Le baptême de Clovis naissance de la nation française (Euloge Boissonnade, 1996)

Avant-Propos

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L’un de nos académiciens, historien distingué, se plaignait naguère du peu de place accordée à l’Histoire dans les programmes scolaires, à l’époque où un ministre de l’Education Nationale tentait de remettre en vigueur les cours d’Instruction Civique. Ces préoccupations étaient symptomatiques d’un souci de recherche de nos racines.

A l’heure où se joue sans que nous en ayons exactement conscience, le sort de l’identité française, sous les regards indifférents des nos hommes politiques, la commémoration du baptême de Clovis nous apparaît d’une importance majeure. Elle arrive à point nommé pour nous remettre en mémoire l’histoire d’un pays enfanté dans des circonstances difficiles et souventes fois émouvantes.

Ce patrimoine légué par nos lointains ancêtres a fait la renommée de la France. Il nous appartient donc de le défendre, par devoir, envers et contre tous. C’est la ligne maîtresse que nous avons suivi tout au long de ce récit.

Clovis n’ayant eu, mis à part Grégoire de Tours souvent contesté, ni biographe, ni barde pour célébrer ses exploits, il y avait trois manières d’écrire l’histoire de Clovis et de l’épopée mérovingienne. La première, fondée sur quelques documents historiques et l’unique Histoire des Francs de Grégoire de Tours. En puisant quelques passages de la chronique de Frédégaire et de la Gesta Francorum d’un auteur anonyme. Autant dire, pas grand chose.

Pour faire comprendre la difficulté de l’entreprise, signalons que l’on trouve plus d’éléments pour dresser un portrait de Clodion que celui de son fils Mérovée, l’existence de ce dernier étant même mise en doute par de nombreux spécialistes. En revanche, cette période de l’histoire des Gaules est riche en légendes. Si riche que les chartistes nous mettent en garde contre cette histoire parallèle, tout en soulignant qu’elle pourrait bien contenir une large part de vérité. Cette mine a été exploitée avec virtuosité par quelques historiens à la fin du siècle dernier.

Enfin, la troisième solution consistait à écrire l’épopée de notre premier véritable roi de France, en prenant les légendes comme base lorsqu’elles étaient étayées par des dates et des événements historiques irréfutables.

C’est ce dernier mode de rédaction que nous avons choisi, d’abord parce qu’il permet d’envisager toutes les hypothèses sans travestir la vérité, de suivre plusieurs filières, en laissant au lecteur le choix de solutions diversifiées mais guère éloignées les unes des autres.

En superposant les événements aux dates, les personnages aux faits irrécusables, à la généalogie connue des princes de la famille mérovingienne, mais aussi à celles d’autres dynasties, tels les Goths, les Burgondes et les Gallo-Romaines, on voit alors apparaître en filigrane l’histoire réelle de ce roi hors du commun.

Nous nous sommes évertué à donner au baptême du roi païen, toute l’importance qu’il revêt, en le traitant non seulement en tant que sacrement, mais comme l’acte politique le plus important de l’avènement de la nation française.

Dans le fatras d’informations où la diplomatie s’enchevêtre à la religion et à l’Histoire, il était indispensable d’alléger les textes de tous les miracles qui les encombrent, sans toutefois les occulter, puisqu’ils font partie de l’Histoire.

L’exemple de Grégoire est symptomatique. Pour l’évêque de Tours, la vie de Clovis se résume en une succession de miracles. Son horizon, comme l’exprime si bien Ferdinand Lot « ne dépasse pas l’Eglise, ses droits et ses intérêts ». Charles Victor Langlois est encore plus sévère : « Grégoire, écrit-il, est trop miraculeux dans ses digressions pieuses. Ces dernières finissent par être la trame de son récit, le fils ordinaire de ses préoccupations.»

A telle enseigne, ajouterons-nous, qu’il en arrive à excuser les crimes les plus abominables des premiers rois Francs, dés l’instant où ils sont perpétrés sous le signe de la Très Sainte Trinité.

