Source : Derroteros de la Mar del Sur – n° 13 (2005), pp. 49-54


Miguel Gómez Martínez

Texto de la conferencia presentada por el embajador de Colombia en Francia en la reunión del Centro Franco Iberoamericano de Historia Marítima, del Instituto Católico de París, llevada a cabo el 16 de marzo del 2003.

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TEXTE INTÉGRAL

Colombie: Patrie de Trois Mers. Le titre est tiré d’une célèbre exposition photographique colombienne. Mon pays a la chance de verser sur les deux océans les plus importants, le Pacifique et l’Atlantique. C’est peut être l’une de ses plus grandes forces stratégiques. Mais nous aimons affirmer que nous possédons en outre un troisième océan: notre richesse fluviale. Il est difficile de comprendre notre déroulement historique, économique et social sans tenir compte de cette dimension de mers internes, qui, comme des canaux de communication, unissent et séparent les régions, qui irriguent nos terres, qui détruisent avec leur force, qui donnent la vie et régulent notre croissance. La Colombie est bien donc un pays de trois mers.

C’est un défi que de parler devant des spécialistes de l’importance maritime de la Colombie et de l’influence de la France dans le développement de nos mers. Il existe très peu de travaux et de documentation sur ce sujet.

J’ai cherché pendant des mois, avec les moyens dont je dispose et mes capacités académiques limitées, des informations sur l’évolution de notre politique océanique. Je dois dire que je n’ai pas trouvé grand chose sur les relations maritimes entre la France et la Colombie. Très frustré, j’ai continué à chercher et j’ai enfin trouvé que notre histoire est attachée à des faits qui ont marqué le futur de la Colombie et sur lesquels je voudrais faire aujourd’hui quelques commentaires avant d’entamer une réflexion sur l’absence d’une vraie politique maritime dans mon pays.

Bien sur, j’ai trouvé des études sur la délimitation des zones frontalières de nos mers territoriales. Notre pays possède des frontières maritimes avec neuf nations (Equateur, Panama, Costa Rica, Honduras, Nicaragua, Venezuela, Jamaïque, Haïti et la République Dominicaine) et a signé un nombre égal de traités afin d’affirmer sa souveraineté territoriale. Tout au long du XIX ème mais surtout au XX siècle se développa une gestion diplomatique chargée de préciser les limites de notre pays dans les mers. La détermination des distances dans le globe terrestre a toujours été l’un des thèmes les plus complexes et techniques de la politique frontalière. A mesure que se perfectionnent les instruments d’enregistrement, les mesures sont chaque fois plus précises, sans être jamais exactes. C’est comme si la Terre, en sa grandeur, se refusait d’être limitée par l’homme. La présence de géographes français a été très utile pour préciser les limites respectives. Différentes commissions ont agi en tant qu’expert lors des délimitations maritimes colombiennes.

Sur cet aspect de la délimitation frontalière, la France a aussi eu un rôle primordial. L’un des jalons de notre histoire diplomatique est l’arbitrage Loubet en septembre 1900. Proféré par le président français de l’époque, Emile Loubet, l’arbitrage définit la frontière entre la Colombie et le Costa Rica. Je souhaiterais m’appuyer sur la carte et rappeler qu’à cette époque, le territoire de la Colombie comprenait ce qui est aujourd’hui la République du Panama. L’arbitrage Loubet a été très important car il a fixé les bases de la politique colombienne de délimitation de ses frontières maritimes dans les Caraïbes. En reconnaissant que la Colombie exerçait, depuis 1822, sa souveraineté sur l’archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, et les îlots rocheux de Roncador, Quitasueño et Serranía, l’arbitrage définit ce qui sera la zone d’influence de la Colombie dans cette vaste région océanique. Sans aucun doute, l’arbitrage Loubet a été un fait transcendantal dans l’histoire diplomatique colombienne et constitue le point de départ de la vocation maritime.

Au sein des relations entre la Colombie et la France, le projet du canal interocéanique de Panama revêt une importance capitale. On a beaucoup écrit sur cette œuvre d’ingénierie que tant d’effets produisit en France et en Colombie. Il n’est pas dans mon intention d’entrer dans les détails de cette période passionnante ni de raconter cette merveilleuse aventure que fut la Compagnie interocéanique du Canal de Panama.

Les colombiens, défiant la Doctrine Monroe en vigueur au XIX siècle, d’après laquelle l’Europe ne devait pas s’immiscer dans les affaires américaines, préférèrent confier les travaux à ceux qui avaient creusé avec succès le Canal de Suez. Notre pays choisit le diplomate français Ferdinand de Lesseps pour construire ce projet pharaonique qui changea l’équilibre géo-stratégique du monde.

