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EXTRAIT [p. 206 et suiv.]
Les Goths n’avaient que trop bien réussi à restaurer l’Empire. L’administration impériale avait reparu, et avec elle tous les abus qu’elle entraînait. L’esclavage avait été maintenu sévèrement dans l’intérêt des propriétaires romains. Imbus des idées byzantines dans leur long séjour en Orient, les Goths en avaient rapporté l’arianisme grec, cette doctrine qui réduisait le christianisme à une sorte de philosophie, et qui soumettait l’Église à l’État. Détestés du clergé des Gaules, ils le soupçonnaient, non sans raison d’appeler les Francs, les barbares du Nord. Les Burgundes, moins intolérants que les Goths, partageaient les mêmes craintes. Ces défiances rendaient le gouvernement chaque jour plus dur et plus tyrannique. On sait que la loi gothique a tiré des procédures impériales le premier modèle de l’inquisition.
La domination des Francs était d’autant plus désirée, que personne peut-être ne se rendait compte de ce qu’ils étaient. Ce n’était pas un peuple, mais une fédération, plus ou moins nombreuse, selon qu’elle était puissante ; elle dut l’être au temps de Mellobaud et d’Arbogast, à la fin du ive siècle. Alors les Francs avaient certainement des terres considérables dans l’Empire. Des Germains de toute race composaient sous le nom de Francs les meilleurs corps des armées impériales et la garde même de l’empereur. Cette population flottante, entre la Germanie et l’Empire, se déclara généralement contre les autres barbares qui venaient derrière elle envahir la Gaule. Ils s’opposèrent en vain à la grande invasion des Bourguignons, Suèves et Vandales, en 406 ; beaucoup d’entre eux combattirent Attila. Plus tard, nous les verrons, sous Clovis, battre les Allemands près de Cologne, et leur fermer le passage du Rhin. Païens encore, et sans doute indifférents dans la vie indécise qu’ils menaient sur la frontière, ils devaient accepter facilement la religion du clergé des Gaules. Tous les autres barbares à cette époque étaient ariens. Tous appartenaient à une race, à une nationalité distincte. Les Francs seuls, population mixte, semblaient être restés flottants sur la frontière, prêts à toute idée, à toute influence, à toute religion. Eux seuls reçurent le christianisme par l’Église latine. Placés au nord de la France, au coin nord-ouest de l’Europe, les Francs tinrent ferme et contre les Saxons païens, derniers venus de la Germanie, et contre les Wisigoths ariens, enfin contre les Sarrasins, tous également ennemis de la divinité de Jésus-Christ. Ce n’est pas sans raison que nos rois ont porté le nom de fils aînés de l’Église.
L’Église fit la fortune des Francs. L’établissement des Bourguignons, la grandeur des Goths, maîtres de l’Aquitaine et de l’Espagne, la formation des confédérations armoriques, celle d’un royaume Romain à Soissons sous le général Égidius, semblaient devoir resserrer les Francs dans la forêt Carbonaria, entre Tournay et le Rhin. Ils s’associèrent les Armoriques, du moins ceux qui occupaient l’embouchure de la Somme et de la Seine. Ils s’associèrent les soldats de l’Empire, restés sans chef après la mort d’Égidius. Mais jamais leurs faibles bandes n’auraient détruit les Goths, humilié les Bourguignons, repoussé les Allemands, si partout ils n’eussent trouvé dans le clergé un ardent auxiliaire, qui les guida, éclaira leur marche, leur gagna d’avance les populations.
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