Clovis, personnage complexe, présente un caractère où se mêle la rusticité à la roublardise diplomatique. Ses actes de violence, furent parfois tempérés par des coups de cœur inattendus. Il se distingue, par ailleurs des autres princes de la dynastie par un étonnant sens prémonitoire en matière politique, appuyé par d’exceptionnelles aptitudes guerrières. Lorsqu’il surgit de la « forêt Charbonnière » pour envahir la Gaule, le Germain Clodowech eut le premier, l’intuition que ce pays par la richesse de ses ressources, la variété de son relief, pouvait devenir le creuset d’une nation.

Le terme France viendra bien plus tard lorsque le guerrier aura assis sa domination sur les régions qui constituent aujourd’hui notre pays. Anastase, le souverain pontife ne s’y est pas trompé, évoquant le ralliement de Clovis à la religion catholique, il emploie pour la première fois, le terme de Nation.

Clovis le Franc réussit, en moins de vingt ans à poser le schéma de la France, ce que n’avait pu faire Vercingétorix le Gaulois. Du fait du remembrement auquel il s’est méthodiquement livré au cours de son règne dans le but de créer une sorte d’entité nationale cohérente, Clovis est indiscutablement le fondateur de la monarchie française et, en résultant, de l’État le plus ancien d’Europe. Les Francs mis à part, tous les autres royaumes barbares se sont effondrés. Ni les Wisigoths d’Espagne, ni les Ostrogoths d’Italie, pas plus que les Alamans de Germanie, voire les Vandales d’Afrique, n’ont survécu. Et pourtant, ces barbares que les Romains qualifiaient « d’hommes de guerre » en raison de leur caractère belliqueux, ne comptaient, lors de leur victorieuse chevauchée en Gaule, pas plus de cent cinquante mille individus.

Certes, les Mérovingiens vont disparaître, mais lorsqu’ils quitteront la scène politique pour s’effacer devant les Maires du Palais, ils laisseront les structures d’une véritable nation, et surtout un pays qui survivra aux invasions, aux révolutions, aux changements de régime : la France.

La veillée de Clovis

« Le jour de Noël où Clovis naquit au Christ,
naquit aussi l’Eglise de France. »
Georges Tessier

 

En cette veille de Noël 496, la nuit est tombée depuis longtemps sur Reims, enfouie sous un manteau de neige. Pas une âme dehors, mais les fenêtres de l’ancien palais de l’empereur romain Valentinien 1er, brillent de l’éclat de myriades de chandelles.

Soudain la haute stature d’un guerrier surgit dans l’ombre de la porte monumentale.

« Gloire à toi, Clovis !… », s’écrie le factionnaire de garde, brandissant sa framée.

Le chef franc répond au salut et s’éloigne à longues enjambées. La bise aigre lui fouette le visage et déploie comme une auréole sa longue chevelure blonde, autour de ses puissantes épaules.

Le roi des Francs Saliens se dirige vers la basilique Saint-Pierre où il passera sa veillée baptismale. Sa décision sera un facteur déterminant dans l’histoire de la création de la France.

Premier chef barbare converti au christianisme, son acte se répercutera à travers les siècles. La création d’un royaume chrétien au cœur de l’Europe de confession arienne était sans doute une provocation, mais aussi une décision de génie. Déplaçant le centre de gravité politique de l’occident, elle transférait à la France les devoirs et la destinée de Rome déchue. Et il n’est pas aventureux d’attribuer à Clovis une vision étonnante pour l’époque du rôle que pourrait jouer sur le plan politique un Etat soutenu par cette puissance structurée et efficace que constituait l’Église.

Dès cet instant il sera attendu en libérateur par l’épiscopat et la noblesse des États encore sous le joug des rois hérétiques. Sur le parvis il secoue ses cothurnes alourdies par la neige. Le visage grave, soudain intimidé, il pénètre dans la chapelle, s’agenouille et ânonne avec application les prières patiemment apprises par l’évêque Remi et Clotilde son épouse.

