
Parution: mars 2000
pages page 67 et suiv.)
RÉSUMÉ
Ce livre rassemble une série d’articles qui ont paru du 7 août au 18 décembre 1999 dans le supplément culturel hebdomadaire du quotidien Le Temps (Genève). Leur but était de retracer à grands traits, en vingt épisodes et siècle après siècle, les étapes historiques principales de l’aventure chrétienne occidentale, avec ses ombres et ses lumières. Que le lecteur ne s’y trompe pas : ces articles ne prétendent pas à l’exhaustivité. Des choix ont été effectués, des événements soulignés, d’autres écartés. L’important à nos yeux était de faire acte de mémoire et surtout de donner au lecteur, qu’il soit croyant ou non, l’envie d’en savoir plus sur ses origines religieuses et culturelles. En seconde partie, le lecteur découvrira vingt figures bibliques. Certaines appartiennent à la Bible hébraïque (que les chrétiens appellent l’Ancien Testament). Elles nous font entrevoir comment les Hébreux, puis les Juifs, lisaient leur histoire en fonction de leur croyance en Dieu. Ces personnages parlent aussi aux chrétiens, pour qui la venue de Jésus – qui fonde une nouvelle Alliance – est annoncée dans l’Ancien Testament. C’est pourquoi ces petits portraits sont parfois replacés dans une perspective chrétienne. Enfin, quelques figures célèbres du Nouveau Testament viendront compléter le tableau. Ceci pour illustrer la continuité entre les deux Testaments, ou un événement-clé des origines du christianisme.
EXTRAIT
pages 67 et s. (traitement ocr amélioré)
VIII° SIÈCLE
LA CRISE ICONOCLASTE
La querelle autour de la vénération des icônes divise l’Eglise byzantine. Rome rompt sa dépendance juridique à l’égard de Constantinople et fait alliance avec la monarchie franque, seule capable de la défendre contre les invasions des Lombards.
Alors on put voir, dans toutes les campagnes et dans toutes les villes, les gens pieux pousser des cris de détresse et de lamentation, tandis que les impies foulaient aux pieds des objets consacrés, profanaient la vaisselle liturgique, grattaient ou recouvraient de chaux les murs des églises parce qu’ils portaient de saintes images. Et là où il y avait de pieuses représentations du Christ, de la Mère de Dieu ou des saints, ils les livraient au feu, à la démolition ou au badigeonnage, tandis que les scènes où figuraient des arbres, des oiseaux, des bêtes sans raison et tout particulièrement des scènes diaboliques d’équitation, de chasse, de spectacles et de courses de chars étaient conservées avec respect et même restaurées.»
Ces événements, décrits dans la Vie d ‘Etienne le Jeune, ont lieu au moment où se réunit un concile dans le palais de Hiéréia à Constantinople, c’est-à-dire entre le 10 février et le 8 août 754.
L’empereur Constantin V a convoqué les évêques orientaux pour discuter de la vénération des icônes et des images. Il est farouchement opposé à toute forme d’art religieux qui représente les saints, le Christ ou la Vierge. Les images, déclare-t-il, ne donnent à ces derniers qu’une apparence humaine sans réussir à montrer leur gloire divine. Elles trahissent en quelque sorte leurs modèles, et leur culte doit être interdit. Pratiquement tous les évêques réunis suivent l’empereur et condamnent la vénération des icônes comme un acte idolâtre. Un régime de terreur s’installe. La persécution commence.
La controverse iconoclaste s’est développée durant plus d’un siècle (726-843). Au VIIIè siècle, elle a atteint son apogée sous l’empereur Constantin V (741-775) et représenté un important facteur de division au sein de l’Église byzantine, de même qu’entre Constantinople et Rome.Son issue a fondé l’orthodoxie, selon l’historien Gilbert Dagron, spécialiste de la question. A ses yeux, «il faut imaginer que l’iconoclasme et l’établissement de l’orthodoxie furent des chocs culturels comparables, toutes pro portions gardées, à la Réforme et à la Contre-Réforme.»
La querelle a des racines lointaines. Encore imprégnés des mises en garde contre l’idolâtrie païenne de l’Ancien Testament, les premiers chrétiens entretiennent un rapport ambigu avec les images. Le Décalogue ne dit-il pas: «Tu ne feras aucune image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre, ici-bas, ou dans les eaux, au-dessous de la terre»?
Mais l’image représente un soutien pédagogique pour les fidèles illettrés. Aussi, les premières manifestations artistiques de la foi chrétienne reposent-elles sur des symboles ou des allégories. Cependant, aux v1e et vue siècles, la vénération des icônes prend une telle ampleur qu’elle verse souvent dans l’idolâtrie. Les iconoclastes ont donc beau jeu de dénoncer ces excès en s’appuyant sur les inter dictions vétérotestamentaires.
Peut-être ont-ils été partiellement influencés par les Arabes qui rejettent la représentation humaine. Au début du VIIIe siècle, l’iconoclasme est solidement implanté en Asie mineure et à Constantinople. Ses partisans ont convaincu l’empereur Léon III qui, le 7 janvier 726, prend position publiquement contre le culte des images. Le patriarche Anastase rédige un document iconoclaste qu’il envoie au pape Grégoire II. Celui-ci ne veut rien savoir de cette nouvelle lubie byzantine et manifeste son ferme attachement au culte des images.