L’histoire accorde une grande importance aux difficultés que le projet dut surmonter. Face à une nature sauvage, harcelé par les maladies et les difficultés financières, Lesseps ne put pas terminer ce qui devait être son œuvre la plus importante. Mais l’histoire est bien claire, l’erreur principale de Lesseps et de la Colombie fut de nature politique. Ils sous estimèrent l’ambition croissante de la puissance américaine. Lorsque le Président américain, James Monroe affirma en 1823 le principe qui devint doctrine diplomatique selon lequel « L’Amérique est pour les américains », il asseyait les bases de ce qui serait et continue d’être l’un des axes de la politique extérieure des Etats Unis dans le continent américain. A diverses occasions, la Doctrine Monroe a été employée pour invoquer l’isolationnisme des Etats Unis. Plus récemment elle a été utilisée comme soutien théorique afin d’exercer des actions interventionnistes.

La faillite de la Compagnie du Canal de Panama secoua les ciments de la Troisième République Française. Pour la Colombie, le coût fut encore plus élevé. Nous perdîmes la souveraineté d’une partie très significative de notre territoire et le contrôle d’une infrastructure qui marquerait le cours de la navigation maritime mondiale. Ce n’est pas non plus l’objet de cet exposé que de creuser sur les conséquences de la séparation de Panama dans la vie politique colombienne. Il suffit certainement de signaler que la blessure qui en découla fut profonde. Une génération entière de colombiens a subi le poids historique d’avoir permis cette perte de souveraineté. Mon grand père, le Président Laureano Gómez, commença sa carrière publique dans la Chambre de Représentants en exigeant un jugement de responsabilités politiques à ceux qui avaient alors la responsabilité de protéger l’intégrité du territoire national. Toute sa vie publique fut marquée par l’obsession de construire une République forte et vigoureuse qui n’aurait jamais à se confronter à nouveau à la triste humiliation qui fût celle de la perte de Panama et de son Canal interocéanique. Le traumatisme du Canal est un fantôme qui unit le passé de la France et celui de la Colombie. Comme tout fantôme, il réapparaît périodiquement afin d’encaisser la dette non soldée de notre histoire.

Finalement, je voudrais faire ressortir un autre aspect conjoint de la France et la Colombie unies par la mer. La Colombie fut l’une des premières nations a exiger l’extension de la plate-forme continentale de 12 à 200 milles. Avec l’Equateur et le Pérou ils assirent les bases de ce qui devait devenir la norme de la délimitation moderne des frontières maritimes. Dans ce processus, la Colombie a été conseillée par le juriste français Prosper Weil. Le professeur Weil est l’une des gloires du droit international maritime, probablement l’expert le plus prestigieux à niveau mondial dans ce délicat et passionnant domaine. Il est notre spécialiste en la matière et ses conseils et recommandations ont toujours été un acquis important dans la définition de notre politique étrangère. Le professeur Weil est une référence obligée de notre politique maritime. Avec l’analyste politique et historien Daniel Pecaut, il est certainement aujourd’hui le français qui a, par ses travaux et réflexions, le plus d’influence dans la politique colombienne.

*****

Je souhaiterais vous décrire maintenant ce qui a été l’influence maritime dans notre développement. Je dois commencer avec une affirmation grave et pleine de conséquences: malgré l’importance de nos côtes baignées par les deux principaux océans de la planète, la Colombie est un pays qui s’est développé dos à la mer. A la différence d’autres pays, l’axe économique et politique du pays, se trouve à l’intérieur des terres. C’est la raison pour laquelle, la Colombie, avant d’être un pays des Caraïbes ou du Pacifique, est un pays Andin. C’est l’une des particularités de notre histoire et très certainement l’une de ses carences les plus graves. Nous avons ignoré la mer et ce qu’elle représente. Nous ne connaissons pas son potentiel économique ni stratégique, comme si ce n’était qu’un endroit agréable pour se reposer et bronzer.

Nonobstant les 1300 kilomètres de côtes sur le Pacifique et les 1600 sur l’Atlantique, l’histoire de la Colombie s’est développée dans les montagnes et non pas sur les plages.