Dans la pénombre de l’église faiblement éclairée par quelques lampes à huile, son regard se brouille. En surimpression, sur le Christ, ce fils du Dieu unique dont il a eu tant de peine à admettre l’existence, les dieux païens qu’il est appelé à renier, réapparaissent.

Demain, il se vouera corps et âme à cette religion récente, pour la défense de laquelle il a vu avec étonnement, souffrir et mourir tant de fidèles.

Seul, sous les voûtes d’où descend un froid pénétrant, l’ancien chef des hordes franques se relève. Croisant les bras sur sa large poitrine, il se remémore les épisodes de sa fulgurante ascension.

Il se revoit à la mort de son père, Childéric, à la tête de la petite tribu de Tournai, en butte aux attaques des nombreux roitelets, avides de se partager les dépouilles de l’Empire de
César et des féroces Alamans. Ceux-ci franchissant périodiquement le Rhin, menaçaient de s’établir en Gaule.

Pour Clovis, survivre c’était dominer. Clairvoyant et hardi, il s’était d’abord attaqué à Syagrius, chef du petit Etat de l’Ile de France, dernier vestige de la puissance romaine. Les images défilent dans son esprit se superposant aux vitraux de la basilique. Taillé en pièces Syagrius s’était réfugié à Toulouse à la cour du roi des Wisigoths Alaric II.

Et puis il y avait eu son mariage avec Clotilde cette adorable princesse Burgonde, et Tolbiac, cette terrible bataille où il prononça son serment d’allégeance à la nouvelle religion. Agenouillé devant le maître-autel, Clovis se remémore les diverses phases de cette bataille dont l’issue allait avoir des conséquences déterminantes pour l’avenir de la France. Il sourit au souvenir de la joie de Clotilde lorsqu’il lui avait annoncé qu’il avait décidé de se convertir à la religion catholique.

Mais, passer du service de Wotan à celui de Jésus-Christ n’était pas aussi facile que cela, à une époque où la plupart des barbares étaient ariens et les chrétiens considérés comme les rescapés des jeux du cirque.

L’écueil apparut alors aux yeux de Clovis qui, en sa qualité de descendant des dieux barbares était une sorte de grand prêtre pour ses hommes. Il ne faut pas oublier que, selon la légende, son grand-père Mérovée était de souche divine, sa naissance étant le fruit de l’union de sa mère avec un dieu marin. S’il décidait d’abjurer ses pratiques païennes, il lui fallait en expliquer les raisons à ses antrustions. S’ils ne le suivaient pas, Clovis n’étant plus considéré comme le descendant du dieu Wotan pouvait perdre sa couronne du jour au lendemain.

Même dans le cas d’une approbation, il était indispensable que ses fidèles adhèrent également à la nouvelle religion. Il devait persuader tout son « état-major » à se faire chrétien. La tâche n’était pas insurmontable, mais nécessiterait, sans doute, quelques négociations ardues. C’était une affaire à régler entre Clovis et les siens. Il s’y employa sans tarder avec la conviction et les paroles du chef. Il ne donnait pas d’ordre, mais annonçait sa décision, en expliquant les raisons de son choix. C’était habile, car les réactions furent celles qu’il espérait, les guerriers, unanimes, déclarèrent le suivre dans la nouvelle voie qu’il leur traçait, démontrant en l’occurrence, qu’ils étaient plus attachés à leur chef qu’à leurs croyances païennes.

C’est Reims, capitale de la Belgique seconde, qui avait été choisie pour lieu de la cérémonie, parce qu’elle était la ville de l’évêque Remi, mais également la capitale religieuse du royaume.

Remi inaugurait avec ce baptême une longue tradition monarchique française, qui ne s’enracine vraiment qu’avec les premiers Capétiens.

Un usage, remontant aux Apôtres voulait que le baptême soit administré le jour de Pâques. Vu l’importance de l’impétrant, les évêques ne tergiversèrent pas et fixèrent la cérémonie au Noël prochain, laps de temps indispensable pour instruire le nouvel adepte.