En signe de représailles, l’empereur place l’Illyrie, la Calabre et la Sicile sous juridiction byzantine. Les relations entre Rome et Constantinople, une fois de plus, se dégradent. Toutefois, contrairement à ce que les historiens pensaient il y a quelques années encore, l’iconoclasme semble avoir été plutôt modéré sous le règne de Léon III, n’entraînant ni persécutions, ni destructions d’images.
Pendant les premières années de son règne, Constantin V, fils de Léon III, œuvre à la stabilité intérieure et extérieure de son royaume. Ce n’est qu’en 752 qu’il lance sa campagne contre le culte des images. Pour imposer ses idées, Constantin convoque, en 754, le concile de Hiéréia qui condamne la vénération des icônes. Commence alors une véritable chasse aux images. Les mosaïques sont arrachées, les icônes détruites. Les iconoclastes s’attaquent également aux reliques. Les moines, fervents partisans des icônes, sont fouettés, torturés, noyés, forcés à se marier. Les livres monastiques enluminés sont jetés au feu.
La répression se fait moins forte après la mort de Constantin en septembre 775. Son fils Léon IV apaise les hostilités mais ne lève pas l’interdiction des images. A sa mort en 780, son épouse Irène prend la régence. Iconophile, elle convoque un concile œcuménique à Nicée en 787. Les décisions prises lors du concile de 754 sont annulées, le culte des images restauré, l’iconoclasme condamné.
Le IXè siècle connaîtra encore une crise iconoclaste,qui se terminera elle aussi par la restauration du culte des images en 843 et un encadrement théologique de l’art religieux. C’est à ce moment que la vénération des icônes donnera son identité à l’orthodoxie. La liturgie byzantine acquerra les caractéristiques majeures qui sont encore aujourd’hui les siennes.
Au VIIIe siècle, la controverse iconoclaste contribue à l’incompréhension croissante entre Rome et Constantinople et s’ajoute à des problèmes d’ordre politique. Rome est toujours juridiquement soumise à Byzance. Mais les appuis de l’Empire d’Orient en Italie s’effondrent peu à peu sous les coups des Lombards. Ceux-ci s’emparent en 751 de l’exarchat de Ravenne, dernier rempart byzantin dans la Botte.
Le duché de Rome est menacé. C’en est trop: la papauté n’a que faire d’un Empire incapable de défendre l’Italie. Le pape Etienne II contacte Pépin le Bref, successeur de Charles Martel, un carolingien qui avait réussi à recréer un centre d’autorité en Gaule. Depuis, les Francs apparaissaient comme une force montante dans l’Europe des barbares. Le salut de Rome ne pouvait venir que d’eux, bien que, de fait, la papauté eût pris en main les affaires civiles et militaires de l’Italie depuis le règne du pape Grégoire Ier (590-604).
En effet, face aux invasions barbares et à l’incapacité de Byzance de s’y opposer, les papes avaient été amenés par les circonstances et à leur corps défendant à affermir leur pouvoir temporel. Ils durent ainsi créer une armée pour défendre ce qu’on commençait à appeler le «patrimoine de saint Pierre». Armée qui s’avéra insuffisante au VIIIè siècle.
En 754, Etienne II conclut une alliance avec Pépin le Bref, qui la met aussitôt en pratique en déclarant la guerre aux Lombards. En 756, ces derniers sont contraints de livrer au pape les vingt-deux villes de l’exarchat ainsi que d’autres territoires. Les États pontificaux sont nés. Autre événement important: Etienne II, peu après la conclusion de l’alliance avec le roi carolingien, sacre ce dernier, ainsi que toute sa famille, et lui décerne le titre de «patrice des Romains», c’est-à-dire «Seigneur» des Italiens.
En se mettant sous la protection du monarque franc, le pape rompt les dernières amarres de Rome avec Byzance. A partir de ce moment, l’histoire du christianisme occidental va se confondre avec le destin de la monarchie franque jusqu’à la fin du IXe siècle. Charlemagne, successeur de Pépin le Bref, conquerra une grande partie de l’ancien Empire romain. En l’an 800, le pape Léon III fera de Charlemagne un empereur.
CHRONOLOGIE
- 711 Les musulman s envahissent l’Espagne
- 715-731Règne du pape Grégoire II
- 717-741 Règne de l’empereur Léon III
- 726 Léon III exprime son opinion négative sur le culte des images
- 732 Victoire de Charles Martel contre les musulmans à Poitiers
- 732 Léon III détache la Calabre, la Sicile et l’lllyrie de la juridiction romaine
- 751 Les Lombards envahissent l’exarchat de Ravenne
- 754 Donation de Pépin le Bref à la papauté
- 768-814 Règne de Charlemagne, roi des Francs
- 787 7è Concile œcuménique à Nicée. Condamnation de l’iconoclasme
- 800 Couronnement de Charlemagne à Rome le jour de Noël