source : http://www.lhistoire.fr

Le gothique à la maison
Térence Le Deschault de Monredon dans mensuel 419
daté janvier 2016
Le gothique qui se généralise au XIIIe siècle dans les édifices religieux s’immisce également dans l’art profane : les demeures et leur décor monumental, mais aussi le mobilier et les objets de la vie quotidienne s’ornent désormais de traits gothiques.
A l’ombre des élégantes cathédrales aux formes ogivales, de leurs immenses verrières colorées et de leurs portails foisonnants de sculptures, les élites urbaines, constituées par la noblesse et les riches négociants, aimaient s’entourer d’un luxe inspiré des nouvelles formes à la mode.
Par exemple, l’arc brisé et le remplage (c’est-à-dire le décor en pierre ajouré d’une fenêtre), apparus d’abord dans les édifices de culte, pénètrent rapidement l’architecture profane. Comme pour l’art religieux, le terme de gothique attribué à l’art profane est à la fois lié à un style et à l’époque à laquelle ce style se répand (vers 1250-vers 1500). Châteaux, palais urbains de la noblesse et hôtels particuliers des riches marchands sont réalisés par des architectes et des sculpteurs maîtrisant les nouvelles techniques en vogue. Les façades les plus riches, comme celle animée de scènes de chasse de la maison dite du Grand Veneur, à Cordes-sur-Ciel (Tarn), font preuve d’ostentation dans un paysage urbain remodelé. Un mobilier au goût du jour les habille également. De même que pour l’architecture religieuse, les formes nouvelles naissent en France puis s’exportent, comme en témoigne, parmi bien d’autres exemples célèbres, le palais des Doges de Venise.
A l’intérieur de cet habitat, plafonds et murs sont peints, offrant à la vue une débauche de couleurs vives. Prennent place dans les grandes salles de réception, mais aussi dans des pièces plus modestes aux fonctions privatives (des chambres, par exemple), de vastes décors peints dont les thèmes sont le plus souvent liés aux principales activités de la noblesse guerrière. Les combats se déclinent sous forme de scènes de tournois, d’épisodes historiques ou encore d’imposantes fresques retraçant la geste des héros de romans de chevalerie. Mais c’est aussi la chasse, la musique et la danse qui animent les murs de ces riches demeures. Plus rarement, on rencontre des vies de saints, lesquelles rappellent généralement l’appartenance du commanditaire à une confrérie. Ces décors ont en commun de mettre en valeur un trait caractéristique du maître des lieux lui permettant d’affirmer sa place dans la société. Cela peut être lié à ses ancêtres, à ses alliances politiques, à son métier ou encore à des modèles de vaillance ou de vertu.
La « révolution gothique » se joue dans le quotidien des laïcs à travers le développement d’un art profane inspiré de la culture issue de la fin’amor – l’« amour courtois ». Les spécificités formelles du « gothique d’Ile-de-France » servent d’écrin à l’expression d’une culture de cour qui mêle réalité et imaginaire afin de mettre en scène la conduite du parfait chevalier, laquelle est bien éloignée des préoccupations du clergé, même si certains prélats, appartenant à des familles nobles, se font construire et aménager des palais tout aussi grandioses que ceux de leurs parents laïques.