Il semble évident, d’autre part, que l’épiscopat, transporté de bonheur par cette conversion tant attendue, ne fit pas traîner les préparatifs, craignant un revirement toujours possible de ces peuplades, encore sous l’influence de leurs pratiques
païennes.

Un jour blafard pointe à travers les vitres de la basilique Saint-Pierre, Clovis secoue la torpeur qui lentement l’envahit. Au rythme des prières, les heures chargées de rêves se sont vite écoulées.

« Dépose tes colliers, Sicambre… »

Bientôt la ville s’éveille. Dans les rues pavoisées d’oriflammes aux teintes vives, les habitants mettent une main fiévreuse aux derniers préparatifs de la cérémonie.

Un pâle soleil d’hiver éclaire Reims en fête et rehausse de ses rayons la procession haute en couleurs qui vient de quitter l’ancien palais de l’empereur romain Valentinien 1er. C’est dans cette demeure que le roi des Francs était venu avec son épouse quelques semaines avant la cérémonie pour se préparer dans le calme et la méditation. En se promenant dans l’amphithéâtre fondé par Constantin le Grand, Clotilde et Clovis s’étaient astreints pendant de longues heures à apprendre les Evangiles, à se recueillir devant les tombeaux des saints jalonnant la voie Césarée.

Le couple royal et l’évêque Remi s’étaient évertués à donner à la cérémonie un éclat d’une portée internationale en invitant les représentants étrangers à l’Eglise catholique. C’est à pied que Clovis décida de se rendre à la cathédrale. Remi l’évêque de Reims, crosse épiscopale en main, précède le roi. Il porte suspendue à son cou par une chaîne en argent, la Sainte Ampoule qui servira au sacre des rois de France jusqu’à Louis XVI.

Clovis qui vient d’atteindre sa trentième année, marche vêtu de son manteau d’apparat, à côté de Clotilde, rayonnante de bonheur. Le couple royal est suivi de Thierry, fils aîné de
Clovis et de ses soeurs : Aldoflède et Lanthilde, toutes deux païennes. Pour Thierry, né d’une princesse germanique dont on a oublié le nom, cette cérémonie constituait une sorte de légitimation.

Le ban et l’arrière-ban du clergé gallo-romain s’allonge en un chatoyant ruban multicolore, le long de la voie Césarée qui, de la porte Basée, conduit à la cathédrale, précédant les guerriers francs qui acceptent de se faire baptiser.

Hymnes et cantiques de grâce s’élèvent au milieu des acclamations de la foule massée en grappes aux fenêtres des maisons. La solennité de l’événement s’accentue lorsque sur le parvis de la cathédrale, le jeune chef Franc traverse la forêt de lances de ses 3.000 guerriers.

Ses longs cheveux blonds noués au sommet de la tête retombent en vagues ondoyantes sur le manteau de fourrure, jeté élégamment sur une tunique pourpre. Un pantalon étroit moule ses cuisses puissantes, laissant le mollet nu. Profitant d’un instant de silence,

Clovis ébloui, interroge l’évêque : « Est-ce là, le royaume du ciel que tu me promets ? »

Et Remi de lui répondre : « Non, mais c’est le commencement du chemin qui y conduit. »

Le visage empreint de gravité, Clovis pénètre dans la nef divisée en galeries par deux colonnades de marbre superposées, soutenant un plafond composé de caissons armoriés.

Il s’agenouille un instant devant l’autel et incline la tête devant le ciborium qui recouvre le tabernacle où est suspendu la pyxide contenant les hosties consacrées.

Son regard parcourt les murs du chœur. Sur fond d’or, des peintures délicatement nuancées représentent le Christ entouré des apôtres.

L’instant solennel est arrivé. les battements de son cœur s’accélèrent, car de la lumière dorée, tamisée par les vitraux, lui semble émaner le nimbe auréolant la tête du fils de Dieu. Le roi des Francs se relève et se dirige vers l’atrium où les prélats sont réunis en demi-cercle autour de l’évêque Remi, vêtu d’une dalmatique de soie blanche brodée de fils d’or et d’argent.

