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Salet Francis. Les monastères et la pénétration française en Espagne du XIe au XIIIe siècle. In: Bulletin Monumental, tome 100, n°1-2, année 1941. pp. 136-137.
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Les monastères et la pénétration française en Espagne du xie au xiiie siècle. — Voici un article de M. Guy de Valous qui, pour être surtout de caractère historique, n’en mérite pas moins de retenir l’attention des archéologues. Personne, à vrai dire, ne méconnaît l’importance des croisades dirigées contre les Musulmans d’Espagne, mais il faut savoir gré à l’auteur d’avoir écrit sur ce sujet une étude pleine d’aperçus et de détails nouveaux.
On ne compte pas moins de trente-quatre expéditions de la chevalerie française au delà des Pyrénées de 1018 à 1250, date à laquelle les Chrétiens d’Espagne devinrent assez forts pour se passer de tout secours étranger. L’auteur montre que c’est la Papauté qui les organisa et qu’elle se servit à cette fin des grands monastères de France : les abbayes de Sainte-Foy de Conques, de Saint-Pons-de-Thomières, de Saint-Vincent de Castres, de Saint-Victor de Marseille, de Cluny et de Moissac furent des centres actifs de propagande en faveur des croisades espagnoles. Derrière les armées françaises victorieuses, les moines français s’introduisirent dans les pays libérés du joug musulman pour leur imposer la réforme monastique, le rit romain et l’autorité pontificale. Ils y gagnèrent d’ailleurs des biens considérables que leur accordèrent les princes espagnols, en particulier le comte de Barcelone. C’est l’abbaye de Cluny qui joua le rôle essentiel dans la réforme des monastères espagnols, dans l’organisation du pèlerinage de Compostelle, dans le rapprochement de la France et de l’Espagne du nord.
On sait quelles furent les conséquences artistiques de ces événements politiques et religieux et combien fut profonde l’influence française au delà des Pyrénées. Sur ce sujet, M. Guy de Valous n’apporte rien de nouveau. Les analogies entre les grandes églises de pèlerinage, entre le chœur de Vézelay et celui d’Avila, entre les cathédrales de Reims et de Léon sont connues, non moins que la ressemblance de Clairvaux et d’Alcobaça, de Narbonne et de Gérone, de Fontfroide et de Tarragone. N’insistons pas davantage sur les sources de la sculpture romane espagnole qu’il faut chercher en Languedoc et en Bourgogne. L’action inverse, celle de l’art musulman sur l’art français, n’est pas moins nette et l’auteur suit les thèses de M. Emile Mâle sur l’origine des portails polylobés, des modillons à copeaux, des décors arabes du Puy. Mais je ne suis pas très sûr que les arcatures festonnées de la Charité-sur-Loire ou du clocher central de Tournus soient inspirées directement d’un édifice musulman ; tout au plus peut-on y voir l’emploi d’un motif venu d’Espagne, mais déjà passé dans les habitudes des constructeurs romans. Quoi qu’il en soit, cette courte mais substantielle étude des croisades d’Espagne ne fait qu’affermir encore les théories depuis longtemps admises sur la prépondérance de l’art français dans l’Espagne du nord et achèverait, s’il était nécessaire, de ruiner la thèse contraire soutenue par A. Kingsley Porter. — Revue Mabillon, 1940.