Histoire de la civilisation contemporaine en France, 1912 (Rambaud, Alfred, 1842-1905)
Histoire de la civilisation contemporaine en France, 1912 (Rambaud, Alfred, 1842-1905)

 

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EXTRAIT, page 12 :
Expansion des principes de 1789 dans le monde. —

 

La civilisation française, au XVIIIe siècle, avait un caractère universel ou cosmopolite : la Révolution eut le même caractère. Elle ne fut pas seulement un fait français, mais un fait européen. Notre langue, si répandue dans tous les pays civilisés, servit de véhicule aux principes de 1789. Ils se propagèrent surtout dans les pays dont l’état social était le plus rapproché du nôtre. La Belgique, la Hollande, l’Allemagne du Rhin, la Suisse, l’Italie furent révolutionnées de fond en comble. L’Angleterre et l’Ecosse s’agitèrent, l’Irlande opprimée appela les Français. Quand Napoléon, après avoir dompté la Révolution en France, se fut emparé de sa direction en Europe, les principes de 1789 furent alors appliqués, au moins en partie, dans toute l’Allemagne, en Espagne, en Pologne, en Illyrie, en Dalmatie, aux îles Ioniennes. Les serfs mêmes de la Russie tressaillirent au mot nouveau pour eux de liberté. Pour résister à l’empereur de la Révolution, les rois coalisés furent contraints de faire appel aux peuples et de promettre des réformes : les vieilles dynasties des Hohenzollern, des Habsbourg, des Romanoff, parlèrent de liberté et d’égalité.

Quand Napoléon succomba, la réaction qui suivit sa chute s’étendit sur l’Europe entière; mais partout les idées qu’avait semées le passage des armées françaises commencèrent à germer. De 1821 à 1825, quand la France elle-même était en repos, la Révolution continua à cheminer par le inonde : elle éclata dans l’Amérique espagnole et portugaise, en Espagne, à Naples, en Piémont, en Grèce, jusqu’en Russie, où les associations libérales livrèrent bataille à l’empereur Nicolas.

Après nos journées de Juillet, les États du pape, la Pologne, la Belgique s’insurgèrent, les États secondaires de l’Allemagne demandèrent des constitutions, et l’oligarchie anglaise dut consentir à la réforme parlementaire de 1832.

En 1848, l’agitation prit des proportions encore plus vastes, car le roi de Prusse et l’empereur d’Autriche furent chassés de leurs capitales; les Allemands se formèrent en
congrès à Francfort, les Slaves en congrès à Prague; la Hongrie prolongea son insurrection pendant deux années; l’Italie se leva tout entière de Venise à Païenne; la Valachie et la Moldavie renversèrent leurs hospodars; des meetings anglais réclamèrent le suffrage universel.

Dès lors, l’ancien ordre européen ne put jamais se reconstituer tout entier. En Russie même, douze ou treize ans après notre journée de février 1848, les paysans furent affranchis par l’empereur Alexandre II. Ainsi les peuples de l’Europe ou de l’Amérique mirent un temps plus ou moins long, suivant leur tempérament ou leur degré de maturité, à réaliser les principes de 1789 : tous y sont venus. Ceux qui, au temps de la Convention ou de Napoléon, ont combattu avec le plus d’acharnement la Révolution française, ont fini, les uns vingt ans, les autres trente ans, les autres cinquante ou soixante ans après, par en adopter toutes les maximes. Les serfs de Russie, armés en 1799 contre le Directoire, ont recueilli, en 1861, le bénéfice de leur défaite par les soldats de Masséna. La prédiction de Lafayette, qui annonçait, en 1789, que le drapeau tricolore ferait le tour du monde, s’accomplit chaque jour sous nos yeux. Si donc nous avons soutenu une lutte terrible contre toute l’Europe monarchique et contre une partie même de la France pour le triomphe des Droits de l’homme, si le sang français a coulé à flots sur tant de champs de bataille, le peuple français a du moins la gloire, chèrement acquise et unique, qu’aucun peuple, si victorieux qu’il soit, ne peut lui disputer, d’avoir combattu non seulement pour son émancipation, mais pour celle du genre humain, et d’avoir été le missionnaire et l’apôtre de la régénération universelle. Ainsi il a continué, sous un autre étendard, le rôle qu’on lui assignait au moyen âge, celui de soldat de Dieu. Aux Gestes de Dieu par les Francs se sont ajoutées des pages immortelles. Si nous n’avons plus combattu pour un Sépulcre vide, nous avons combattu pour le Dieu vivant, pour la Justice, pour le Droit, ce « souverain du monde », comme le définissait Mirabeau. Ce n’est pas pour nous seulement, mais pour tous les hommes, dans l’avenir comme dans le présent, pour nos ennemis comme pour nos amis, pour les noirs comme pour les blancs, que nous avons brisé le pouvoir despotique, l’organisation en castes, le servage de la glèbe, tous ces vestiges de l’ancien état social asiatique; que nous avons mis fin à l’ignorance et à l’exploitation des travailleurs, à la férocité de la procédure criminelle et à la barbarie des supplices, aux châtiments corporels dans les armées et dans les écoles, à l’intolérance et aux persécutions religieuses; que nous avons rendu libres l’homme, la famille, la terre, les métiers, la presse, la conscience; que nous avons enfin, du monde royal, sacerdotal et féodal, fait sortir le monde moderne.

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