Clovis alors se dévêt lentement et, entièrement nu, entre, le regard fixé vers l’Occident, dans le profond baptistère en forme de cuve tréflée qui permet le baptême par immersion. Sur l’un des côtés, un cerf d’airain de la gueule duquel coule un mince filet, l’eau du sacre, orne les fonts baptismaux. Par trois fois, le roi déclare renoncer à Satan, à ses pompes et à ses voluptés.

Puis Remi s’approche, pose sa main sur sa tête et prononce la question rituelle : « Quid petis ? »

Clovis réclame le baptême et l’évêque poursuit : « Rex ergo prior proposit se a pontifice baptisari. Procedit novus Cantatinus ad lavacrum, cum ingresso ab baptismum sanctus Dei sic infit or facundo. »

Remi, l’ondoit, prononçant les paroles que l’Histoire nous a transmis : « Mitis depone colla, Sicamber, adora quod incendisti, incendi quod adorasti ». (Dépose tes colliers, Sicambre, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré). Puis, le prélat poursuit : « Igitur rex omnipotentem Deum in Trinitate confessus, baptisatus est in nomine Patris et Filii et Spiritus Santi, délibutusque sacro chrismate cum signaculo crusis Christis. »

C’est alors que l’évêque s’aperçoit avec effroi qu’il ne dispose pas du saint-chrême indispensable pour consacrer le baptême du nouveau chrétien.

Soudain, miracle !… dans un rayon de lumière apparaît sous les voûtes de la cathédrale, une colombe tenant dans son bec une ampoule dont la forme rappelle celle d’une figue. Remi s’en saisit et oint de Saint Chrême le front du roi. Ce qui permettra d’affirmer plus tard que non seulement Clovis a été baptisé, mais également sacré roi, à Reims. Or Clovis, déjà proclamé roi par ses Leudes, n’avait besoin d’aucune consécration.

On retrouve ces sortes de miracles dans une abondante littérature. Néanmoins, curieusement, ni Grégoire de Tours, ni Frédégaire, ni même l’évêque Remi dans ses Mémoires, n’y font allusion. Il faudra attendre près de quatre siècles pour que Hincmar, archevêque de Reims, fasse état pour la première fois de cet événement.

« Le pape des Gaules » ainsi l’avait-on surnommé, détenait avec les évêques toute la réalité du pouvoir ; le roi de Neustrie, Charles le Chauve lui étant totalement inféodé, Hincmar n’eut aucune peine à faire admettre le miracle de la colombe apportant la sainte ampoule à l’évêque Remi au moment du baptême.

Comment peut-on un instant supposer que Remi ait pu oublier le saint chrême. Il ne fait aucun doute qu’il avait dû minutieusement préparer ce sacre dont nous avons souligné l’importante pour l’Eglise. Il n’ignorait pas non plus qu’à la suite du roi, il devait administrer le sacrement du baptême à 3.000 guerriers francs. Il est difficile de croire que l’évêque le plus prestigieux de l’épiscopat des Gaules, ait oublié l’un des composants essentiels de la religion catholique.
Impensable ! A telle enseigne que Matthieu-Maxime Gorce décrivant la scène, concluait non sans ironie : « Longtemps le peuple ne connut du baptême de Clovis que l’épisode si contestable de la sainte ampoule : une colombe aurait apporté du haut du ciel dans une petite fiole l’huile des onctions. »

Après cet incident, Remi enveloppe le nouveau chrétien dans la robe blanche des catéchumènes, lui lave les pieds et procède à l’imposition des mains, en récitant une prière pour la persévérance du nouveau baptisé.

Le cortège se reforme et se dirige vers l’autel où le roi recevra le dernier sacrement de la cérémonie : la communion.

« Noël !… Noël !… » Le cri jaillit des poitrines des guerriers et de la foule massée autour de la cathédrale.

