LES FRANÇAIS À ODESSA(Alexandre-Oleksandr Galyas 2012)
LES FRANÇAIS À ODESSA (Alexandre/Oleksandr Galyas 2012). ISBN 978-966-1530-94-1

4° de couverture

Écrit sous la plume d’un journaliste odessite, « Les Français à Odessa » retrace l’impact de la France sur la naissance et le développement de la célèbre cité des bords la mer Noire. Pour la première fois les documents recueillis permettent d’évaluer l’ampleur de l’influence des Français, et notamment du Duc de Richelieu et de son entourage, sur l’économie de la ville, ses finances, sa culture et jusqu’à l’apparition du légendaire « caractère odessite ».

Cet ouvrage est destiné à un large public. ISBN 978-966-1530-94-1

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248 pages, 9Mo

AVANT PROPOS DE S. E. L’AMBASSADEUR DE FRANCE EN UKRAINE,
MONSIEUR ALAIN RÉMY

Chers lecteurs, Chères lectrices,

En cette année du vingtième anniversaire des relations diplomatiques entre la France et l’Ukraine, c’est avec un grand plaisir que je m’adresse aujourd’hui à vous à l’occasion de la publication de l’ouvrage d’Alexandre Galias, « Les Français à Odessa ». Je tiens à saluer ici l’initiative du groupe Crédit Agricole en faveur de la mémoire des relations interculturelles entre la France et l’Ukraine, et le formidable travail de recherche effectué par l’auteur, l’historien et journaliste Alexandre Galias. Je tiens également à saluer le travail de traduction de l’Alliance française d’Odessa, qui depuis près de 20 ans, œuvre pour la diffusion de la langue française et des cultures francophones dans une ville dont la ferveur francophile ne s’est jamais démentie. Odessa entretient, de par son histoire et les nombreux témoignages de son patrimoine, un lien privilégié avec la France. Le Duc de Richelieu, le Comte de Langeron, les architectes, artistes et hommes de sciences qui contribuèrent à l’essor de la Perle de la mer Noire, font aujourd’hui la fierté de tous les Odessites. Ce n’est pas un hasard si, encore aujourd’hui, des artistes contemporains français, attirés par l’aura unique d’Odessa, viennent y puiser leur inspiration.

En ouvrant son empire sur le monde, Catherine II permit à de nombreux français, ainsi qu’à d’autres européens de venir exprimer toute l’étendue de leur talent sur un territoire alors en devenir.  Si nombre d’entre eux firent le choix de s’installer durablement dans la nouvelle Russie lors de la chute de l’Ancien Régime, c’est aussi pour les formidables opportunités qui s’y offraient. L’essor économique que connut Odessa, favorisé par le port franc que souhaitait mettre en place le Duc de Richelieu, lui permit même de devenir avec Saint-Pétersbourg, le symbole d’un empire florissant, tout aussi attentif à son développement économique, qu’à celui de son patrimoine culturel et artistique. L’ouvrage d’Alexandre Galias rend un hommage attentif et passionné à cette part de l’histoire odessite, mais également à son histoire contemporaine. L’année 2012 marquera le 40ème anniversaire du jumelage entre les villes de Marseille et d’Odessa. Le dynamisme de la coopération entretenue entre nos deux villes et l’émulation artistique qu’elles connaissent aujourd’hui grâce à la coopération décentralisée, illustrent plus que jamais la pertinence du dialogue des cultures. L’élection de Marseille au titre de Capitale européenne de la culture en 2013 et les projets qu’elle portera en lien avec Odessa, ne pourront très certainement que confirmer cette formidable volonté. Je souhaite aux lecteurs et lectrices du livre d’Alexandre Galias, une belle aventure au cœur de notre histoire commune. Que les liens historiques, culturels, économiques et d’amitié qui unissent Odessa à la France puissent encore se développer pour les années à venir, tel est le vœu que je formule aujourd’hui.