La Conquête espagnole fut une épopée gigantesque qui consista à remonter les grands fleuves, Magdalena et Cauca, pour arriver aux plaines élevées de l’intérieur où le climat n’est pas tropical et où la nature est moins agressive. Il n’est donc pas étonnant que la capitale du pays soit très près de son centre géographique, à plus de 2600 mètres de hauteur sur la mer et loin, très loin des côtes. Nous n’avons pas depuis 120 ans un seul Président qui soit né sur le littoral colombien. Le centre économique est concentré dans un triangle intérieur de Bogota, Medellin et Cali, les trois principales villes et centres industriels du pays. Le café, qui fut pendant près d’un siècle notre produit drapeau, est récolté dans les montagnes. Le pétrole doit être transporté, à travers un long réseau d’oléoducs, depuis des lointaines régions de l’intérieur jusqu’aux ports pour son embarquement. Les émeraudes, l’autre des symboles nationaux, sont produites à l’intérieur du pays. Même si cela paraît invraisemblable et digne du réalisme magique de García Marquez, le plus important constructeur de bateaux et embarcations de Colombie, se trouve à Medellin qui est appelé en Colombie « Capital de la montagne » et situé a plusieurs centaines de kilomètres de la mer !!! Les bateaux sont donc acheminés par camion jusqu’à la mer.

On pourrait croire que notre pays peut se passer de ses côtes. C’est, sans doute, l’un de ses malheurs et l’une des erreurs les plus coûteux historiquement. Car un pays comme la Colombie ne peut pas vivre ni se développer sans exploiter l’immense richesse de ses côtes et océans. Toutes les études modernes sur la compétitivité démontrent que les activités qui se localisent dans les régions côtières profitent un maximum des économies d’échelle et des avantages logistiques dérivés du commerce en matières premières, biens et services. Un pays comme la Colombie n’exploite pour sa croissance économique que de façon marginale, sa situation géographique enviable.

Sur l’Atlantique nous avons une croissance côtière inégale. Trois villes dominent la vie du littoral. Barranquilla, qui est un port sur le Fleuve Magdalena près de son embouchure, a eu un important développement industriel freiné par des problèmes permanents de tirant d’eau du canal d’accès. Cartagène, vrai bijou architectonique, est, dans le monde entier, le meilleur exemple de ville fortifiée. Construites pour protéger la ville des attaques constants des pirates et des corsaires, les murailles de Cartagène des Indes est l’un des plus beaux sites de l’architecture coloniale espagnole. La ville possède aujourd’hui, en outre, un port efficace et un développement industriel dû à des industries comme le pétrole, la pétrochimie et la métal-mécanique, dont leur compétitivité nécessite une efficacité portuaire. Plus au nord se trouve Santa Marta qui possède d’importantes installations touristiques et, tout près, l’un des plus beaux parques naturels de la Colombie: le Parque Tayrona où se réunissent la mer et un impressionnant nœud montagneux du nom de Sierra Nevada. C’est là que se trouvent les plus hauts sommets de notre pays. Santa Marta est un port spécialisé dans l’exportation du charbon qui vient de l’intérieur des terres. Si nous continuons notre trajet jusqu’à la frontière nord avec le Venezuela, nous trouvons un port exclusivement industriel, Puerto Bolivar, par lequel transite, pour exportation, la plupart du charbon produit par notre pays. Nous sommes actuellement les deuxièmes exportateurs mondiaux de cette matière première, et très certainement nous seront les premiers dans quelques années. Près de la frontière avec le Panama nous avons le Golfe d’Uraba, qui est le principal port pour l’exportation de bananes, dont la Colombie est aussi le 2ème exportateur mondial.

La Côte Pacifique a été la grande oubliée de notre développement. Pendant le XIX siècle, nous regardions l’Europe depuis nos montagnes, et nous recevions toute l’influence française et anglaise qui a marqué profondément notre croissance industrielle et culturelle. Mais vint la décadence des grands empires coloniaux. Avec le changement de pouvoir, nous commençâmes à regarder vers le nord. Il est évident que l’histoire du XX siècle fut marquée par l’influence croissante des Etats Unis dans notre développement. La Colombie ne suivit pas le cours de l’évolution géo-stratégique. A la fin de la Deuxième Guerre Mondiale et à mesure que l’Atlantique cessait d’être le centre du pouvoir économique, la splendeur de l’Extrême Orient se hissait avec ses économies dynamiques et modernes, avec son potentiel démographique et ses immenses nécessités insatisfaites. Au lieu de regarder vers le Pacifique, les colombiens continuaient de regarder le nord et nous avons ainsi perdu l’occasion de développer cette façade ouest de notre pays.

