Origines françaises de l'architecture gothique en Italie (Camille Enlart 1894)

Origines françaises de l’architecture gothique en Italie

Camille ENLART, 1894


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AVANT-PROPOS

L’histoire de l’art en Italie a fait l’objet d’innombrables travaux dans toutes les branches et pour toutes les époques. Cependant, l’architecture de la période gothique a été de beaucoup la partie la plus délaissée dans ce cercle d’études. Un certain discrédit plane sur elle, et ce discrédit s’explique, si l’on considère que les monuments gothiques d’Italie, sur lesquels l’attention s’est presque exclusivement portée jusqu’ici, sont ceux de la décadence, comme la cathédrale de Milan, ou des monuments très remaniés, comme ceux de Naples.

Cette bizarre disproportion entre le mérite et la notoriété des monuments gothiques d’Italie s’explique par une raison bien simple : les plus anciens, qui sont les plus beaux et les plus intacts de ces monuments, sont des abbayes situées en pleine campagne, dans des régions d’accès difficile où le voyageur peut redouter sinon le manque de sécurité, du moins la longueur de l’exploration, très souvent l’insalubrité et presque toujours le manque complet de confortable. Je n’ai cru pouvoir mieux employer un séjour de deux ans à L’École française de Rome, qu’en étudiant la partie la moins connue de l’histoire artistique de l’Italie et celle qui offre le plus de liens avec l’histoire artistique de notre propre pays.

Arrivé en Italie en 1889, avec une provision de documents de comparaison, j’ai recueilli d’abord les éléments d’un premier mémoire qui fait le fond de cet ouvrage.

Adressé à l’Institut en 1890, il a été désigné par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres pour la médaille annuelle de la Société centrale des Architectes français, qui lui a été décernée le 27 mai de cette même année. Ce mémoire, qui a été l’objet de rapports successifs de MM. Perrot (1), Loviot (2) et Gaston Boissier (3), était intitulé : Origines bourguignonnes de l’architecture gothique en Italie, et forme les chapitres II, III et VI, ainsi qu’une partie des chapitres I et IV du présent livre.

Les origines bourguignonnes constituant la part la plus ancienne, la plus considérable et la plus importante des origines du style gothique en Italie, j’ai cru devoir généraliser le sujet de mon livre en y ajoutant mes notes sur les types d’architecture gothique non bourguignonne importés dans la péninsule. Ces types, non seulement plus rares mais moins importants, sont plus sommairement étudiés. Des notices très courtes sont consacrées aux monuments déjà très connus, comme la cathédrale de Sienne, ou très défigurés, comme celle de Naples. D’autre part, les monuments les plus importants ou les moins connus sont l’objet de descriptions où l’on trouvera parfois des détails minutieux, mais qui sont en quelque sorte des pièces justificatives nécessaires à la preuve des origines et à la démonstration complète des caractères. Afin de rendre plus facile et plus prompte la vue d’ensemble de l’ouvrage, j’ai séparé l’histoire de la description, les monuments dérivés des monuments-types et ceux-ci les uns des autres suivant leur caractère ; quant aux comparaisons de détails entre les édifices de France et d’Italie, je les ai presque toutes réunies dans les deux chapitres de la fin, n’en laissant dans les descriptions que ce qui m’a paru les éclairer sans les embarrasser. En un mot, je me suis efforcé de classer par groupes les renseignements de même nature et de donner à chaque groupe une étendue proportionnée à sa valeur documentaire. Enfin, ne voulant pas encombrer ce livre de notes multiples, j’ai répété dans le répertoire final l’indication des dates et de la situation géographique des monuments que j’ai choisis comme points de comparaison.

