du conflit, nous sommes venus à la France, mus par l’instinct qui nous a montré en cette guerre le renouvellement du combat de la barbarie contre la civilisation » . La formule résume l’emprise de la culture française sur les élites brésiliennes depuis la fin du XVIIIe siècle : en 1816, dom João VI fit appel à une mission française pour diffuser les canons de la modernité artistique dans la nouvelle capitale portugaise ; les romantiques de la revue Nitheroy 1836 vouaient un culte sans borne à Madame de Staël et à Chateaubriand ; en 1889, la République fut proclamée au son de la Marseillaise tandis que l’on frappait le drapeau national de la devise comtienne « Ordre et Progrès » .
Bien connu de l’historiographie, cet « afrancesamento » perdura au-delà de la Grande Guerre : de jeunes enseignants français – dont Braudel et Lévi-Strauss – furent recrutés dans les années 1930 au sein de la récente université de São Paulo ; dans les années 1960, la nouvelle Vague marqua une génération de jeunes cinéastes brésiliens tels que Glauber Rocha ; Foucault et Derrida s’imposèrent comme des références académiques de premier plan dès la fin des années 1970. En 2009, l’année de la France au Brésil fut une nouvelle occasion de célébrer les affinités culturelles entre les deux pays.
On ne saurait toutefois se contenter de cette vision traditionnelle plaçant le Brésil dans la position subalterne de réceptacle des lumières françaises. D’une part, l’indéniable francophilie des élites n’a jamais empêché le rejet des modèles importés : en 1919, l’écrivain Monteiro Lobato souhaitait ainsi que « la France fût engloutie par un raz-de-marée afin de permettre le développement libre et personnel de notre individualité » . Fréquemment, le pays fut aussi associé à des imaginaires négatifs, qu’il s’agisse de ses femmes de petite vertu ou de son penchant à sacrifier des millions de ses enfants lors de guerres inutiles. D’autre part, l’importance des États-Unis dans l’histoire culturelle du Brésil depuis le début du XXe siècle a relégué la France à l’arrière-plan. Enfin, comme le notait l’anthropologue Roger Bastide dès 1955, les idées et les pratiques ne circulèrent jamais exclusivement d’Est en Ouest : « Nos écrivains et nos musiciens vont chercher au Brésil de nouvelles musiques et de nouvelles couleurs. […] Cendrars apprend la violence immobile sur les routes du sertão . Claudel écrit à Rio La Messe là-bas où les tropiques donnent la réplique à Verdun. »
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