source : http://www.qantara-med.org/
carte : wikipedia
Les conquêtes réalisées par les troupes de la Première Croisade en Syrie-Palestine ont donné naissance à quatre États latins : en 1098, le comté d’Édesse créé par Baudouin de Boulogne et la principauté d’Antioche fondée par Bohémond et les Italo-Normands ; en 1099, le royaume de Jérusalem établi par Godefroy de Bouillon puis par Baudouin 1er ; entre 1099 et 1109, le comté de Tripoli constitué par la dynastie toulousaine de Raymond de Saint-Gilles. Dans ces quatre États, une population latine d’origine occidentale, qui ne dut jamais dépasser quelques dizaines de milliers, issue soit des croisés eux-mêmes, soit d’un mouvement migratoire postérieur à la Première Croisade, co-existait avec des Grecs, des Arabes, des Arméniens, des Coptes, des Maronites, des Syriens chrétiens. Elle était plus nombreuse dans les villes côtières et dans les régions intérieures peuplées de chrétiens orientaux que dans les zones anciennement islamisées. Comme l’écrivait Foucher de Chartres, « nous qui étions Occidentaux, nous sommes maintenant devenus Orientaux. Celui qui était Romain ou Franc, le voilà dans cette terre Galiléen ou Palestinien. Celui qui était Rémois ou Chartrain, il s’est fait maintenant Tyrien ou Antiochénien ». Les modalités de l’acculturation sont donc la question fondamentale pour une étude du patrimoine dans les États latins de Syrie-Palestine : qu’ont retenu les Francs des créations antérieures, qu’elles soient dues aux Grecs, aux Arabes ou aux Syriens chrétiens ? Quel a été leur apport spécifique ? Comment les traditions artistiques des chrétiens indigènes se sont-elles combinées avec les traditions occidentales européennes et les traditions byzantines pour produire un art nouveau et distinct dans les États francs ? Peut-on même parler d’art croisé ? Autant de questions posées par les spécialistes au cours des dernières décennies.
Les vicissitudes qu’ont connues les États latins au cours des deux siècles de leur existence (1099-1291) ont profondément influencé leur évolution artistique. La première moitié du XIIe siècle est marquée par une expansion militaire qui donne à ces États leur extension maximale, la seule exception étant la disparition du comté d’Édesse conquis par Zangî en 1144. Au cours de cette phase, les Latins restaurent les Lieux saints de la chrétienté et édifient nombre d’églises et de monastères : l’art croisé est alors un art de pèlerinage destiné à glorifier les lieux où le Christ et les saints ont vécu. Le repli s’amorce dans les années 1160 et s’accentue avec les victoires remportées par Saladin, qui s’empare de Jérusalem en octobre 1187. Les Lieux saints sont perdus par la chrétienté et, avec eux, bien des objets d’art disparaissent. Avec les succès de la Troisième Croisade, Acre devient le centre du royaume latin, où l’art des fortifications l’emporte sur l’architecture religieuse, en raison des menaces ayyubides et mamluks. Au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle, le royaume latin connaît une belle floraison artistique, malgré l’étau mamluk qui se resserre, tandis que les deux États du nord, Antioche et Tripoli, survivent l’un jusqu’en 1268, l’autre jusqu’en 1289. La conquête d’Acre par les Mamluks d’al- Ashraf Khalîl le 28 mai 1291 met fin à l’existence des États latins et à l’art croisé auquel ils avaient donné naissance.
En architecture religieuse, les Francs s’inspirent de la tradition byzantine en adoptant un plan basilical à trois nefs, avec absides et absidioles encastrées dans un chevet plat (églises d’Abou Ghosh, de Ramla, de Lydda, de Sainte-Marie des Teutoniques à Jérusalem), et remploient des colonnes antiques au Saint-Sépulcre, à la basilique de la Nativité de Bethléem et à la cathédrale de Tortose. La restauration du Saint-Sépulcre, en 1149, intègre deux églises byzantines, restaurées au XIe siècle, la rotonde de l’Anastasis et l’église de la Crucifixion, remploie des chapiteaux abbassides du VIIIe siècle et des mosaïques byzantines, édifie un somptueux portail au sud de la basilique et un arc triomphal remplaçant l’abside orientale byzantine : un « pot-pourri » architectural sans unité. À Jérusalem l’église romane de Sainte-Anne comporte un dôme reposant sur des pendentifs selon le modèle byzantin, tandis que les croisés transforment en églises les mosquées du Dôme du Rocher (Templum Domini) et d’al-Aqsâ (Templum Salomonis). Au total, plus d’une centaine d’églises, souvent petites, ont été construites au cours du XIIe siècle.
Les murailles urbaines et les « châteaux du soleil » sont les principales réalisations en architecture civile. Les Francs se sont souvent contentés d’agrandir ou de renforcer des fortifications urbaines antérieures, à Jaffa, à Arsur, à Acre et à Jérusalem, tandis qu’à Césarée, en 1251-1252, les ingénieurs de Saint Louis appuient l’enceinte sur des fondations ayyubides, faisant de celle-ci un monument représentatif d’un croisement des cultures. Dans les États latins de Syrie-Palestine se distinguent trois types de fortifications, les « donjons normands », tours isolées de villages offrant un abri temporaire, les châteaux de type « castrum », aux courtines renforcées de tours aux angles, tel Belvoir dominant la vallée du Jourdain, et les châteaux éperons, tels le Crac des Chevaliers dans le comté de Tripoli, sans cesse remanié par les Hospitaliers jusqu’à sa reddition en 1271 face aux troupes de Baybars, ou le château de Saône, construit au début du XIIe sur un ancien site fortifié byzantin.
M. B.