Après avoir exprimé ma profonde gratitude au Maître qui a bien voulu accepter l’hommage de ce travail, je tiens à remercier aussi ceux dont la bienveillance s’est efforcée par divers moyens de faciliter la tâche que j’avais entreprise. Je suis heureux de témoigner ici ma reconnaissance à M. A. Geffroy, le dévoué directeur de l’Ecole française de Rome ; à MM. Eugène Muntz, Durrieu et Digard, mes prédécesseurs à cette Ecole; à M. A. de Baudot et à M. Viollet-le-Duc, ainsi qu’aux archivistes et bibliothécaires du service des monuments historiques; à MM. Anthyme Saint-Paul, Georges Durand, le baron de Geymùller, le chanoine Millier et le comte A. de Dion, auxquels je suis redevable de plusieurs utiles renseignements. La bienveillance dont mes études ont été honorées en Italie n’a pas été moins grande que celle que j’ai rencontrée dans mon propre pays. C’est donc avec un sentiment de sincère reconnaissance que j’adresse mes remerciements au comte Agostino Antonelli ; à M. Fr. E. Bandini Piccolomini délia Triana, sous-archiviste d’Etat à Sienne; au commandeur Fr. S. Cavallari, directeur du musée de Syracuse ; au comte Cavazza de Bologne ; au commandeur Corvisieri, archiviste de Rome; au chevalier C. Faccio, bibliothécaire de Verceil ; au professeur Hùlssen, secrétaire de l’Institut allemand ; à M. l’architecte Sven Kristenson ; à M. l’avocat Lebole, secrétaire de l’Académie des beaux-arts de Verceil; à M. Alessandro Lisini, directeur des archives nationales de Sienne ; à M,D 0 la comtesse Lovatelli; au marquis Ippolito Niccolini, député de Florence et à Mme la marquise Niccolini ; à M. le chanoine Oliva, chancelier de l’évêché de Piperno ; à M. le chevalier A. Rubbiani, le savant architecte de S. François de Bologne; à MM. les chanoines Suppa et Stranieri de Barletta; à M. l’archiviste du conservatoire de Saint-Eloi, à Naples ; enfin, aux vénérables religieux qui m’ont offert, durant de longs séjours, une hospitalité digne de l’antique renom des abbayes de Fossanova, Casamari et Valvisciolo : les Révérends Pères de Vaulchier et Eusèbe Bergier, procureur et secrétaire de la procure des Chartreux de Rome ; D. Vincenzo Renzi, abbé de Fossanova; D. Gabriele Paniccia, abbé de Casamari ; le P. Prieur et D. André, à Valvisciolo ; et tous les dignes et » excellents religieux de leurs monastères.

CHAPITRE PREMIER.
ORIGINE DU STYLE GOTHIQUE. SON IMPORTATION DANS LES DIVERSES PROVINCES D’ITALIE.
  • I. — ORIGINE ET EXPANSION DE L’ARCHITECTURE GOTHIQUE.

L’architecture gothique n’est que le perfectionnement de celle qu’on appelle romane, et qui elle-même est une adaptation des traditions architecturales des Romains aux mœurs et aux goûts d’une période qui commence au dixième siècle et se termine dans le dernier quart du douzième. Durant cette époque, l’architecture, tout en conservant ses éléments romains, devient élastique de construction et souple d’ordonnance, se débarrasse de toute réminiscence d’art classique grec, s’enrichit de motifs d’origine barbare ou byzantine. Les architectes s’affranchissent de toute forme imposée; ils cherchent uniquement la disposition la plus commode par les moyens les plus rationnels. Dans l’architecture religieuse, ils se préoccupent surtout de voûter leurs édifices. Utilisant toutes les inventions de leurs prédécesseurs, mais répudiant toute formule arbitraire, ils arrivent à obtenir, par la combinaison d’éléments connus, des dispositions et des effets nouveaux, heureux et originaux. Des formes tout à fait neuves naissent bientôt de ce travail : ce sont l’arc brisé, usité en Bourgogne dès la fin du onzième siècle, et la croisée d’ogive trouvée à la même époque dans l’Ile-de-France. C’est par l’emploi du berceau brisé que la première de ces provinces arrive à voûter de bonne heure les larges espaces ; la seconde y parvient par l’emploi de la voûte d’ogives; le premier de ces moyens rapproche, en effet, la poussée de la verticale, tandis que le second la localise sur des points espacés. Dans le sud-ouest de la France, les architectes avaient trouvé un procédé heureux dans l’adoption do la coupole byzantine, propre à couvrir aussi de grands vaisseaux. Les architectes normands s’étaient désintéressés de cette grande recherche : ils ne voûtaient guère ; ceux du reste de la France butaient plus ou moins habilement les voûtes, soit par d’autres voûtes, soit à force de maçonnerie pleine et de diminution de hauteur ou de largeur. Des trois solutions originales trouvées dans l’Ile-de-France, la Bourgogne et le Périgord, la première seule se prêtait à réaliser un nouveau progrès cherché par les architectes romans. Il consistait à réduire les maçonneries pleines de façon à donner de l’espace et du jour à l’intérieur de l’édifice; la voûte d’ogives ne portant que sur des points isolés, de larges baies et de grandes arcades purent s’ouvrir entre ces points. D’autre part, il fallait, sans encombrer le monument, opposer une résistance énergique aux poussées localisées : de là l’invention de l’arc-boutant et de piliers formés de faisceaux de colonnettes de pierre dure posées en délit autour d’un noyau de maçonnerie qui les rend solidaires.