Alain Rémy Ambassadeur de France en Ukraine


DE L’AUTEUR
A CHAQUE VILLE SES MYSTÈRES…

L’un des plus célèbres romans sur la capitale française s’intitule Les Mystères de  Paris. L’expression les Mystères de Madrid pour sa part, fait désormais partie du langage courant. Odessa n’est pas en reste et possède elle aussi ses nombreuses légendes. La première d’entre elles concerne l’apparition du nom même de la ville et suscite encore aujourd’hui de vives discussions dans la communauté scientifique. Une des versions raconte qu’un sujet de l’impératrice Catherine la Grande proposa d’attribuer à la jeune cité des bords de la mer Noire un nom à consonance française, « assez d’eau » (ASSEDO). Quand un autre sujet remarqua qu’il y avait à cet endroit certes assez d’eau de mer mais pas suffisamment d’eau douce, quelqu’un prononça pour plaisanter ce nom à l’envers, ce qui plut étonnamment à l’impératrice. Cette drôle d’histoire aurait, semble-t-il, donné à la ville son célèbre nom. Il est fort probable que cette version ne soit qu’une anecdote, mais elle permet cependant de rendre compte, bien mieux qu’un document officiel ne saurait le faire, de l’influence légendaire que les Français eurent sur Odessa dès les premières années de son existence, à l’époque où se forgèrent les bases de l’économie, de la culture et du caractère unique de notre Cité. On retrouve l’empreinte française à toutes les étapes du développement de la ville. Les noms des grands sites touristiques en sont une preuve incontestable : les rues centrales de Richelieu et de Langeron, le parc du Duc, la célèbre plage de Langeron, le ravissant boulevard Français, le monument à la mémoire de Richelieu, surnommé « le Duc » par les Odessites, autant de monuments devenus les emblèmes de la ville. De nombreux livres et articles traitent de la présence des Français à Odessa, mais il reste pourtant quelques lacunes à combler. Depuis son apparition, le caractère cosmopolite d’Odessa permit, je le crois, d’accueillir une pléiade d’hommes et de femmes d’exception, parmi lesquels le Duc de Richelieu fait office de figure tutélaire. Il est difficile d’imaginer Odessa sans cette grande personnalité, à la fois dirigeant fantastique, européen raffiné et homme au grand cœur, auquel les Odessites doivent tant.

Voilà la thèse majeure de mon ouvrage. Il appartiendra aux lecteurs de juger si ce dernier est réussi ou non. Pour ma part, je dois avouer que la rencontre, même virtuelle, avec les grandes figures de l’histoire de la ville m’apporta beaucoup de joie. Je remercie infiniment tous ceux qui m’ont aidé dans mes recherches et contribué à la sortie de cette œuvre. Je pense notamment à Olga Botоuchanska, directrice de la Bibliothèque nationale scientifique M. Gorki et chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, Tatiana Stchourova, chef du département des arts de la Bibliothèque M. Gorki, Vera Solodova, directrice du Musée d’histoire d’Odessa, Tatiana Liptuga, directrice du Musée littéraire, Anna Poltoratska et Aliona Iavorska, employées du Musée littéraire, les célèbres journalistes Evgenii Golubovsky, Maria Goudima, Oleg Vladimirsky, les scientifiques de la région et les collectionneurs Anatolii Drozdovsky et Eva Krasnova, la compositrice Carmela Tsepkolenko, le critique de cinéma Ian Usim. Les articles et les ouvrages des historiens et chercheurs O. Tretyak, O. Polevstchikova, R. Olexandrov, G. Zlenko, O. Sourilov, O. Ivanenko ou bien encore ceux édités par le Club International des Odessites représentèrent enfin pour moi de précieuses ressources bibliographiques. Je tiens également à remercier vivement l’Alliance française d’Odessa, son équipe de traducteurs et de correcteurs et ses directeurs successifs, M. Fabien Neyrat et M. Sylvain Bano pour leur soutien dans ce projet et le soin apporté à la mise en œuvre du caractère bilingue de cet ouvrage. Bien entendu, les ouvrages classiques d’auteurs chevronnés tels que A. Skalkovsky, O. Deribas ou D. Atlas constituèrent, en parallèle, d’importantes sources biographiques pour moi. Mes remerciements s’adresse aussi à Antonyna Koutcherenko qui a beaucoup contribué à la concrétisation de cet ouvrage. Mais avant tout, je voudrais remercier la banque Crédit Agricole sans qui ce livre n’aurait jamais pu voir le jour.