Nous avons deux ports sur le Pacifique: Buenaventura et Tumaco. Le premier fut le plus important jusqu’à il y a peu d’années avant d’être remplacé par l’efficacité de la société portuaire de Cartagène. Le nord de notre côte pacifique est vierge. Sauf la base navale du Pacifique, nous avons un littoral beau et sauvage avec des plages interminables bordées par la forêt vierge. Cette région possède un immense trésor de minéraux tels que l’or et le platine; une réserve hydrique sans pareil dans le monde et une des faunes et flores des plus variées que l’on puisse imaginer. C’est le vrai tropique dans toute sa splendeur. La frontière avec le Panama, connue comme le bouchon du Darien, continue d’être aujourd’hui inexpugnable pour l’homme. Les travaux pour la pénétrer et pour développer des voies de communication ont échoué. A une époque, l’on imagina la possibilité de construire un canal interocéanique qui unirait les fleuves Atrato et San Juan permettant ainsi le transit de bateaux avec un tirant d’eau très supérieur à ceux qui peuvent emprunter le Canal de Panama actuellement.

Malheureusement, les études à ce sujet ne furent jamais terminées et l’œuvre n’est pas à ce jour prévue dans les plans du développement colombien. Finalement, je souhaiterais vous parler de notre troisième océan: notre richesse fluviale. La Colombie possède la troisième richesse hydrographique de la planète. La longitude et le débit de ses fleuves est notable. Trois des dix fleuves les plus importants au point de vue débit au monde, se trouvent en territoire colombien. Il est plus clair chaque jour que l’eau sera, dans les prochaines décennies et siècles à venir, un élément de grande valeur stratégique.

Notre topographie est traversée par trois chaînes montagneuses. Dans leurs vallées il existe des artères fluviales très importantes qui vont du Sud au Nord. De l’ouest à l’est de notre géographie, se trouvent les fleuves San Juan et Atrato entre la Cordillère occidentale et le Pacifique. Le fleuve Cauca coule entre les Cordillères Occidentale et Centrale et le Magdalena, le plus long du pays, entre les Cordillères Centrale et Orientale.

Mais les grands fleuves se trouvent aussi dans les plaines de l’Est. Arauca, Meta et Orinoco sont les plus importants. Plus au sud, vers la zone amazonienne, se trouvent le Caquetá, Putumayo, et naturellement, l’Amazone. Dans ces grandes plaines, les fleuves sont plus larges et pleins de force. Ce sont des vraies autoroutes fluviales. En hiver, ils constituent le seul moyen de communication. En été, ils sont la base de l’irrigation pour l’agriculture et l’élevage. Ces zones ont été pendant des années terrains de colonisation. Lors des dernières décennies, elles sont devenues de vraies ressources de produits agricoles pour la consommation de la population.

Je souhaiterais pouvoir vous décrire la beauté de ces paysages. L’exubérance tropicale les rend magiques. Le soleil et la chaleur sont écrasants. Les bruits sont étonnants et musicaux. Les couleurs sont vives et diverses. La nature nous laisse sans voix. On pourrait croire que Dieu a perdu la raison tellement sa générosité a été grande dans cette région.

Je voulu vous parler aujourd’hui de mon pays, la Colombie, une nation méconnue dont les médias ne rapportent que de mauvaises nouvelles. Je souhaiterais vous dire que, au-delà des titres des journaux où il n’est mention que de violence et d’enlèvements, c’est un pays avec des gens qui travaillent et qui ont de l’esprit. J’ai voulu, avec mes grandes limitations d’expression, vous traduire la richesse de son littoral et de ses montagnes, vous dire combien ses plaines sont vertes, ses vallées profondes et ses rivières puissantes.

Je souhaiterais que la presse parle un jour de mon pays en d’autres termes. Tous les colombiens voudraient pouvoir se rappeler de ces temps difficiles comme des jours anciens et révolus. Nous travaillons avec patriotisme pour faire diminuer la violence et nous ouvrir un espace de paix et prospérité. Je suis sûr que nous réussirons. Nous sommes un pays combatif. Nous avons beaucoup souffert, c’est pour quoi nous connaissons le prix élevé que nous avons et sommes en train de payer pour reprendre notre pays des mains des violents.

Mes derniers mots sont pour vous remercier de votre patience de ce soir. Je vous invite à découvrir mon pays. Le seul risque que vous encourrez c’est celui d’en tomber amoureux.

http://web.archive.org/web/20110702202703/http://derroteros.perucultural.org.pe/nume13.shtml

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