Ces progrès une fois réalisés, le style gothique est trouvé ; cette solution définitive apparaît pour la première fois dans le chœur de Saint-Denis, élevé de 1137 à 1143. A cette transformation de la construction s’ajoute celle de la décoration dans le même sens original et rationnel : on y trouve l’étude directe de la nature animale et végétale dans toutes ses manifestations, sans préoccupation des traditions antérieures, mais avec une préoccupation constante de l’effet d’ensemble ; les lignes de l’architecture commandent celles de la décoration, libre dans les limites qu’elle lui impose; les figures sont de même rigoureusement vraies, mais simplifiées ou plutôt synthétisées, figurant des types généraux plutôt que des individus.

L’école romane du nord de la France n’avait jamais cessé de tendre vers le style gothique ; elle en approche dès qu’elle réalise un certain progrès, et elle l’atteignit avant toute autre. Aussitôt ce progrès eut d’immenses conséquences. Les architectes ingénieux de la Bourgogne et du sud-ouest de la France s’emparèrent do la croisée d’ogives ; les premiers l’adaptèrent d’abord aux larges espaces seulement, en continuant à voûter d’arêtes les parties secondaires de l’édifice ; les seconds appliquèrent de multiples branches d’ogives à des voûtes bombées soit en berceau pénétré, comme à Airvault, soit, beaucoup plus souvent, en coupole sur trompes en cul-de-four pourvues elles-mêmes de branches d’ogives. Cependant, dès 1150, de vraies voûtes d’ogives, appareillées comme celles de l’Ile-de-France et admirablement construites, étaient élevées sur le large vaisseau de Saint-Maurice d’Angers, et, dès le dernier quart du douzième siècle, l’architecture bourguignonne produisait le chœur de Vézelay, aussi franchement gothique que celui de Notre-Dame de Paris. La Bourgogne adopta tardivement l’arc-boutant et le développa peu ; l’Anjou et le Poitou s’en passèrent le plus souvent dans leurs églises simples ou à trois nefs, à murailles épaisses.

La Normandie n’adopta le style gothique qu’au treizième siècle. Elle lui donna une forme originale par la continuation de l’usage général des tours-lanternes, par les flèches et les arcs suraigus, la rareté des roses, les chapiteaux ronds, l’ornementation sobre, légèrement sèche et quelque peu monotone, assez éloignée de la souplesse de celle de l’Ile-de-France. La Provence adopta aussi très tardivement le style gothique, et, comme les provinces du sud-ouest, elle affectionna les vaisseaux simples et préféra les épais contreforts aux arcs-boutants.