Il y a bien encore une dernière personne à laquelle l’auteur souhaiterait exprimer ses plus grands remerciements… Mais qu’elle vous reste inconnue jusqu’à la fin de cet ouvrage, que  vous lirez, je l’espère, avec beaucoup de plaisir…


I ère Partie à la croisée des époques, des temps et des événements
1er chapitre — Un Peu d’histoire

Odessa fête son anniversaire le 2 septembre. Pourtant, le 13 mars est une date tout aussi symbolique pour la ville car c’est ce jour-là qu’en 1805, l’empereur Alexandre Ier signa le décret qui fit du duc de Richelieu, déjà gouverneur d’Odessa, gouverneur de toute la région de la Nouvelle Russie. On demanda alors au Duc de choisir son lieu de résidence. Ce choix fut déterminant car, selon les auteurs de l’ouvrage Odessa 1794–1894, le destin de la  ville à ce moment-là « dépendait des préférences personnelles des dirigeants de la région de la Nouvelle Russie ». De plus, à cette époque, la question de l’emplacement du futur port, censé devenir le principal point de commerce au Sud de l’Empire russe, restait encore incertaine. La décision du duc de Richelieu de choisir Odessa comme lieu de résidence porta très vite ses fruits : cette ville encore méconnue se transforma petit à petit en centre commercial du bassin de la mer Noire et de toute la région de la Nouvelle Russie. Cela permit l’afflux de nouveaux habitants venant s’installer à Odessa avec leur savoir-faire et leurs connaissances. Tout comme Saint-Pétersbourg au Nord, Odessa devint pour l’Empire russe « la fenêtre du Sud en Europe » (ce qui explique pourquoi les deux villes portent le nom de Palmyre du Nord et du Sud).


Marseille de la mer Noire

L’an 1717 est considéré comme le début du rapprochement de l’Empire russe et de la France lorsque Pierre le Grand commença à envoyer les premiers étudiants russes à Paris. L’impératrice Elisabeth Ière de Russie (1741–1761), élève du précepteur français Rambourd, renforça la présence française dans le quotidien des Russes, tandis que Catherine II (1762–1796) puis Alexandre Ier (1801–1825) lui donnèrent une dimension nationale. Sous le règne de la Grande Catherine, l’immigration des Français en Russie, en particulier sur les terres de l’actuelle Ukraine, prit elle aussi rapidement de l’ampleur. De telles circonstances incitèrent de nombreux étrangers à venir découvrir la région méridionale de l’Empire russe. La population active et tout particulièrement les entrepreneurs, qui pour telle ou telle raison n’étaient pas parvenus à se réaliser dans leur pays d’origine, furent les premiers à s’y installer. L’arrivée à Odessa du duc de Richelieu entraîna une vague d’immigration de Français composée majoritairement d’aristocrates et d’illustres personnalités. Ils furent parmi les premiers à fuir leur pays après la Révolution française. La plupart d’entre eux trouvèrent dans l’Empire russe une terre d’asile et colportèrent parallèlement la culture européenne occidentale. Oksana Ivanenko, chercheur spécialiste de la période allant de la fin du XVIIIe siècle au début du XIXe, souligne que l’immigration de l’époque « marqua le début de la présence permanente des Français sur le territoire d’Odessa ainsi que sur toute l’Ukraine ».

Selon l’ethnographe régional Rostislav Alexandrov, « …à Odessa on pouvait trouver une multitude de produits, d’objets d’artisanat français, et beaucoup d’autres choses rappelant la France et sa capitale. Ces dernières ne semblaient dès lors jamais très lointaines ou complètement étrangères… »

Cette référence en dit long sur l’atmosphère qui régnait alors dans la ville. C’est sous le règne de Nicolas Ier qu’apparut le rideau de fer qui allait fermer la route vers la France. A cette époque, les gens se rendaient à Odessa comme on se rendait à Paris, et la ville représentait un îlot de liberté sans précédent dans l’Empire russe. L’historien Anatolii Outkine, dans sa description particulièrement pertinente de l’atmosphère étouffante des années 1830–1840, nota que « l’enjeu principal était d’attirer et de concilier le siècle des Lumières en France avec la rigueur allemande ». Dans de telles conditions, la France devenait un espoir supplémentaire pour les progressistes russes. Un auteur de l’époque écrivit : « Spirituellement, nous vivons en France. Certainement pas dans la France de Louis-Philippe ou Guizot, mais plutôt dans la France de Saint-Simon, Cabet, Fourier, Louis Blanc et surtout, George Sand. De là vient la foi en l’humanité, l’espoir que « le siècle d’or » n’est pas derrière nous, mais bel et bien devant nous ». C’est ainsi que l’épanouissement d’Odessa devint l’un des meilleurs arguments en faveur d’un développement plus occidental.

