via letemps


Vincent Monnet – Publié lundi 17 février 2003


Le 19 février 1803, la France imposait à la Suisse une nouvelle Constitution qui, en jetant à bas la République helvétique, allait permettre de replacer la Confédération sur le chemin de la prospérité.

«La Suisse ne ressemble à aucun autre pays. La nature a fait votre Etat fédératif, vouloir la vaincre n’est pas d’un homme sage.»

Résigné autant qu’irrité, c’est par ces mots que Napoléon Bonaparte proclame, le 19 février 1803, la fin de l’éphémère République helvétique qu’il avait instituée quatre ans plus tôt. L’Acte de médiation qu’il signe ce jour-là marque en effet le retour de la Confédération à l’ancien régime fédéral en même temps qu’il concrétise la naissance de six nouveaux cantons: Vaud, Argovie, Thurgovie, Saint-Gall, Grisons, Tessin. Mais ce texte offre également à une Suisse au bord du chaos un répit qui va s’avérer salutaire. C’est ce moment clé de l’histoire nationale que s’apprête à saluer Pascal Couchepin mercredi prochain en faisant le voyage de Paris sur les traces des délégués de la Consulta helvétique partis deux cents ans plus tôt quérir l’arbitrage du vainqueur de Marengo.

En cette fin de novembre 1802, ils sont environ 70 à faire le trajet vers Paris. Si leur nombre est incertain, c’est que quelques-uns ont fait le chemin à titre privé. Délégués des cantons ou des partis, chacun d’entre eux espère bien avoir l’occasion de faire prévaloir les intérêts de son camp. Tous ou presque seront déçus. Partisans des idées nouvelles («unitaires») et défenseurs de l’ancien ordre («fédéralistes») ont beau débattre dans les couloirs et les antichambres des palais parisiens, la décision finale leur échappera.

Durant les quelques semaines de son existence, la Consulta n’est en effet jamais réunie en séance plénière et rares seront ceux parmi les envoyés Suisses qui auront l’occasion de rencontrer le maître de cérémonie. Regroupés en commissions, les délégués suisses sont contraints de négocier au cas par cas les constitutions des cantons et communes avec les représentants français désignés par Bonaparte (les sénateurs Barthélemy, Roederer, Fouché et Desmeunier). Mais, même à cent contre un, le combat eût été inégal.

Dès la première séance, le 10 décembre 1802, Napoléon fait en effet entendre sa volonté. Contre tout ce que ses démarches précédentes pouvaient laisser présager, il penche désormais en faveur de la formule fédéraliste. Et peu importe si les défenseurs du parti «unitaire», majoritaires dans la Consulta, doivent en prendre ombrage: ils n’ont pas voix au chapitre, sinon à titre consultatif. Car ce qui importe au premier des Français, c’est le retour à l’ordre. La paisible Confédération cueillie comme un fruit mûr en 1798, s’est transformée en poudrière. En moins de cinq ans, elle a connu une suite de soulèvements et de coups d’Etat. Et la Suisse au bord de l’anarchie, c’est un spectacle insupportable aux yeux de Napoléon. Surtout parce qu’elle menace l’accès au trésor de Berne et la liaison Paris-Milan, jugée essentielle à la sécurité de la France révolutionnaire.

Sans lâcher la bride, il faut donc forcer les Suisses à s’entendre. Rendu public le 19 février 1803, le texte de l’Acte de médiation tire un trait sur l’épisode de la République helvétique, pour rétablir à peu de chose près les structures d’avant 1798. Les anciens cantons – avec leurs institutions traditionnelles – sont ainsi restaurés dans leur souveraineté. Six nouvelles entités (Vaud, Argovie, Thurgovie, Saint-Gall, Grisons, Tessin) sont créées à partir d’anciens «pays» alliés ou sujets. Fait nouveau: chacun de ces 19 cantons est placé sur un pied d’égalité. Neuchâtel, Genève et le Valais, qui intéressent encore le futur empereur attendront 1815 et le Congrès de Vienne. Seules traces de centralisme dans cette nouvelle Constitution: la majorité des 3/4 suffit désormais pour l’adoption de décisions au niveau fédéral, au lieu de l’unanimité des cantons. Un «landammann» est établi, qui est chargé de régler les affaires courantes entre les sessions de la Diète et de traiter avec les ambassadeurs étrangers. Neutre seulement en théorie, la Confédération est par ailleurs tenue de fournir un contingent permanent de 12 000 hommes à la France.

Un coût d’autant plus lourd que l’économie des villes suisses est malmenée par les conséquences du blocus continental qu’impose Napoléon. Mais si dans les villes le chômage explose après 1803, les campagnes profitent de la paix. Alors que, pour une quinzaine d’années, l’Europe devient un champ de bataille, la Confédération retrouve le calme. Replié sur lui-même, le pays a tout loisir de cultiver son identité, passablement malmenée par les troubles récents. Avec l’organisation des fêtes d’Unspunnen de 1805 et 1808, notamment, où sont chantées les louanges d’une vie rude, simple et naturelle, se profile ainsi une nouvelle manière d’«être Suisse». Un nouvel idéal national promis à un bel avenir et qui, dans un premier temps, rend possible un rapprochement entre l’ancienne aristocratie et les nouvelles élites sociales issues de ces années d’agitation. Deux groupes qui vont apprendre à mettre entre parenthèses leurs antagonismes pour constituer le moteur économique de la Suisse du XIXe siècle.

 

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