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Weulersse Jacques. Le problème indigène en Afrique Australe. Le Lessouto (Bassoutoland). In: Bulletin de l’Association de géographes français, N°45, 7e année, décembre 1930. pp. 89-91.

www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_1930_num_7_45_6492

 

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TEXTE INTÉGRAL

Communication de M. J. Weulersse

Le problème indigène en Afrique Australe.

Le Lessouto (Bassoutoland)

 

Le problème indigène est le plus grave de ceux qui se posent aujourd’hui en Afrique Australe. Les Blancs en effet n’y sont qu’une minorité, et pourtant ils veulent que leur pays reste exclusivement un « pays de blancs », « a white man’s country ». Ne voulant point accepter l’idée d’un partage équitable avec les indigènes, idée qui! leur paraît monstrueuse et comme sacrilège, ils ont été amenés à une politique de séparation des deux races, la politique dite de « ségrégation ». Imaginée par les Blancs, et appliquée par eux et pour eux, elle ne peut être qu’une politique de force, dirigée contre les indigènes et qui tend à fonder toute la prospérité de la population blanche sur le travail et la misère des masses noires.

Pourtant, au cœur même de l’Union Sud-Africaine, une région a échappé et échappe encore à cette dure politique d’exploitation férocement sociale : c’est le Pays habité par les Bassoutos et qu’ils appellent eux-mêmes le Lessouto.

Au début du xixe siècle, le vaste et riche pays qui s’étend sur plus de 500 km. du Nord au Sud, aux pieds des Drakensberg, aux sources de l’Orange et du Galedon, était encore presque désert ; seules, quelques misérables tribus de « Bushmen » dégénérés y menaient leur pauvre vie précaire.

C’est vers 1820 qu’apparaissent les Bassoutos, appartenant à l’une des plus remarquables tribus Bantous. Ils venaient du Nord, fuyant devant les Zoulous. Un de leur chef, Mosheh, se révéla grand conducteur d’hommes, groupa leurs hordes dispersées, et s’établit dans la région, déserte alors, et qui devait devenir le Bassoutoland. Le pays offrait, en effet, des conditions idéales : à l’Est, les hautes chaînes des Drakenberg, tombant à pic sur les plaines côtières, formaient un rempart infranchissable aux expéditions guerrières des Zoulous ; les hauts pâturages des montagnes permettaient le développement de l’élevage extensif des moutons et des bœufs, fondement de l’économie de ces peuples-pasteurs ; les riches vallées du Bas-Lessouto, enrichies des alluvions volcaniques provenant du haut pays, offraient un sol riche et vierge aux cultures, tandis que les buttes gréseuses, aux flancs à pic, formaient de vraies Acropoles naturelles où se réfugier en cas d’invasions étrangères. L’une de celles-ci, Thaba-Bosigo, la « Montagne de la nuit », devint la forteresse de Mosheh, qui, par deux fois, y défit les Zoulous d’abord, puis les fermiers-boërs de l’Orange, attirés par la richesse des» terres. Elle devint la « Montagne sainte » du Lessouto, et sa capitale.

Cependant, Mosheh comprit qu’il ne pourrait toujours résister aux attaques des Boërs, de plus en plus nombreux. C’est alors qu’apparaît l’influence française. Dès 1833, en effet, des missionnaires protestants français y étaient venus s’établir. Ils surent gagner la confiance des Bassoutos et de leurs chefs. Ne pouvant faire appel à la France, trop lointaine, ils comprirent que seule l’Angleterre pourrait sauver les Bassoutos de la conquête boër. Sur leur conseil, en 1868, Mosheh se donna, lui et son pays, à la Couronne d’Angleterre, mais à condition que celle-ci respecterait les coutumes indigènes et que la contrée serait fermée à’ l’exploitation des Blancs. L’Angleterre accepta le protectorat. Une tentative d’annexion à la Colonie du Cap (1871), fut suivie, quelques années plus tard, d’une longue révolte (1879-1881),et l’on rétablit le Protectorat (1883). Dès lors, la paix ne fut plus troublée, même lors de la guerre du Transvaal, car les deux partis s’abstinrent de violer les frontières du Lessouto.