Il est regrettable que cet argument n’ait pas été davantage pris en considération à l’époque où les autorités russes se faisaient des illusions quant à leur rôle de « gendarmes de l’Europe ». La guerre de Crimée de 1854–55 les ramena brusquement à la réalité.

La défaite de la guerre de Crimée força les autorités russes à prendre en main la réorganisation de la vie économique et sociale. La première conséquence fut l’abolition du droit de servage, que l’on ressentait très peu à Odessa, et qui engendra une croissance économique inattendue.

La croissance continue de la population d’Odessa la classa en 1897 quatrième ville de l’Empire russe avec 404 000 habitants. Mais les exodes ruraux faussèrent les chiffres rendant compte de la part de la population étrangère au sein de la Palmyre du Sud. Ainsi, vers la fin du XIXe siècle, les Français ne représentaient plus que 0,28% de la population (à savoir, 1 100 personnes), formant néanmoins l’élite intellectuelle de la ville. 92,2 % des Français d’Odessa étaient lettrés contre 77,1% des Allemands, 70,1% des Grecs, 62,9% des Polonais et 50,9% des Russes.

Même en petit nombre, les Français surent implanter leur art de vivre dans le quotidien des Odessites. De nombreuses boutiques, bureaux, ou entreprises réputées rappelaient inlassablement la patrie de Richelieu et de Langeron. La culture française y était ainsi largement diffusée.

Cette deuxième étape du « Roman avec l’Europe » se caractérisa par le rapprochement de l’empereur Alexandre III avec la France en tant qu’allié dans le conflit qui l’opposait à l’Allemagne. Ce changement de cap dans la politique extérieure de la Russie fut déterminé non seulement par des facteurs politiques mais également par la situation financière du pays. La Russie, après le refus que lui opposa la banque nationale d’Allemagne pur un aménagement de ses dettes, s’adressa à la France afin de développer ses ressources financières. Dès 1888 cette dernière devint la première source de crédits pour la Russie avec au total 25 milliards de francs, ce qui eut évidemment pour effet de rapprocher les deux pays. C’est ainsi qu’à la veille de la Première Guerre mondiale, les deux pays faisaient front ensemble. Rodion Malinovsky, Odessite, futur maréchal de l’Union Soviétique et ministre de la Défense, combattit même en France dans le corps expéditionnaire de l’armée russe durant quatre ans. De surcroît, notre compatriote est l’un des rares à avoir été récompensé par « La Croix de la Valeur militaire » pour sa participation aux batailles de 1914–1918 et de 1939–1945.


Le temps des troubles

La réalité, cependant, rattrapa très vite même les plus fervents des patriotes. Le régime monarchique n’ayant pu faire face aux défis de l’époque tomba rapidement dans l’oubli. Le régime social-libéral, intitulé non sans raison « gouvernement temporaire », suivit lui aussi le régime monarchique dans sa chute. De la fin du mois d’octobre 1917 jusqu’au début du mois de février 1920 s’étend une période de 1000 jours, plus connue sous le nom de « temps des troubles » dans l’histoire de la ville d’Odessa.

Cette période fut marquée par six étapes, évoluant en fonction des partis politiques qui se trouvaient alors au pouvoir. Le « protectorat » français, surnommé « l’occupation », dura un peu plus de 100 jours, du 18 décembre 1918 au 5 avril 1919. Il nous faut préciser qu’après la fin de la Première Guerre mondiale, le gouvernement français s’intéressait moins à la lutte contre le bolchevisme qu’au remboursement des dettes par la Russie, en raison de son investissement de 25 milliards de francs. Par ailleurs, les soldats et même certains généraux n’avaient aucune envie de sacrifier leurs vies au nom d’idéaux mesquins.

Les armées françaises se retirèrent d’Odessa au début du mois d’avril 1919. Pourtant, pendant encore une année, le pouvoir local alla de mains en mains jusqu’à ce que la guerre civile d’Odessa prenne véritablement fin en février 1920. Le pouvoir soviétique s’y installa alors pour les sept décennies suivantes. Les employés de la filiale municipale de la banque du Crédit Lyonnais furent parmi les derniers étrangers à quitter la ville. Cet évènement marqua la fin du deuxième chapitre du « roman d’Odessa avec l’Europe ».


Un carrefour continental

[…]

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