Dans la cathédrale de Chartres, l’art gothique de l’Ile-de-France se modifie quelque peu. Dans le centre, celle de Bourges offre un style beaucoup plus particulier. Ce monument isolé ne peut être considéré comme ayant formé une école. Il a eu toutefois une grande influence sur l’Espagne. Les églises gothiques de Limoges et de Bayonne ont de même leurs caractères particuliers et se rattacheraient difficilement aux écoles voisines. L’école champenoise n’est que le mélange de celles de l’Ile-de-France et de la Bourgogne.

C’est sous ces diverses formes que l’art gothique a été apporté de France dans tous les autres pays de la chrétienté.

L’art gothique du nord de la France a produit, en Allemagne, les cathédrales de Limbourg et de Cologne ; en Hongrie , Saint Martin de Kaschau et d’autres églises; en Suède, la cathédrale d’Upsal ; en Italie, Saint-André de Verceil; en Espagne, la cathédrale de Léon, le monument gothique le plus parfait de la péninsule et dont le porche occidental est une imitation frappante des porches latéraux de Chartres.

L’art gothique bourguignon a exercé par les cisterciens une influence énorme sur l’Allemagne, l’île de Gotland et la Suède ; il a rayonné par eux en Espagne et jusqu’en Grèce, et dans toute la France les moines de Citeaux ont donné à leurs constructions des particularités bourguignonnes ; mais nulle part ils n’ont gardé ce style plus pur qu’en Italie, et nulle part il n’a exercé plus d’influence.

Le style gothique angevin a été porté au centre de l’Espagne (cathédrale de Zamora, collégiale de Toro, cathédrale de Ségovie, abbaye de Las Huelgas, etc.) et en Angleterre; peut-être certaines voûtes gothiques du Danemark en dérivent-elles (cathédrale de Ribe, abbatiale de Soro, etc.).

Le gothique provençal a eu une influence considérable en Espagne et dans les Baléares, et a régné presque exclusivement dans le sud de l’Italie sous Charles Ier et Charles II d’Anjou. Il a produit aussi de très beaux monuments dans l’île de Chypre.

L’art gothique du centre de la France a été transplanté en Espagne ; les cathédrales de Tolède et de Burgos reproduisent celle de Bourges.

L’influence de l’école gothique normande est prépondérante en Angleterre et exclusive en Norvège.

Le terme de style gothique, comme celui de style roman, désigne donc des variétés d’architectures assez diverses, dans lesquels les caractères propres à ce style se rencontrent à des degrés très inégaux. Quelques-uns peuvent même faire défaut, et beaucoup d’édifices qui peuvent être considérés, en Italie, comme les types les mieux caractérisés de l’architecture gothique no représentent, par rapport à l’Ile-de-France, qu’un style gothique imparfait ou de transition.

  • 2. — ECOLES GOTHIQUES DE L’ITALIE.

 

L’architecture gothique d’Italie n’a donc pas connu tous les perfectionnements que réalisèrent les architectes français en matière d’équilibre et de légèreté, de tracé et d’ornementation. Peut-être ne trouverait-on pas dans toute la péninsule sept églises pourvues d’arcs-boutants. Malgré cela, nulle dénomination autre que celle de gothique ne convient à l’architecture qui fait l’objet de cette étude et qui a, du reste, des rapports intimes avec celle de la France. Essentiellement souple, savante et raisonnée, cette architecture se modifie nécessairement selon les conditions matérielles et les tendances du goût des divers pays. En Italie comme ailleurs, des écoles gothiques diverses se sont formées sous l’influence de quelques monuments types.

Beaucoup de traditions romanes ont persisté en Lombardie.

