via HISTOIRE. La Magna Carta, 800 ans de fierté anglo-saxonne | Courrier international


Financial Times – Londres Publié le 04/09/2013 – 16:51


La Magna Carta, 800 ans de fierté anglo-saxonne
La Magna Carta de 1215 exposée à la British Library The British Library Board
Signée le 15 juin 1215 par Jean sans Terre, cette charte passe pour l’ancêtre de la Déclaration universelle des droits de l’homme et fête aujourd’hui ses 800 ans. Pas mal, pour un texte qui n’est resté que dix semaines en vigueur.

La Magna Carta, ou Grande Charte, est un pacte conclu durant l’été 1215 entre le roi d’Angleterre Jean sans Terre et un groupe de barons en révolte. Cet accord porte sur des questions de fiscalité, de droits féodaux et de justice. A l’époque, c’est un flop.

Au paroxysme d’une période difficile pour les deux camps, il est probable que le traité a suscité plus d’un haussement de sourcils. Dans son passage le plus étonnant, en effet, la charte stipule pour la première fois une limitation des pouvoirs royaux. A l’époque, beaucoup veulent croire qu’elle annonce une nouvelle ère de collaboration entre le monarque et ses sujets.

Éphémère accord

L’ère en question est de courte durée. La Magna Carta ne reste en vigueur que dix semaines à peine. Le roi n’a consenti à la ratifier que pour gagner du temps. Peu après, il en appelle à Rome pour que le pape déclare le document nul et non avenu.

A la fin de l’été, ses désirs sont exaucés grâce à une bulle d’Innocent III. L’hiver suivant, l’Angleterre sombre dans la guerre civile. En 1216, Jean passe à l’offensive, remporte une victoire dans les comtés de l’Est, qu’il fête par une orgie de pêches et de cidre. Il meurt de la dysenterie en octobre de la même année.

Dans la petite salle de la British Library où sont conservés deux des quatre exemplaires de la première Magna Carta qui ont survécu, on ne ressent rien du drame et des manigances de ces journées de fièvre politique. L’un des documents est presque illisible, abîmé par un incendie au XVIIIe siècle. Et l’autre n’est guère plus facile à lire, car le texte, austère, est rédigé dans un flot continu d’abréviations latines. C’est vers le milieu que se trouve la partie qui a fait de la Magna Carta l’un des documents les plus respectés et les plus influents de l’histoire mondiale.

Une portée universelle

La charte dit à peu près ceci : “Aucun homme libre ne sera saisi, ni emprisonné ni dépossédé de ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou exécuté, de quelque manière que ce soit. Nous ne le condamnerons pas non plus à l’emprisonnement sans un jugement légal de ses pairs, conforme aux lois du pays. […] A personne nous ne vendrons, refuserons ni retarderons les droits à la justice.”

L’impact de ce qui sera plus tard connu comme les clauses 39 et 40 est encore perceptible dans la vie politique moderne.

 “Elles ont redéfini la relation entre les nations et leurs gouvernants”, commente Philip Buckler, doyen de la cathédrale de Lincoln. “Ce que dit la Magna Carta, c’est que tout le monde doit rendre des comptes.”

C’est dans la cathédrale de Lincoln qu’est conservé l’un des autres exemplaires de la charte. Le quatrième se trouve à la cathédrale de Salisbury. En février 2015, dans le cadre des célébrations du 800e anniversaire du document, les quatre exemplaires [ont été] rassemblés pour la première fois de l’Histoire, accessibles aux spécialistes et à 1 215 personnes tirées au sort dans le public.

Un sens qui ne cesse d’évoluer

La portée de la Magna Carta est aujourd’hui devenue universelle, allant bien au-delà de sa signification d’origine. Mais son pouvoir est-il réel ou ne s’agit-il que d’une sorte de talisman ? Nous avons parcouru un long chemin depuis le temps des barons en révolte. Et c’est justement cela qui compte. La Magna Carta est désormais l’incarnation de thèmes très éloignés de sa vocation de départ.

Les Etats-Unis lui accordent une importance toute particulière. En 1939, la version de Lincoln était exposée à la Foire internationale de New York. A la déclaration de la guerre, elle a été aussitôt transférée à la bibliothèque du Congrès, puis mise à l’abri dans l’enceinte de Fort Knox. Pour marquer le 75e anniversaire de l’événement, elle refera le voyage jusqu’à Washington l’an prochain.“Elle est considérée comme l’ancêtre de la Constitution américaine”, explique Philip Buckler.

“Les textes de ce genre, constate Neil McGregor, directeur du British Museum, disent en réalité peu de choses. Mais ils deviennent les symboles de toutes sortes de valeurs et d’aspirations. Leur sens ne cesse d’évoluer. Ils permettent d’établir la filiation d’idées essentielles. Nous savons tous qu’en fait la Magna Carta ne concernait qu’un groupe de gens puissants et privilégiés qui cherchaient à se protéger de quelqu’un d’encore plus puissant et privilégié. Mais elle est devenue autre chose.”

Pour une élite

Un avis que partage June Osborne, doyenne de la cathédrale de Salisbury : “Personne n’ira affirmer que les barons anglais du début du XIIIe siècle étaient des altruistes désintéressés. Nous ne sommes pas en train de prétendre que la Magna Carta est ce qu’elle n’est pas.”

Et ce qu’elle n’est assurément pas, c’est un texte démocratique. Les hommes “libres” mentionnés dans la clause 39 étaient en fait une élite qui excluait la paysannerie – les vilains –, qui représentait la majeure partie de la population.

La charte est révisée en 1216, 1217 et 1225 avant d’être enfin copiée dans les archives du Parlement médiéval d’Angleterre, mais très vite elle se pare d’une aura mystique allant bien au-delà de sa vocation d’origine, très limitée. En 1341, le Parlement commence à exiger que tous les plus hauts dignitaires du royaume prêtent serment sur elle. Au XVIIe siècle, Edward Coke, ministre de la Justice sous les Stuarts, l’interprète comme une déclaration des libertés individuelles. Et ainsi de suite.

De nos jours, il est impossible de lire la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies de 1948 sans entendre les échos de la Grande Charte de 1215. Pas mal, pour un document qui n’a été respecté que pendant dix semaines.

Peter Aspden

La guerre des barons

Jean sans Terre (1166-1216), roi d’Angleterre à partir de 1199, s’engage dans un conflit coûteux avec le roi de France Philippe Auguste. Pour financer ses armées, il accroît la pression fiscale sur les nobles, qu’il traite sans ménagement. Ceux-ci se liguent et l’obligent à ratifier en 1215 la Magna Carta, en échange de laquelle ils renouvellent leur serment de fidélité. Quand le roi rejette finalement la charte, ils se rebellent ouvertement et vont jusqu’à offrir la couronne au prince Louis de France, le futur Louis VIII. La conséquence ne se fait pas attendre : en mai 1216, les Français débarquent. En juin, ils sont accueillis en libérateurs à Londres. A la mort de Jean en octobre, son fils Henri III devient roi à 9 ans. Les barons se rallient peu à peu à lui, et les Français finissent par être chassés, en septembre 1217.


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