EXTRAITS [1]

Clovis vainqueur [des Alamans] devient le disciple de Remi. Toutefois, une crainte l’arrête encore : son peuple ne le désapprouvera-t-il pas ? S’il faut en croire la version édifiante de Grégoire de Tours, quand il consulte les Francs, ceux-ci s’écrient : « Nous abandonnons les dieux mortels, pieux roi : nous sommes prêts à suivre le Dieu immortel que prêche Remi ». L’évêque prépare le baptême : les places de Reims, l’église sont ornées de riches tentures ; dans le baptistère, décoré avec soin, l’encens brûle, les cierges brillent. Clovis s’agenouille : « Sicambre, dit Remi, baisse humblement la tête, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ». Avec lui, trois mille guerriers reçoivent le baptême (Noel 496).
Tel fut l’évènement qui, plus que tout autre, fixa les destinées de la Gaule. Lorsque Grégoire de Tours, à ce propos, compare Clovis à Constantin, il ne se trompe point. Pour l’un comme pour l’autre on s’est demandé si la conversion était sincère, si la politique n’y avait pas plus de part que la foi ; mais les actions humaines procèdent rarement d’un seul mobile : le caractère merveilleux des récits évangéliques, l’éclat des cérémonies religieuses frappèrent l’imagination de Clovis : la puissance de l’Eglise, le rôle de ses évêques le décidèrent à faire cause commune avec le catholicisme. Toutefois une faible partie des Francs suivit d’abord son exemple : ceux qui étaient déjà dans les régions du Nord et de l’est restèrent fidèles à leurs dieux.
La conversion de Clovis ne modifia point son caractère ; la morale douce et pacifique de l’Evangile ne toucha pas son cœur. Le jour du baptême, comme Remi lisait l’Evangile de la Passion, le rude chef franc se serait écrié : « Si j’avais été là avec mes Francs, j’aurais vengé le Christ ». Dès lors, dans ces peuples hérétiques qui occupaient la majeure partie de la Gaule, il poursuivit tout à la fois ses ennemis et ceux du Christ.
Les catholiques comprirent aussitôt l’importance de leur victoire. En face des rois ariens, de Théodoric, de Gondebaud, d’Alaric, Clovis devenait leur roi. Désormais, dans toute la Gaule, les évêques furent ses alliés. Le chef de l’épiscopat en Burgondie, l’illustre Avitus, s’empressa de le féliciter. « Votre adhésion à la foi, disait-il, est notre victoire, » et il l’engageait à propager le catholicisme chez les peuples barbares plus éloignés, « que n’ont pas encore corrompus les doctrines hérétiques ». Ainsi parlait celui dont Gondebaud avait fait un de ses conseillers les plus écoutés et il ajoutait, par une claire allusion au roi burgonde, qu’il avait vainement essayé de convertir : « Beaucoup, quand les évêques ou leurs amis les exhortent à croire à la vraie foi, allèguent les traditions, les rites de leur peuple ; par fausse honte ils compromettent leur salut. Qu’on cesse, après l’exemple que vous avez donné, d’invoquer de pareil prétextes ».
[1] Bayet, Charles. Le christianisme et les Germains en Gaule, in Histoire de France d’Ernest Lavisse. Editions des Equateurs, rééd.2010, T3 p99.