Les monuments de cette région ont des tribunes voûtées ou des collatéraux très élevés contrebutant la voûte centrale ; les colonnes y alternent avec les piliers; les piliers ronds sont fréquents, ainsi que les lanternes octogones et les absides aux extrémités du transept. Au dehors, de grands arcs de décharge portés sur des pilastres décorent les murs que couronnent des galeries de circulation. Les corniches à arcatures se relient à des plates-bandes. Des fenêtres géminées sont souvent disposées en ligne; les chapiteaux cubiques sont fréquents. On peut citer comme types de cette architecture Saint-Ambroise et Saint-Eustorge de Milan, Saint-Zénon de Vérone (églises on partie antérieures à l’époque gothiquo), les cathédrales de Gênes, Parme, Ferrare, Plaisance , Modène, Borgo San Donnino, Côme et Milan, la cathédrale, Sainte-Anastasie, San Fermo, à Vérone; Saint-Pétrone et d’autres églises gothiques à Bologne; l’église des carmes ot celle de Saint-François, à Plaisance. Les abbatiales cisterciennes do Ghiaravalle, près Milan; Chiaravalle délia colomba, près Plaisance ; Chiaravalle di Castagnola, près Ancône, et l’église Saint-François de Bologne subissent l’influence Je celle école.

Elle a le mérite de procéder des traditions antérieures de la région môme adaptées à la mode nouvelle. Si ces traditions ne sont pas tout à fait autochtones et si leur adaptation n’est pas toujours heureuse, au moins y a-t-il plus de recherche et d’originalité que dans d’autres régions d’Italie qui prirent de toutes pièces un style gothique importé.

La Vénétie et l’Emilie ont, à peu de chose près, la même architecture. L’emploi de la brique y est à peu près exclusif. Les voûtes d’ogives, maintenues par des tirants do for et souvent même par d’épais entraits de bois traversant les nefs et les arcades, sont employées simultanément avec la coupole ; les supports circulaires, les chevets et chapelles de plan carré ou polygonal sont fréquents. Les monuments les plus importants de cotte région sont Saint-François do Bologne (1236 à 1240), Saint-Autoine de Padoue, Sainte-Anastasie de Vérone, Saint-Laurent de Vicenco, Saint-Jean et Paul et l’église des frères mineurs, à Venise.

A la Toscane appartient une architecture d’aspect très particulier. La brique y joue aussi un grand rôle, mais, toutes les fois qu’on l’a pu, on l’a habillée d’un revêtement de marbre noir, blanc, rouge, parfois vert, qui forme des bandes horizontales, et souvent, depuis 1300, des panneaux. Ces dessins monotones et de couleurs heurtées coupent trop fréquemment les lignes architecturales d’une façon arbitraire et fâcheuse. Ces marqueteries étaient également pratiquées en Vénétie et en Ombrie, mais en Toscane elles jouirent d’une faveur plus générale. Les claveaux des arcs sont pareillement de couleurs alternées. La voûte d’ogives règne partout, avec grand renfort de tirants de fer. Des coupoles à pans coupés couvrent les baptistères et la croisée des grandes églises. L’extrados des arcs reçoit systématiquement un tracé plus aigu que l’intrados, de façon à augmenter le poids des claveaux qui pèsent sur les autres en diminuant la résistance de ceux-ci. Cette singulière disposition a pu se justifier dans les constructions compressibles où des pieds-droits étroits offrent seuls un point de résistance sur lequel il faut porter la charge de l’arc, mais la généralisation du système a été une étrange aberration. Il y eut pis : de l’habitude d’extradosser en tiers-point des arcs en plein cintre, les Toscans en vinrent à celle de tracer les joints de l’arc aigu comme ceux du plein cintre, avec un seul centre, détruisant ainsi toute solidité et créant à plaisir des angles aigus dans les claveaux. Les arcs douhleaux sont épais, dépourvus de moulures. Les supports sont le plus souvent des piliers carrés ou cruciformes, cantonnés de quatre colonnes engagées. Le plan des chevets est généralement rectangulaire, quelquefois polygonal ou même circulaire dans de petits édifices. Les fenêtres hautes, étroites et aiguës sont souvent garnies de meneaux. Les tours carrées très hautes sont latérales ou même détachées, toujours mal reliées à la composition architecturale et dépourvues de contreforts. L’ornementation, parfois riche, emprunte beaucoup à l’antiquité. Des frises sont fréquemment interposées entre les chapiteaux et les arcs. Les oves , les denticules et les feuilles d’acanthe, souvent belles, sont d’un caractère gras et mou tout particulier, dû à l’habitude de traiter le marbre poli dans la décoration. L’architecture civile est remarquable. Elle préfère en général aux revêtements de marbre la pierre layée ou à bossages et la brique nue. Les fenêtres en tiers-point ou en arc surbaissé y sont divisées par des colonnettes portant des arcs et un tympan souvent ajouré. Les tours de palais et de remparts sont hautes, généralement carrées ; toute la construction est surmontée de larges mâchicoulis simulés formés de voûtains bandés entre de hautes consoles biseautées sans ressaut. Un crénelage les couronne. Des galeries et escaliers étahlis sur voûtains bandés de même entre des consoles sont fréquents dans l’architecture religieuse ou civile.