Actuellement donc, le Lessouto forme un état indigène, indépendant de l’Union qui l’entoure, sous le protectorat impérial, représenté par un « Resident-Commissionner », siégeant à Maseru, sur la rive méridionale du Calédon, et le seul point du pays atteint par chemin de fer. Le pouvoir indigène est représenté par le Conseil des chefs que préside le « Paramount chief », choisi par eux. Dans tout le pays, il est interdit aux Blancs de s’établir sans une autorisation spéciale et expresse du « Conseil » et des chefs : ni concession foncière, — bien que le sol soit riche — , ni concession minière, — bien qu’il y ait des diamants et peut-être de l’or — , ni concession de travaux publics. Les seuls Blancs du pays sont les « officiels » britanniques, les missionnaires — catholiques et protestants français pour la plupart — et quelques commerçants ayant obtenu le droit d’installer un comptoir.

Aussi la vieille économie bantoue subsiste-t-elle dans son intégralité ; le hameau est l’unité sociale, il a gardé tout son cachet avec ses larges huttes aux murs de pierres équarries, coiffées du haut toit conique en chaume de sorgho (Kaffir-Corn), précédées d’une sorte de courette-antichambre, où se déroule toute la vie domestique. Au centre, se trouve le « kroal », l’enceinte de pierre où se rassemblent les troupeaux pour passer la nuit. Pas de tenure individuelle, c’est encore l’antique exploitation communiste du sol et des biens.

L’individu n’est rien ; il ne vit que par et pour le village ou la tribu. Aussi, sur toute l’étendue du Lessouto, on ne rencontre ni une haie, ni un mendiant. Quel autre pays pourrait en dire autant ? Pourtant, l’influence européenne existe. Grâce à la bienveillante impartialité du Gouvernement anglais, les missionnaires protestants français, auxquels se joignent maintenant les catholiques, ont pu poursuivre leur œuvre éducative : écoles, enseignement religieux, enseignement technique, etc. Les deux capitales religieuses du pays, la protestante Morija et Roma la catholique, sont toutes deux françaises, et ce sont des protestants français qui ont élevé le parler du pays, le « Sessouto », au rang d’une vraie langue. Ils ont réussi à faire de ce lointain protectorat britannique l’une de nos plus séduisantes créations coloniales.

Mais quel sera l’avenir ? Dès maintenant, le pays est surpeuplé (540.000 h. en 1925 contre 127.000 en 1875), et, chaque année, plus de 80.000 Bassoutos doivent s’expatrier pour chercher du travail dans les « compounds » du Rand. Et puis, n’est-il pas à craindre que l’autorité du Gouvernement impérial de Londres, plus faible d’année en année, ne suffise plus un jour pour protéger le Lessouto contre les appétits annexipnnis- tes des nationalistes de l’Union Sud-Africaine, ruinant ainsi cette œuvre centenaire et sans doute unique en Afrique Noire, de colonisation désintéressée, et, si l’on peut dire, spirituelle.


Discussion

M. Pimienta demande si les corniches rocheuses aperçues sur les photographies n’ont pas été utilisées pour l’habitat (grottes, abris sous roche). M. Weulersse, au cours de son voyage en Afrique Australe n’en a relevé aucun indice.

M. de Margerie demande, si parmi les nombreux cas de toponymie française rencontrés dans le Lessouto (Bassouto- land), il ne s’en trouve pas qui remonteraient à l’émigration calviniste du xvu » siècle. D’après M. Weulerssk, les noms de lieux français seraient beaucoup plus récents. Le Mont aux Sources n’aurait été découvert et dénommé par les missionnaires protestants qu’on 1838.

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