Tous veulent voir le héros qui, à la gloire militaire, au panache, à la grandeur épique, vient d’ajouter en ce jour de Noël 496, un acte d’une portée encore insoupçonnée. Fondateur de la patrie franque, Clovis, habile homme d’Etat, instaure par son baptême une religion sur laquelle la monarchie s’appuiera durant de longs siècles.

Remi rayonne de bonheur, le baptême c’est son triomphe et il se moque bien que Clovis ait conservé le symbole païen de la royauté franque : cette luxuriante chevelure, marque distinctive de son origine divine et que tous les rois Francs conserveront jusqu’à l’extinction de la dynastie. Le syncrétisme ne disparaîtra pas en un jour du fait de l’onction baptismale. Ce sacrement s’inscrit en effet comme l’un des actes les plus importants de l’Histoire de France et même de l’Histoire de l’Occident.

« Il marque, soulignent Dom Cabrol et Dom Leclerq, la fondation de la renaissance d’une nation, telle que le monde antique n’en connut point de semblable. »

Évoquant le faste de cette cérémonie, Grégoire de Tours laisse déborder son lyrisme : « Il s’avance le nouveau Constantin, il s’avance vers la piscine baptismale pour se guérir de la lèpre du péché, et les vieilles souillures vont disparaître dans les eaux purifiantes de la régénération. »

Chacun est libre d’interpréter les diverses phases de cette extraordinaire cérémonie. Sur le plan politique, les choses sont beaucoup plus limpides. En l’occurrence, ce baptême qui prit le caractère d’un sacre, démontre l’habileté de Clovis. Se remémorant les principes humanitaires et moraux que lui ont inculqués, en quelques semaines, les membres du clergé qui se sont attaché à le catéchiser, il se prend à sourire :

« Celui qui prend l’épée, périra par l’épée… »

Bigre ! Comment faire des conquêtes sous le couvert de défendre les catholiques opprimés, s’il ne sort pas son épée du fourreau ?…

« Tu ne tueras point !… »

Ils en ont de bonnes ! ces évêques… Il voudrait bien les y voire face à des hérétiques du genre Attila, Euric ou Théodoric.

Il doit tout de même y avoir quelques aménagements, se dit-il, en se secouant, car le froid se fait de plus en plus vif, sous les voûtes de la basilique.

Non seulement il y aura des aménagements, mais l’épiscopat fera bénéficier le roi des Francs d’étonnants passes-droits. Toutes ses exactions, tous ses crimes, lui seront pardonnés. Il est sans doute aventureux de prétendre que Clovis s’est converti au catholicisme, en espérant le soutien de l’Eglise dont la puissance n’était plus à démontrer. En revanche il est évident que le renfort d’une personnalité aussi prestigieuse que le roi des Francs, constituait pour l’Eglise, un écran efficace contre l’emprise de l’arianisme.

Le pacte entre Clovis et l’Église, s’il n’a pas été scellé par un traité officiel, apparaît, en contrepoint, tout au long de cette cérémonie où 3.000 guerriers reçurent le sacrement du baptême.

Selon le chanoine Biet « s’il est ordinaire que la religion serve de prétexte à ce que l’intérêt nous fait entreprendre, il est bien rare que l’intérêt trouve un obstacle à ses entreprises dans la Religion. Il ne paroît point par l’Histoire que les Francs fussent fort attachés à leur Religion, ou qu’ils fussent ennemis des Chrétiens, on ne lit pas qu’ils les ayent persécutés, et sitôt que Clovis parla, toute son armée se fit baptiser. Pour peu que donc que les Francs ayent trouvé leur avantage à se soumettre à Egidius, la différence de Religion les aura peu retenus ».

Contrairement à cette affirmation, tous les Francs n’approuvèrent pas la conversion de Clovis : « Avant de se décider à recevoir le baptême, le roi des Franccs, souligne Lecoy de la Marche, fut retenu longtemps par la crainte de l’opposition d’une partie de ses guerriers. Il rencontra une assez vive résistance chez les superstitieux sectateurs d’Odin. Il fut obligé de les haranguer pour en décider un certain nombre à suivre son exemple. »

Tous les historiens sont d’accord sur le chiffre de 3.000 guerriers recevant le baptême le même jour que leur chef ; nombre dérisoire si on le compare aux 150 à 200.000 individus que comportait la colonie franque à l’époque.

