via “La France est le premier pays à avoir constitutionnalisé le droit d’asile“
Publié le 15/02/2018 à 14h59 – Modifié le 15/02/2018 à 14h45

L’historien Gérard Noiriel, spécialiste de l’immigration et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), interroge l’idée de « la France, terre d’accueil », balayant les oscillations de la politique migratoire française depuis la Révolution.
« La France, terre d’accueil », quand est née cette expression ?
Sous l’Ancien Régime, accueillir faisait partie des prérogatives du pouvoir royal. Les catholiques persécutés en Angleterre venaient se réfugier en France. Le roi entrait en concurrence avec l’Église : les lieux de culte constituaient des espaces sacrés. C’est à la Révolution que le droit d’asile se laïcise. En 1793, la France est le premier pays à intégrer ce principe dans sa Constitution. Même si elle n’a jamais été appliquée, cela laisse des traces : être accueilli quand on est persécuté devient un droit de l’homme. Le national se confond alors à l’universel. Ce nouveau paradigme va nourrir plus tard la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU, en 1948, et la convention de Genève de 1951, relative au statut des réfugiés. Durant la période révolutionnaire, des militants étrangers sont faits citoyens d’honneur de la France. Mais quand la guerre éclate, les mêmes qui ont été accueillis seront guillotinés. Depuis, notre rapport à l’immigration se décline autour d’un double mouvement qui oppose ouverture et fermeture, et une tension entre humanité et nationalité.
Le XIXe siècle a été ponctué par de vraies périodes d’ouverture vis-à-vis des étrangers…
Sous la monarchie de Juillet, la France a accueilli généreusement des Polonais victimes de la répression russe. En 1848, des ouvriers immigrés qui ont participé aux barricades sont naturalisés. Mais la IIe République opère un virage à droite. La IIIe République, elle, avec la loi de 1889, assouplit les règles d’acquisition de la nationalité française. À la fin du XIXe siècle, la notion d’accueil est un élément de clivage entre la droite et la gauche, qui s’exprime notamment au moment de l’affaire Dreyfus. En 1898, la Ligue des droits de l’homme est créée. Avec Victor Hugo, qui anime les comités de défense des réfugiés, la tradition des intellectuels humanistes émerge. On peut également citer Jules Michelet, Anatole France, Charles Péguy. Puis Sartre. Les tribunes actuelles, signées par des écrivains comme le Prix Nobel de littérature Jean-Marie Gustave Le Clézio, semblent vouloir réactiver cette tradition.
Les années 1930 marquent un tournant…
À l’issue de la Première Guerre mondiale, la France fait venir de la main-d’œuvre. Quand la crise économique de 1930 éclate, retournement radical : le renvoi des étrangers sert de variable d’ajustement pour limiter le chômage. La logique d’État est plus forte que les beaux discours. Avec l’accession d’Hitler et de Franco au pouvoir, la France honore sa tradition de pays des droits de l’homme. Avant le retour de la droite avec le régime de Vichy et ses décisions d’enfermement et d’extermination, les milieux des droits de l’homme se mobilisent. Quant à la gauche, lorsqu’elle a réussi à combiner son pôle social et humanitaire, cela lui a toujours servi : on peut citer le Front populaire, mais aussi la victoire de François Mitterrand en 1981. Quand la gauche fait fausse route, comme récemment avec la déchéance de nationalité, la droite récupère la mise.
Après 1945, quelles grandes tendances se dégagent ?
Tous les pays d’Europe font venir des étrangers pour la main-d’œuvre. À partir des années 1970, la connexion avec le religieux, donc l’islam, s’établit. Puis les frontières se ferment à nouveau avec la crise économique. La question du droit d’asile est traitée à part, non sans hypocrisie. Au milieu des années 1970, l’Ofpra durcit ses critères. On ne dit pas : « On n’en veut plus », mais « Ce ne sont pas de vrais réfugiés ». Surtout, le discours national-sécuritaire s’impose. C’est une tendance mondiale, qui peut s’expliquer par la mutation des médias et par la crise économique. Pourtant, nous n’avons jamais vécu dans une société aussi pacifiée !