Le monument type de cette région est l’église abbatiale de San’ Galgano, modèle de la cathédrale de Sienne , dont l’influence fut grande aussi. San Galgano date de 1218 à 1300. On peut citer en outre comme exemples les églises des franciscains et des dominicains de Sienne, Prato et Pistoie; Santa Maria Novella, Santa Croce, Santa Trinità de Florence; Sainte-Catherine et Saint-Michel de Pise ; les cathédrales d’Orvieto et Grosseto ; le choeur de celle de Prato ; les palais du capitaine de justice, du municipe, et desTolomei à Sienne; plusieurs maisons de San Gemignano, etc. Cette école se rencontre à Gênes avec la précédente. Elle se mêle aussi à celle de l’Ombrie et des Marches, dont le caractère est plus indécis, et qui peut en être considérée comme une dépendance. Celle-ci emploie également la pierre et la brique; elle donné volontiers des proportions plus larges et plus basses à ses églises; la nef unique et le chevet à pans coupés y sont plus fréquents. Les tours carrées ou octogones s’élèvent en général près du choeur, sans lien avec le resle de l’édifice. Les supports n’ont pas de forme fixe. On peut attribuer à celte école, dont les édifices types sont Saint-François-d’Assiso et Chiaravalle di Caslagnola, les cathédrales de Pôrouse, Arezzo et Gubbio, et des édifices moins importants, comme Montelabate près Pérouse. Bien des monuments, comme Saint-Dominique de Pérouse, ne s’y distinguent pas de ceux de la Toscane.

L’école gothique de la province de Rome a son centre très au sud de la capitale, où elle n’a guère prospéré. C’est la plus ancienne et de beaucoup la plus remarquable. Son influence s’étend dans la province de Viterbe et dans les Abruzzes.

L’emploi de la pierre y est presque général. La voûte d’ogives et la voûte d’arêtes y sont usitées concurremment. Les doubleaux sont larges et sans moulures. Les chevets et chapelles sont le plus souvent rectangulaires. Les piliers sont carrés ou cruciformes, cantonnés de colonnes engagées. Les tours sont centrales, de plan carré ou octogone, ou bien latérales et rectangulaires. Les fenêtres sont en général petites et en plein cintre, parfois rectangulaires. L’ornementation, enrichie de travaux de marbrerie mêlés de mosaïques d’or et couleurs, est belle et ample au début, puis devient maigre et recherchée, et, dans le cours du quatorzième siècle, elle perd tout intérêt.

L’architecture civile produit des maisons à grand escalier extérieur aboutissant à une loge; l’architecture militaire très pauvre, avec ses petites tours carrées, appartient à un art complètement enfantin; elle use souvent de la brique.

Les monuments types de cette école sont l’église de Fossanova, commencée en 1187, consacrée en 1208, et celle de Casamari, consacrée en 1217, après lesquelles on peut citer Sainte-MarieMajeure et Saint-François de Ferentino; Sainte-Marie-du-Fleuve et Saint-Nicolas à Ceccano ; Saint-Laurent d’Amaseno ; l’abbatiale de Valvisciolo ; les cathédrales de Sezze et Piperno; de nombreuses églises à Terracine, Fondi, Sermoneta, Piperno, Sonnino. A Rome, la Minerve représente seule cette architecture; dans les Abruzzes, les types sont l’abbatiale de Santa Maria d’Arbona, fondée en 1219, et celles de Subiaco; elles ont inspiré des imitations fort secondaires, telles que l’église des Carmes de Scurcola Marsicana, et d’autres chapelles à Sulmone, Tagliacozzo, Carsoli, etc.