L’évêque de Vienne Avitius n’avait pu assister au baptême de Clovis et c’est heureux, car nous n’aurions pu analyser la position de l’Eglise des Gaules à la suite de cette cérémonie
dont l’action s’est répercutée à travers les siècles. La correspondance qu’il adresse à Clovis, permet de découvrir bien des aspects cachés de la conversion du roi des Francs.

« C’est en vain que les sectateurs de l’hérésie ont essayé de voiler à vos yeux l’éclat de la vérité chrétienne par la multitude de leurs opinions contradictoires, écrit le prélat au roi
des Francs.

« Pendant que nous en remettions au Juge éternel, qui proclamera au jour du jugement ce qu’il y a de vrai dans les doctrines, le rayon de la vérité est venu illuminer même les
ténèbres des choses présentes. La Providence divine a découvert l’arbitre de notre temps.

« Le choix que vous avez fait pour vous-même est une sentence que vous avez rendue pour tous. Votre foi, c’est notre victoire à nous. Beaucoup d’autres, quand les pontifes de leur entourage, les sollicitent d’adhérer à la vraie doctrine aiment à objecter les traditions de leur race et le respect pour le culte de leurs ancêtres.

« Ainsi, pour leur malheur, ils préfèrent une fausse honte au salut ; ils étalent un respect déplacé pour leurs pères en s’obstinant à partager leur incrédulité, et avouent indirectement qu’ils ne savent pas ce qu’ils doivent faire.

Dans ce paragraphe, l’évêque de Vienne met directement en cause le roi des Burgondes, Gondebaud, dont il faisait le siège depuis de longs mois, dans le but de le convertir.

« Désormais, poursuit le prélat, des excuses de ce genre ne peuvent plus être admises, après la merveille dont vous nous avez rendus témoins. De toute votre antique généalogie, vous n’avez rien voulu conserver que votre noblesse, et vous avez voulu que votre descendance fit commencer à vous toutes les gloires qui ornent une haute naissance. Vos aïeux vous ont préparé de grandes destinées : vous avez voulu en préparer de plus grandes à ceux qui viendront après vous.

Vous marchez sur les traces de vos ancêtres en gouvernant ici-bas : vous ouvrez la voie à vos descendants en voulant régner au ciel.

« L’Orient peut se réjouir d’avoir élu un empereur qui partage notre foi : il ne sera plus seul désormais à jouir d’une telle faveur. L’Occident, grâce à vous, brille aussi d’un éclat propre, et voit un de ses souverains resplendir d’une lumière nouvelle. C’est bien à propos que cette lumière a commencé à la nativité de notre Rédempteur : ainsi les eaux régénératrices vous ont fait naître au salut le jour même où le monde a vu naître pour le racheter le Seigneur du ciel.

« Ce jour est pour vous comme pour le Seigneur un anniversaire de naissance : vous y êtes né pour le Christ comme le Christ pour le monde ; vous y avez consacré votre âme à
Dieu, votre vie à vos contemporains et votre gloire à la prospérité.

« Que dire de la glorieuse solennité de votre régénération ? Je n’ai pu y assister de corps, mais j’ai participé de cœur à vos joies : car, grâce à Dieu, notre pays en a eu sa part puisque avant votre baptême, par un message que nous a bien voulu envoyer votre royale humilité, vous nous aviez appris que vous étiez catéchumène. Aussi la nuit sainte nous a-t-elle trouvés pleins de confiance et sûrs de ce que vous feriez.

