
1980. Visite apostolique de Jean-Paul II
A la messe célébrée à l’aéroport du Bourget, le 11 juin 1980, le pape Jean-Paul II avait choisi comme thème de son homélie : « France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? » Après un développement saisissant sur l’alliance de l’homme avec la sagesse, qui est la source de la culture, et sur l’effondrement de cette alliance, Jean-Paul II conclut par cette adjuration pathétique : « Permettez-moi, pour conclure, de vous interroger : France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? Permettez-moi de vous demander France, fille aînée de l’Église et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la sagesse éternelle ? »
Origine du droit d’aînesse
Le roi de France, fils aîné de l’Eglise. La première expression répertoriée est romaine. C’est le pape Alexandre VI qui, dans des circonstances difficiles, accueille, le 19 janvier 1495, le roi de France Charles VIII sur le chemin de Naples, avec ses troupes françaises. Le roi lui dit « Saint-Père, je suis venu pour faire obédience à Votre Sainteté, comme ont accoutumé de faire mes prédécesseurs, rois de France. » Le pape, tenant de sa main gauche la main droite du roi, lui répondit en l’appelant son fils aîné.
Les prérogatives ainsi formulées étaient fort anciennes, comme en témoigne la lettre de saint Grégoire Ier au roi mérovingien Childebert II en 595 : « Autant la dignité royale est au-dessus des autres conditions humaines, autant votre dignité à vous l’emporte sur celle de tous les autres rois. Régner est peu de chose, puisque d’autres que vous sont rois, eux aussi, mais ce qui vous constitue un titre unique que les autres ne méritent pas, c’est d’être catholique. »
Deux siècles plus tard, c’est le pape Étienne II qui écrit à Pépin le Bref dont il implore le secours contre les Lombards en 756 : « Au-dessus de toutes les nations qui sont sous le ciel, votre peuple franc s’est montré dévoué envers moi, Pierre, apôtre de Dieu. » Cinq siècles plus tard, le 21 octobre 1239, le pape Grégoire IX sollicite l’aide de saint Louis contre l’empereur Frédéric II. Dans l’ancienne loi, lui dit-il, Juda avait la préséance sur les autres tribus, ainsi le royaume de France a été placé par Dieu au-dessus de tous les peuples ; Jésus-Christ l’a choisi comme l’exécuteur spécial des volontés divines, il l’a suspendu à ses reins en guise de carquois et il en tire des flèches pour les lancer contre les méchants.
Fils aîné de l’Eglise, roi très chrétien
L’ambassadeur de France présente son souverain, le roi Louis XII, en consistoire public, le 21 avril 1505, au pape Jules II : « Premier fils du Saint-Siège par la naissance. » Ainsi fera le chancelier Du Prat le 11 décembre 1515 lors de la célèbre entrevue de Bologne entre Léon X et François Ier : « Tandis que les autres rois et princes chrétiens ont l’habitude de témoigner au pape leur obéissance filiale par simple délégation, lui, François, est venu en personne jurer fidélité à Léon, comme le fils alité à son père, le plus grand des rois au Souverain Pontife, le prince très chrétien au chef de la chrétienté. »
France, royaume aîné de l’Eglise
L’expression « fille aînée de l’Église » fut donnée en février 1564 à Catherine de Médicis par le nonce Prospero di Santa Croce, au cours de l’entretien qu’il eut avec elle sur la promulgation en France des décrets du concile de Trente. Henri IV s’attribuait le titre avant même sa conversion. Louis XIV, au faîte de sa gloire, obtiendra que le titre soit dûment mentionné dans le traité de Pise, le 12 février 1664. Louis XVIII s’adressa à Léon XII en ces termes : « Animé des mêmes intentions que les rois, mes prédécesseurs, je me plais à déclarer à Votre Sainteté qu’en ma qualité de Fils aîné de l’Église je regarde comme un devoir de justifier ce titre glorieux.
Vocation catholique de la France et fidélité au Saint-Siège
Le cardinal Alfred Baudrillart, recteur de l’Institut catholique de Paris, a consacré ses six conférences de Carême de l’année 1928 dans la chaire de Notre-Dame à « la vocation catholique de la France et à sa fidélité au Saint-Siège, à travers les âges ».
« Tandis que se constituait le gouvernement spirituel du monde, que faisaient nos ancêtres ? Ils devenaient romains, ils devenaient chrétiens… Le Franc inconnu qui, vers la fin du VIe siècle rédigeait le prologue de la loi salique jetait aux siècles à venir ce cri épique qu’ils ont recueilli » Vive le Christ qui aime les Francs ! » »
Clovis ne s’était-il pas écrié, au récit de la Passion du Christ : « Que n’étais-je là avec mes Francs ? Lorsque la papauté appelle au secours, étouffée qu’elle est, à Rome même, entre les Lombards et les Byzantins, Pépin et ses fils triomphent des ennemis du pape, et par leurs donations successives constituent l’État temporel qui, pour de longs siècles, garantira l’indépendance nécessaire du pontife romain. La reconnaissance fut proportionnée aux services rendus. Pépin le Bref est sacré roi par Étienne Il et Charlemagne est couronné empereur par Léon 111, la nuit de Noël, en l’an 800. Les conférences de Baudrillart se terminent par la page célèbre de l’épreuve de la séparation qui inspira saint Pie X : « Le pape, avec un accent prophétique dans l’allocution consistoriale du 29 novembre 1911, annonçait le relèvement du peuple qui avait fait alliance avec Dieu aux fonts baptismaux de Reims et son retour à sa première vocation : » Un jour viendra, s’écriait-il, et nous espérons qu’il n’est pas très éloigné, où la France, comme Paul sur le chemin de Damas, sera enveloppée d’une lumière céleste et entendra une voix qui lui répétera : » Ma fille, pourquoi me persécutes-tu ? » Et sur sa réponse » Qui es-tu Seigneur ? « , la voix répliquera : « Je suis Jésus que tu persécutes. Il t’est dur de regimber contre l’aiguillon, parce que, dans ton obstination, tu te renies toi-même. » »
J’entends encore Paul VI me dire « Le Français exerce la magistrature de l’universel. » Recevant officiellement le général de Gaulle, président de la République, le 31 mai 1967, le pape salue en sa personne la France, « cette nation qui a tant contribué à enrichir le patrimoine culturel de l’humanité, et dont l’incomparable rayonnement religieux et missionnaire est d’un si grand prix aux yeux de l’Église. »
Cardinal Paul Poupard
In : CHRETIENS MAGAZINE N°190 p9-11
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