Une sixième école, très différente, a fleuri dans le royaume des Deux-Siciles aux temps de la dynastie angevine. Elle a produit des églises à nefs non voûtées, d’un plan simple ot d’une architecture maigre et surélevée. Les chevets et chapelles y sont de tracé polygonal; les collatéraux sont étroits, de même que les hautes fenêtres; les contreforts sont reliés par des arcs; les clochers carrés sont surmontés de lanternons octogones et de flèches obtuses en maçonnerie; les baies sont souvent garnies de remplages assez maigres à trèfles et quatrefeuilles, et sont généralement ébrasées au dehors.

Avant l’avènement de Charles Ier, Frédéric II semble avoir introduit dans les Deux-Siciles une architecture militaire et civile, peut-être moins purement gothique, mais plus ample et plus belle, dont la principale originalité consiste dans la régularité des plans et dont le caractère est purement français.

Tel est l’aspect sous lequel se présente l’architecture gothique de l’Italie.

Cette étude a pour objet de rechercher la date, l’origine, le caractère et le degré d’influence des monuments les plus anciens et les plus typiques de chaque région. Les monuments des cisterciens, des chanoines réguliers, des franciscains et de Charles I6r ‘ d’Anjou, qui apparaissent comme les premiers types de l’art gothique en diverses régions, y seront passés successivement en revue.

  • III. — MONUMENTS DES CISTERCIENS. ÉCOLE DE FOSSANOVA. ARTISTES CISTERCIENS. LEUR INFLUENCE.

C’est aux cisterciens français que revient l’honneur d’avoir doté l’Italie de l’art gothique. Il y apparut pour la première fois dans l’église de Fossanova, reconstruite de 1187 à 1208. Cette abbaye, fille de Haute-Combe, en Savoie, est située au sud des Marais Pontins. L’influence architecturale de Fossanova se répandit bientôt dans toute la province, puis dans toute l’Italie et la Sicile. Ce fait n’a rien qui doive surprendre; car, à l’exemple les cisterciens, ajoutaient l’enseignement.

Fossanova possédait, en effet, une sorte d’université monastique analogue an collège .des bernardins de Paris et appelée sluclium artium. Arles, c’était les sciences, divisées en irivium et quadrivium. Le second de ces groupes comprenait la géométrie, dont l’architecture était l’application pratique. Nul doute qu’on l’y enseignât, car les artistes qui ont signé des monuments imités de Fossanova étaient originaires de Piperno, ville située à cinq milles de l’abbaye, et leurs oeuvres ont un caractère bourguignon très frappant. Ces maîtres étaient Pelrus Gulinari et ses fils Morisius et Jacobus, qui terminèrent en mars 1291 l’église d’Amaseno; Andréas de Piperno, auteur de l’église de l’Annonciation à Terraciiie. Toballo de Iannis (1), qui signa à Piperno même, en janvier 1336, celle de Saint-Antoine, abbé, et les auteurs des églises de Ceccano, Ferentino, Sermoneta, Fondi et Sezze; de Saint-Dominique et de Saint-François deTerracine, etc., tous monuments voisins appartenant aux treizième et quatorzième siècles. Mais ces artistes n’étaient que les élèves de moines architectes, dont les noms sont malheureusement perdus. Avaient-ils été admis à suivre des cours? Cela est douteux ; le document qui nous révèle l’existence du studium arlium (1) nous apprend seulement que l’abbaye de Valvisciolo, fondée en 1240 sur le territoire de la commune de Carpineto romano, devait y entretenir dix moines étudiants, et s’était engagée à payer pour leur pension dix florins de rente annuelle à l’abbé de Fossanova.

[…]

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