« Nous voyons, avec les yeux de l’esprit, ce grand spectacle : une multitude de pontifes réunis autour de vous, et, dans l’ardeur de leur saint ministère, versant sur vos membres
royaux les eaux de la résurrection ; votre tête redoutée des peuples, se courbant à la voix des prêtres de Dieu ; votre chevelure royale intacte sous le casque du guerrier, se couvrant du casque salutaire de l’onction sainte ; votre poitrine sans tache débarrassée de la cuirasse, et brillant de la même blancheur que votre robe de catéchumène. N’en doutez pas, roi puissant, ce vêtement si mou, donnera désormais plus de force à vos armes ; tout ce que jusqu’aujourd’hui vous deviez à une chance heureuse, vous le devrez à la sainteté de votre baptême.

« J’ajouterais volontiers quelques exhortations à ces accents qui vous glorifient, si quelque chose échappait à votre science ou à votre attention. Prêcherai-je la foi au converti, alors qu’avant votre conversion vous l’avez eue sans précaution ? Vanterai-je l’humilité que vous avez déployée en nous rendant depuis longtemps, par dévotion, des honneurs que vous nous devez seulement depuis votre profession de foi ? Parlerai-je de votre miséricorde, glorifiée devant Dieu et devant les hommes par les larmes et par la joie d’un peuple vaincu dont vous avez daigné défaire les chaînes ? »

Saint Avit doté d’une forte personnalité et considéré comme l’homme le plus érudit de son temps, donne dans cette correspondance, sa bénédiction à toutes les actions qu’entreprendrait Clovis. Implicitement il l’invitait à libérer le sud de la Gaule de la tyrannie arienne d’Alaric II, roi des Wisigoths. A la lecture des événements, il apparaît évident que le roi des Francs entretenait depuis longtemps des relations avec les évêques catholiques, mais également avec les évêques ariens du royaume du Burgonde Gondebaud. Ceci laisse supposer qu’il avait envisagé d’autres conquêtes en s’appuyant sur les autorités ecclésiastiques des régions convoitées.

Et l’évêque de Vienne de conclure : « Il me reste un vœu à exprimer. Puisque Dieu, grâce à vous, va faire de votre peuple le sien tout à fait, eh bien ! offrez une part du trésor de foi qui remplit votre cœur à ces peuples, assis au-delà de vous et qui, vivant dans leur ignorance naturelle, n’ont pas encore été corrompus par les doctrines perverses : ne craignez pas de leur envoyer des ambassades, et de plaider auprès d’eux la cause du Dieu qui a tant fait pour la vôtre. »
Clovis ne va pas se faire prier pour convaincre à coups de francisques et de framées, ces « peuples assis au-delà de ses frontières », de la supériorité que lui donnait sur tous les autres peuples, l’appui de la puissante Eglise des Gaules. S’il avait eu quelques scrupules à engager une action offensive contre les peuplades ariennes, la missive que lui adressait
quelques semaines plus tard, le pape Anastase II, aurait levée ses dernières hésitations.

« Nous nous félicitons de ce que votre entrée dans le christianisme ait eu lieu en même temps que commençait notre épiscopat.

« Le Siège apostolique ne peut que se réjouir d’un si glorieux événement, en voyant une si grande nation se réunir à lui. Nous vous avons envoyé le prêtre Euménius pour vous témoigner toute la joie de votre père en Jésus-Christ et nous ne doutons pas que vous ne remplissiez nos espérances et que vous ne deveniez le plus puissant appui de notre siège et la plus grande consolation de l’Eglise qui vient vous mettre dans la voie de Dieu. Notre cher et glorieux fils, continuez à donner des sujets de joie à votre mère ; soyez pour elle un soutien aussi solide qu’une colonne de fer, afin que ses prières obtiennent du ciel que vous marchiez dans la voie du salut et qu’il fasse tomber à vos pieds les ennemis qui vous environnent. »

Clovis se remémore son appréhension au moment où il dut expliquer sa décision à ses leudes, farouches adorateurs des dieux ariens. Mais, tant il est vrai que, suivant les paroles d’Echyle, « le succès est aux yeux des hommes un dieu », ses tribus lui jurant fidélité avaient immédiatement manifesté le désir d’embrasser avec lui, la religion catholique.

Fixant le Christ, son nouveau Dieu, Clovis lui rend grâce d’avoir ainsi facilité sa tâche.

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